BlairBion

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Deux distilleries mythiques | côté historique

Blairmont d’abord (qui s’appelait à l’origine « Blair Mount »), qui tire son nom de son fondateur Lambert Blair, et dont la création de la plantation (située sur la rive ouest du fleuve Berbice) remonte aux années 1800 (entre 1802 et 1834). La première trace de production de rhum comptabilisée dans les archives remonterait quant à elle à 1862 ; la distillerie fermera ses portes en 1962, comme de nombreuses autres à l’époque : Skeldon, LBI et Port Mourant, mettront ainsi la clé sous la porte entre 55 et 65. A partir de là, seules 5 distilleries fumeront encore: Versailles, Enmore, Uitvlugt, Diamond, et Albion

La plantation Albion est tout aussi ancienne que Blairmont, et son histoire remonte à 1802 ou 1803 (Fondateur: William Innes) ; elle se situe sur la côte est du fleuve Berbice, et plus précisément sur la côte Corentyne, à l’Ouest de l’ancien domaine Port Mourant. C’est d’ailleurs à l’occasion de la fermeture de la distillerie Port Mourant que son célèbre double alambic en bois (wooden double retort pot still) sera remonté à Albion pour reprendre du service pendant un court moment, avant d’être transféré à la distillerie Uitvlugt à la fermeture de Albion en 1968, puis à Diamond où il fonctionne toujours. Ainsi la marks AW est à l’origine distillé via l’alambic de PM ; les autres marks le sont via une colonne Savalle.

S’il y a une certitude à avoir cependant, c’est qu’aucun des deux rhums dégustés ci-dessous n’a été directement distillé dans les distilleries d’origine, mais soit via leur alambic historique, soit via un autre outil de distillation en conservant des réglages spécifiques afin de retrouver la palette aromatique et le style originelle des rhums alors produits (via les fameuses ‘marks’). Il en est ainsi de même pour les rhums qui après 1960 ont tous en commun d’avoir été reproduits et réalisés à partir d’alambics plus ou moins similaires (dans le cas où celui d’origine n’existait plus), en essayant de coller au plus prêts aux profils historiques de chaque distillerie, notamment via des tests organoleptiques et chimiques, des modifications diverses et variées afin de reproduire le plus fidèlement possible : les températures de distillation, la fermentation, la vitesse de la vapeur hydroalcoolique et l’élimination des impuretés.

Ainsi, la Demerera Distillers Limited donne les profils suivants :
ALBION : un rhum léger, avec des arômes typés, qui en fait une bonne base pour des assemblages léger/moyen.
BALIRMONT: un rhum moyen (entre léger et lourd), doux, typique et fidèle au style Demerara.

Niveau distillation, les embouteillages ‘récents’ de Blairmont mentionnent une colonne Savalle française, mais nous ne savons pas s’il s’agit d’une colonne déjà présente dans la distillerie d’époque (puis transférée à Uitvlugt puis Diamond) , ou bien une colonne originaire de chez Uivlugt ; le mystère reste entier, et espérons que nous arriverons un jour à le percer… Pour ce qui est d’Albion, le rhum était distillé à l’origine dans une colonne Coffey en bois, puis via une colonne Savalle Française, et fut un temps (marks AW) avec le double alambic en bois de Port Mourant (voir le tableau créé par la Brand Ambassador de DDL Stefanie Holt).

Après ces quelques informations glanées sur l’excellent article publié par Marco Freyer sur son blog Barrel Aged Mind (et traduit pour le tout aussi excellent Nico du blog Coeur de Chauffe), place à la dégustation…

 

 

 

Blairmont 1982 / 60,4°

Distillé en 1982 et embouteillé après 29 ans de vieillissement tropical, en février 2011. French Savalle still.

 

Un rhum gras, épais, lourd, que dire de plus ? 29 ans de concentration, et une robe ambrée assez soutenue aux reflets cuivrés. Le nez est extrêmement riche et collant, et en même temps très doux (à se demander où sont les 60°). Le temps a réalisé son œuvre, faisant fondre chaque arôme dans un mélange résineux : un nez balsamique, mélangeant des arômes caféinés d’expresso, de raisins, de caramel, de fruits exotiques (banane, abricot, noix de coco), de clou de girofle et de cannelle. Un léger repos fait ressortir les années passées en fût : du chêne, légèrement piquant, de la réglisse et des notes de vieux cuir et de plastique fondu (vernis), avec toujours en fond des fruits exotiques caramélisés, et toujours ce café.

En bouche, c’est forcément épais et concentré et le rhum englobe le palais tout entier dès les premières gouttes, mais avec une certaine douceur : on retrouve le raisin et la noix de coco, le tout caramélisé, grillé, épicé, pour une bouche crémeuse du plus bel effet, qui tranche avec un boisé légèrement amer et salé. Ajoutez-y un coté végétal (herbe verte) qui donne une belle structure à la bouche, et vous avez un rhum qui ne tombe à aucun moment dans la facilité, et qui passe très bien pour 60°. C’est bien équilibré, sucré/salé, fruité/boisé, on ne s’ennuie jamais avec ce Blairmont 82 en bouche, c’est un fait.

La fin de bouche est longue et plutôt sèche, sur les fruits secs toujours, et une amertume apportée par le trio bois/cuir/herbe, et en toute fin, ce petit coté salé et iodé qui revient, et même un brin de fraîcheur herbacée (menthe?). 29 ans ça ne s’oublie décidément pas! mais il est loin de faire son âge.

Un rhum qui a un sacré pedigree et qui aurait pu vite ressembler à un jus de bois passé mais, en fait, pas du tout. Il passe très très bien, et même plutôt facilement, et cela même si les 29 ans laissent forcément des traces de bois, d’amertume, mais aussi de coco, et de fraîcheur végétale qui lui donnent un sérieux coup de peps qui modifie toute la dimension gustative du rhum, pour le meilleur, et sans le pire. Pour comparaison, le Blairmont 91 peut faire pâle figure à côté, et même paraître plus boisé. Les 60° passent remarquablement bien et on se régale du début à la fin. Note: 91

 


Albion 1986/ 60,6°

25 ans de vieillissement tropical pour ce Albion distillé en 1986 et embouteillé en 2011. la Mark AW fait vraisemblablement plus référence au double alambic en bois de Port Mourant, réglé en mode Albion pour l’occasion.


La couleur est cuivrée plus qu’ambrée tellement sa robe à des reflets rougeâtres ; c’est huileux à souhait, gras, et une couronne de gouttelettes incalculables apparait et laisse place à des larmes de crocodile en mode slow motion. Au nez, c’est excessivement riche, médicinal, ça sent le pneu brûlé, le goudron, le caoutchouc, la rolls des demerara caronisé. Ajoutez-y une mélasse bien sombre, de la réglisse, et même un côté menthe poivrée pour un brun de fraîcheur vivifiant (zeste de citron). L’alcool est très bien intégré.

La bouche est hyper concentrée, résineuse, sombre et fraiche à la fois, avec un paquet de réglisse, même de zan, mentholé (menthe poivrée), et avec toujours ce côté pneu/goudron, mais mélangé à des agrumes fraîchement acidulés (citron, orange). Une sorte de sirop aux bonbons stoptoux saveur agrumes , et épicé (poivre).

La suite est sans fin, toujours avec ce côté goudronneux, résineux qui n’en finit plus, et cette réglisse sucrée qui restera en bouche durant de longues minutes (heures?) après la dégustation… Le verre vide réhabilite à lui tout seul le caoutchouc et la réglisse, 100% gourmand.

Un Albion dans toute sa splendeur, goudronneux et profond, comme dit plus haut sûrement le rhum qui peut concilier à merveille les amateurs de Demerara et ceux de Caroni. Extrême et sûrement écœurant à la longue, mais ce n’est pas un rhum dont il faut abuser de toute manière. Si vous toussiez avant la dégustation de ce rhum, vous pouvez être sûr d’être guéri après quelques cl… malheureusement pas (encore) remboursé par la sécu. Note : 92

 

 

 

90 et + : rhum exceptionnel et unique, c’est le must du must
entre 85 et 89 : rhum très recommandé, avec ce petit quelque chose qui fait la différence
entre 80 et 84 : rhum recommandable
75-79 POINTS : au-dessus de la moyenne
70-74 POINTS : dans la moyenne basse
moins de 70 : pas très bon
Comments
One Response to “BlairBion”
  1. Nico dit :

    Quelle belle dégustation. Ce sont déjà des légendes inaccessibles mais grâce à toi on a l’impression de les connaître un peu tout de même. Merci.

    Et merci pour le clin d’œil c’est super sympa 🙂

    5
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