Caroni 74, le match

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Match 2 caroni

Ces deux rhums sont les vestiges d’un temps révolu, les premiers millésimes d’une longue série et le point de départ d’une CaroniMania qui envahira d’abord l’Italie avant de déferler sous d’autres cieux. Voyage sur les terres de Trinidad, en passant par l’Angleterre et l’Italie…

prix : entre 200 et 500€. Bristol propose sa vision du 1974 dans un classique 46° alors que Velier reste fidèle au brut de fût (66,1°).

âge : 34 ans pour ces deux rhums d’abord distillés en 1974 puis embouteillés en 2008. Il y aurait 1500 bouteilles du Bristol et 2000 pour l’embouteillage de Velier.

 

Pas besoin de revenir sur l’histoire de feu la distillerie Caroni  ni du nombre assez impressionnant d’embouteillages qui en découleront, vous devez déjà en avoir une petite idée.

Du côté de Velier, on reste fidèle au brut de fût et c’est un donc un morceau d’authenticité qui nous est proposé. L’anglais Bristol Spirits préfère un plus classique 46°. A partir de là, il peut sembler difficile de comparer ces deux rhums, mais l’envie était trop grande… Et il est à noter que l’un comme l’autre a été vieilli intégralement sous les tropiques, ce qui ne gâchera rien au plaisir d’une comparaison croisée.

pour les plus septiques, voici la réponse de John Barrett, directeur de Bristol Spirits, sur l’origine de son Caroni 1974: « From date of distillation this rum was aged at the distillery on the island of Trinidad. Filled into used American Oak barrels it was stored in hot humid conditions (…) We shipped it to the UK in 2007 and bottled it in 2008 . Only four barrels remained. »

 


 

la robe /

Peu de différence entre ces deux rhums qui ont une allure très ressemblante, même si le Velier est légèrement plus foncé (reflets bronze), et sa robe plus grasse. Les larmes qui coulent sur les parois du verre sont aussi plus lentes. La dilution n’y est sans doute pas pour rien.

 

le nez /

Chez Bristol c’est un nez de Caroni mais tout en délicatesse, ça sent le BTP et les routes goudronnées en plein été, là où l’asphalte s’enfonce sous les pieds et colle aux semelles. Et bonne nouvelle, les 46° permettent d’y plonger le nez sans tenter de se griller les narines (c’est toujours agréable pour qui veut préserver ses sens). On retrouve donc ce fameux côté bitumeux/goudronneux,  du tabac, mais aussi pas mal de fruits exotiques passés (ananas), de la pomme caramélisée, des agrumes (orange), du sucre brûlé, des raisins et des épices (cannelle, poivre), dans une ambiance luxuriante, chaude et pas forcément très lourde. Cela devient même gourmand tellement ces notes de caramel arrondissent le nez avec un peu plus de repos ; un caramel qui se fait grillé et se mélange maintenant à des notes de tabac. Après quelques minutes, ce sont même des notes d’agrumes acidulées qui semblent arriver, du pamplemousse rose plus exactement. Un profil qui peut sembler lourd avec cette note goudronnée mais suffisamment fruité et aussi frais (agrumes) et végétal (mélange d’herbes) qui rend le nez très agréable au bout du compte, et même assez « facile ».

Chez Velier, le premier nez est beaucoup moins expressif, et pour cause, les plus de 66° bloque quelque peu l’entrée des arômes, ou en tout cas leur cheminement jusqu’aux narines. Beaucoup d’alcool, un authentique Caroni assurément, mais qui a besoin de beaucoup plus de temps que son homologue anglais (qui lui rend 20° tout de même). Après quelques longues minutes, nous y sommes enfin : la note Caroni est délivrée mais de manière bien différente de celle du Bristol… elle est ici fondue dans une mixture qui semble mélanger goudron, herbes, fruit, tabac, épices (pain d’épices) et caramel ; une sorte de sauce tout en un, un bouillon de goudron. Le repos semble littéralement griller et caraméliser un peu plus tous les arômes dans un ensemble beaucoup plus complexe. Les fruits sont gonflés et mûrs à excès (abricot, pêche, ananas) et plus présents que dans le Bristol, les agrumes sont confits et cristallisés (orange). Plus riche et concentré, il est bavard et s’adoucit considérablement avec le temps, pourvu qu’on soit assez patient.

Le Bristol délivre les arômes un à un, là où le Velier semble tout concentrer dans une sorte de sève épaisse et concentrée. De ce fait, le Bristol est nettement plus facile d’accès et ‘frais’ que le Velier qui est plus complexe et concentré, mais qui en doutait ? Sur le temps, gros avantage au Velier qui garde toute sa gouache et propose plus d’arômes, plus de tout, et plus longtemps.

en bouche /

le rhum de chez Bristol propose une bouche huileuse, concentrée et saisissante ; plutôt sèche sur les épices avec un boisé plus présent qu’au nez, accompagné de réglisse, avec encore et toujours cette impression de boire une mixture goudronnée aux épices (poivre), mélangeant olive, mais aussi fruits secs, sucre brûlé et même un côté iodé. Un côté végétal aussi avec quelques herbes qui apporte une légère amertume, et un côté mentholée (menthe fraiche) décapant.

Le Velier apparait moins saisissant que le Bristol, mais plus concentré en bouche, jusqu’à envahir dès les premières gouttes le palais, jusqu’à s’y accrocher. Ce Caroni de chez Velier semble un peu plus sur la réserve et plus sage, mais c’est pour mieux vous endormir… Ça passe étonnement bien et facilement pour un rhum qui affiche 66° et cela impressionne, avec toujours cette impression d’avoir une mixture mélangeant tous les arômes en un seul : du goudron, du boisé, des épices et de la réglisse, des fruits passés et encore ce petit coté iodé mais beaucoup moins présent que sur le Bristol, et des notes plus grillées et amères. C’est très bon, homogène, et concentré.

La fin de bouche du Bristol est moyennement longue, et plutôt courte même…
sec, toujours sur le goudron, la réglisse et un côté végétal rafraichissant (menthe, eucalyptus), le rhum laissera une belle et longue persistance, avec le retour des fruits secs caramélisés.
On s’attend quand même à plus, et surtout plus longtemps.

Chez Velier c’est plus long, avec là aussi une belle persistance aromatique. On est sur les mêmes notes déjà perçues au nez, avec le côté grillé et iodé qui reste plus longtemps en bouche ; la bouche est aussi moins sèche que le Bristol, et les fruits reviennent pour rester, même plusieurs minutes après la dégustation.

Dans les deux cas on s’attendrait plus à un final interminable, ce qui n’est pas le cas, mais les arômes persistent un très long moment après la dégustation, et c’est déjà beaucoup.
 


 

Une dégustation croisée en demi-teinte, où chaque embouteilleur proposera de quoi plaire, mais avec l’impression de ne jamais tout donner. On en attend forcément toujours plus quand on croise de si vieux millésimes, et donc la déception peut être facile (et rapide). Au nez, le rhum de chez Bristol est plus facile d’accès là où celui de Velier mettra plus de temps à démarrer. D’un côté un rhum qui décompose les arômes, et de l’autre une sorte de mixture plus complexe (Velier) et concentré. En bouche c’est Bristol qui impressionne le plus, plus punchy et vivant, et vitalisant (frais) ; le rhum de Velier délivre sensiblement la même chose qu’au nez : une mélange harmonieux et complexe ; un rhum qui semble plus mature, peut être moins expressif en premier lieu mais qui assure avec une certaine sérénité et qui s’impose en bouche. Seul bémol selon moi, il manque de la longueur aux deux rhums, même si le Caroni de chez Velier a meilleure allure, mais heureusement la persistance de l’un comme de l’autre est au rendez-vous, comme une manière de se souvenir, avec beauté, de cette année 1974.

Deux très belles bouteilles, et assurément une belle claque pour les amateurs du genre, mais sûrement pas les meilleurs des Caroni. Le Bristol me laisse personnellement une meilleure impression, avec un côté mentholé séduisant malgré son final plutôt moyen ; La réduction lui réussit plutôt très bien. Le Velier est à l’image de son degré, concentré et brut, mais un poil trop amère pour ma part.

note du Velier: 85
note du Bristol: 88

90 et + : rhum exceptionnel et unique, c’est le must du must
entre 85 et 89 : rhum très recommandé, avec ce petit quelque chose qui fait la différence
entre 80 et 84 : rhum recommandable
75-79 POINTS : au-dessus de la moyenne
70-74 POINTS : dans la moyenne basse
moins de 70 : pas très bon

 

Comments
6 Responses to “Caroni 74, le match”
  1. Henrik K. dit :

    Very interesting, that you rated the Bristol higher. I wouldn’t have expected that, seeing how large the difference in ABV was.

    Great review, Cyril 🙂

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  2. Francis dit :

    Salut Cyril,
    Au moment où j’écris ce post le Bristol m’accompagne là où que je ferai appel à ma mémoire pour le Velier. Ma contribution ne fera que conforter ton analyse très juste.
    Le Caroni m’a semblé très agressif au nez, il faut lui laisser du temps mais la bouche et la finale sont au rendez-vous. Assurément pas le meilleur Caroni que j’ai pu dégusté mais sans défaut majeur.
    Le Bristol est beaucoup plus charmeur au nez et pour le coup sans doute un des meilleurs « BTP ». La bouche est splendide, la finale un peu « molle ». Mon astuce: le garder en bouche plus longtemps que d’ordinaire et là c’est top !
    Je ne mettrai pas de note mais le Brictol est pour ma part un cran au dessus, une expérience unique !

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