Clément

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Voyage vers une autre distillerie qui ne fume plus aujourd’hui, et au passé bien chargé : Clément.
A l’instar de Jacques Bally, Homère Clément marquera son temps, et avec lui l’histoire de la production de rhum agricole. A une époque où la concurrence était déjà dure mais saine et respectueuse, émulatoire pour le microcosme agricole, il fondera la distillerie Clément en 1917: construite sur les ruines d’une ancienne sucrerie
, l’habitation Acajou retrouve alors une activité cannière, abandonnée depuis près de 50 ans.

Homère Clément y sera le distillateur jusqu’en 1923, date de sa mort, puis c’est son son fils Charles qui reprendra la main dans les années 30 (et jusque 1973), perpétuant l’affaire familiale. Il embouteille déjà, et directement, en Martinique ; une pratique alors encore peu courante, rompant aux dictats de l’époque où les distilleries vendaient en vrac (et en fûts) leur production, pour étancher les soifs des métropolitains dans des mélanges parfois douteux.

Il consacrera sa vie à développer la distillerie, à la moderniser à plusieurs reprises, et même à la reconstruire après un incendie en 1938. En 1956, la société Héritiers H. Clément est créée entre les descendants du père fondateur. Les deux fils de Charles Clément (Georges-Louis et Jean José) reprendront le flambeau, avant de céder l’entreprise familiale aux frères Hayot (Yves et Bernard).

En 1988 la distillerie cesse définitivement de fumer et la production est transférée au Simon. L’habitation Clément conserve néanmoins les activités annexes (réduction, brassage, vieillissement et mise en bouteille), et posséderait plus de 7 500 fûts.

 

 

Clément 6 ans d’âge / 44°

Bouchon en étain, rhum de 6 ans d’âge titrant 44°, et qui pourrait dater fin 70 début 80 ? Importé par « Simon Frères Paris », l’importateur officiel.

Robe acajou et brillante, pour un rhum qui apparait très huileux et gras, avec d’énormes jambes. La couleur est très soutenue et peut paraitre assez surprenante pour un rhum agricole de 6 ans.

Au nez, c’est aussi concentré que la couleur le laisser imaginer: sur des fruits confits (raisins, pruneaux), de la réglisse brûlée, un boisé noir et fumé, et des notes de tabac assez prononcées. Pour un rhum agricole de 6 ans, il ferait plus penser à du rhum de sucrerie (mélasse). Suivent des épices (chaudes, cannelle et clou de girofle), et de la noix (vin de noix), pour un nez à l’alcool présent et incisif. Avec toutes ces notes lourdes très gourmandes et plutôt sucrées, le nez devient obsédant et vous colle aux narine, imprégné et bien résolu à rester là, longtemps, et entêtant.

La bouche est grasse, une fois de plus très concentrée, sur des notes de tabac et de sucre roux, presque brûlé ; ajoutez-y de la banane flétrie, des fruits confits, noirs (pruneaux, cerises, légèrement acidulées), des épices (cannelle, girofle), et toujours cette réglisse. C’est boisé et tannique, dans une ambiance très noire et grasse, lourde. La fin de bouche est longue, sur un boisé fumé et épicé, du tabac brun et des tanins bien présents, et des fruits secs (raisins).

Un rhum de caractère ! Très noir, avec des notes qui n’ont que peu à voir avec les rhums agricoles de la même époque. Étonnant, déstabilisant, un rhum qui soulève pas mal d’interrogations, mais très bon dans le genre (très lourd et gras).  Note: 86

 

 


 

Clément 6 ans d’âge / 44°

Encore un 6 ans d’âge, sûrement un poil plus récent (fin 80/90), en témoigne le logo de la sécu (années 80). L’étain a fait place à l’alu, le D de Digestif fait son apparition, et la mention « médaille d’or 87 et 88 au salon de l’agriculture de Paris ».

La robe est toujours assez foncée, mais tirant moins sur l’acajou, toujours aussi grasse, avec des larmes surdimensionnées et des jambes interminables.

Au nez, le profil est beaucoup moins lourd et pesant que le rhum précédent, et encore que… c’est beaucoup plus sec, sur du fruité passé, de la banane se décomposant sur un sol chaud et paillé. Beaucoup de clou de girofle, de l’anis aussi, du bois précieux et humide, et même une odeur de tabac brun. On sent que c’est mature et prêt à rompre, et toujours sur un profil boisé, de tabac, comme tirant un peu moins sur le rhum de sucrerie, mais pas encore tout à fait agricole.

La bouche est grasse, mielleuse même, et douce, sur un goût fruité (confit/fondu/fondant) mais fumé, et sur la réglisse, le clou de girofle, le gingembre, et des fruits secs (raisins, banane) en profusion. Ça englobe le palais, le caresse, délivrant un peu plus de notes fumées, discrètement, mais avec un coté rafraichissant très intéressant. La fin de bouche est longue, avec un retour sur les fruits secs et les épices chaudes, la réglisse et un petit côté terreux en fin de bouche.

Un rhum très différent du précédent, plus agricole mais pas encore totalement, étrangement. C’est une nouvelle fois très agréable à gouter, et fort d’enseignements. Note: 83

 


 

Clément 15 ans d’âge / 44°

Un rhum de 15 ans, des années 80 titrant un classique 44° et affichant la mention Digestif sur l’étiquette.


Un rhum d’un ambré soutenu tirant sur le cuivre, gras et brillant, et qui paraitra plus ‘logique’ pour un 15 ans (plus que pour un 6 ans d’âge en tout cas).

Au nez, on est sur du fruité mature une nouvelle fois: de la banane, finement épicé (cannelle, gingembre) ; c’est chaleureux, sur l’amande, avec un boisé classieux, et pour un ensemble assez droit et légèrement ‘piquant’. On est loin du profil des rhums précédents (plus confit et noir),c’est doux sans être très complexe ni riche, mais ça reste plaisant tout du long.

En bouche, c’est doux, très doux, et huileux, sur un boisé fruité et réglissé, toujours sur cette banane et ces épices chaudes et gourmandes, un boisé classieux et sec (boite à cigares). Ça évolue doucement et agréablement en bouche, c’est bien équilibré, bien concentré et dans un profil plus sucré que boisé. La fin de bouche est moyenne et s’en va comme elle est venue, tout en douceur et sans heurt, sur des fruits sucrés et de la réglisse séchée.

Un rhum qui semble en deçà des deux 6 ans, deux fois plus âgés mais comme deux fois moins intéressants, même s’il reste très bon. C’est quand même très agréable et on y revient facilement (et avec plaisir). Note: 84

 

 


 

Clément 1970 / 44°

Un rhum qui selon le site internet de Clément a vieilli 15 années en fûts de chêne de 200 litres, avant d’être mis en foudre en 1985.

 

Robe ambré foncé, cuivré, huileux, jambes très épaisses pour des promesses de gourmandise.
Au nez, c’est fruité et boisé, dans une ambiance confite et sucrée (toujours sur le pruneau bien noir), mélangée à des notes de tabac et d’épices chaudes. Charmant mais lourd, le rhum est riche et vous conte une histoire du siècle dernier, avec élégance et abondance, tout en gardant un côté sombre énigmatique. Le tabac se fait un peu plus présent, et la réglisse aussi, et avec du repos, des notes chocolatées.

La bouche est très épaisse, onctueuse et riche, et plutôt vive pour 44° : le chêne bien sûr, amer, braisé, mais aussi le tabac et beaucoup de réglisse : sous forme de bâton mais aussi de bonbon au zan, il est toujours surprenant de voir qu’un rhum agricole peut apparaitre aussi noir et sombre ; on retrouve aussi le lot habituel de pruneaux et de raisins. La fin de bouche est moyennement longue et toujours axée sur cette réglisse, encore et toujours, pour une finale plutôt sèche. Un long moment après, reste des notes de bonbon au zan en bouche, assez pesantes mais toujours gourmandes.

Un rhum une nouvelle fois très noir, sur la réglisse et la mélasse, et bien loin des standards d’aujourd’hui. Note: 86

 

 


 

 

Clément 1952 / 44°

« Distillé en 1952 puis logé en fûts pendant plus d’une trentaine d’années et enfin en foudre une dizaine d’années, ce rhum a été mis en bouteille à l’Habitation Clément en 1991 ». Le plus vieux millésime de la maison, mais aussi un vrai mystère tellement il était improbable (voir article) de faire vieillir aussi longtemps un rhum en fût. Un rhum qui soulève donc mille questions et autant de doutes… Aucun vieux millésime d’une autre maison ne se targue d’afficher un tel âge, et même Jacques Bally, pourtant précurseur dans le vieillissement du rhum agricole n’y avait pas pensé. Une hérésie ?

 

Le rhum propose une couleur d’un bronze brillant, tirant sur le cuivre ; des larmes finissent par apparaitre, amples et lourdes, comme collées au verre.
Au nez, ça fleure bon le fruit confit et rassasié de sucre, opulent et bienveillant, tirant vers le sombre (pruneaux, raisin, figue), chaudement épicés (4 épices) et réchauffé par un boisé réglissé, tout aussi noir mais à qui une touche de miel adoucit considérablement les détours. C’est même gourmand, mais pas tout à fait pleinement, car le bois retient les ardeurs et fait sûrement parler les années en fûts, ou peut-être celles en foudre. Cela a tendance à lui donner un profil très ‘lourd’ sur la mélasse et la réglisse.

Plus le temps passe au-dessus du verre, et plus le bois prend des allures de bâton de cannelle, de tabac, et perd un peu de son épaisseur ; un tabac blond légèrement piquant au nez, mais toujours suivi de près par des fruits à la maturité décomplexée (mangue), puis du sucre brun, du bonbon au zan. Le nez perd un peu avec le temps, comme ‘coupé’, là où on serait en droit d’attendre un récit plus long, ou en tout cas une accroche dans le scénario, un rebondissement chez un spiritueux aussi mâture. Le nez devient plus sec, et avec lui, notre gosier, signe clair et absolu qu’il faut maintenant -et expressément- y tremper nos lèvres asséchées par autant de promesses.

En bouche, l’attaque est grasse et incisive, sur des notes noires et boisées, concentrées, de réglisse (bonbon au zan), de 4 épices et de fruits confits noirs (pruneaux, raisin), de sucre brûlé. Comme s’il s’agissait d’un rhum de mélasse, avec une impression de lourdeur infinie et durable. La fin de bouche se trouve être dans la moyenne, mais persistante, sur ces notes de chêne fumé, de réglisse, de muscade. C’est assez sec sur la fin, comme sucré et cassant.

 

La dégustation croisée de 3 échantillons montrera des différences assez notables, avec deux profils qui ressortent. Il s’agit de deux samples et d’une bouteille ouverte pour l’occasion, et portant le numéro #18475 (note ci-dessus).

Sur ces trois millésimes 1952 goutés, un embouteillage apparait très divergent, et bien à part: un rhum beaucoup moins lourd que les deux autres, moins noir aussi, et plus simple (disons classique) ; il propose un profil plutôt chocolaté, terreux, sur le champignon (végétal frais), le foin.  Aucune réglisse ni odeur de sucre brûlé dans celui-là, un tout autre monde, pour un tout autre rhum ? En tout cas il n’en fallait pas plus pour piquer ma curiosité, mais malheureusement l’emploi du temps sûrement très chargé du personnel des rhums Clément ne permettra aucune réponse quant à ces différences, ni même sur l’histoire de ce millésime de 1952.

Il n’en reste pas moins un millésime mythique, à l’instar d’un Bally 1929, mais dont le prix ne justifiera sans doute jamais totalement la qualité. Et sur quelle bouteille tomberiez-vous ? La version noire et confite, plutôt lourde et sur la mélasse, ou bien la version plus végétale et légère ? Peut-être Clément aura embouteillé différents assemblages au fil du temps ? En tout cas, cela ne présage d’aucune réelle régularité, et c’est bien dommage au vu du prix. Note: de 83 à 87 selon la bouteille goûtée.

90 et + : rhum exceptionnel et unique, c’est le must du must
entre 85 et 89 : rhum très recommandé, avec ce petit quelque chose qui fait la différence
entre 80 et 84 : rhum recommandable
75-79 POINTS : au-dessus de la moyenne
70-74 POINTS : dans la moyenne basse
moins de 70 : pas très bon
Comments
7 Responses to “Clément”
  1. Nicolas dit :

    Bonjour Cyril,

    Je suis de très près les informations et les appréciations de tous ces rhums sur le site (merci pour les infos sur les ajouts de sucre…)et j’ai une suggestion pour les amateurs peu fortunés dont je fais parti : est-il possible d’avoir des dégustations sur des rhums plus « classiques », par exemple du côté de chez HSE, JM, Père Labat (celui-ci étant assez haut de gamme, néanmoins) etc ?

    Certaines bouteilles (Caroni entre autres) me semblent dignes d’intérêt mais à 150 ou 200€, ce n’est pas pour le commun des mortels 🙂

    Bref, merci de continuer à nous informer et aussi, parfois, de nous faire un peu rêver.

    Nicolas
    Buveur de VSOP…

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    • cyril dit :

      Salut Nicolas
      En fait je ne suis pas plus fortuné qu’un autre, mais je me procure un maximum d’échantillons via des échanges avec des amateurs, ou des partages de bouteilles (via des forums ou FB) 🙂 ça permet de commencer par le début dirons nous, celui des vieux millésimes avant de voir les changements aujourd’hui (quand la distillerie existe encore). L’attente est souvent longue, mais je préfère cumuler avant de faire des dégustations comparatives… Mais il y a de la place pour tout le reste effectivement et heureusement il n’y a pas besoin de mettre 150 ou 200€ pour avoir un excellent rhum. je vais continuer sur le principe de la dernière dégustation Longueteau, en essayant de regrouper le maximum de rhums d’une distillerie ou d’une marque, et donc de tout 😉

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  2. Nicolas dit :

    Bonjour,

    Oui, il y a de bonnes choses à des prix « raisonnables »
    J’aime beaucoup le HSE VSOP,qui est très équilibré

    J’ai essayé les échantillons : JM multimillesime que j’ai adoré, Père Labat 8 ans également… Le prix de ce dernier à Marie-Galante est de 50€ et 130€ en métropole !!!
    Vive les échantillons dans ces cas là 🙂 ça permet en effet de tester et d’affiner ses goûts

    Ce week-end j’ai pu goûter un Damoiseau 15 ans qui vient direct de la distillerie (pas dans le commerce, je crois), et c’était un délice… Tout ce que j’attends d’un rhum !

    Bonne journée
    Nicolas

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