Lettre ouverte de Franck Dormoy

Dans mon précédent article Sacchar(h)um Bis* j’ai laissé volontairement la place au débat, en proposant à la favorite d’intervenir si elle le jugeait utile. Elle a souhaité répondre par l’intermédiaire de Franck Dormoy, gérant de la distillerie. Vous trouverez ci-dessous le message qu’il a voulu nous adresser.

Merci à lui pour ces éclaircissements, pour son honnêteté et sa rapidité.

 



Cher Cyril, chers internautes,

Représentant la 4ème génération de la Distillerie La Favorite, je souhaiterais répondre aux interrogations faites sur des produits existants depuis plusieurs décennies.

Ces rhums haut de gamme sont le résultat de méthodes transmises de génération en génération.

Passionné d’élevage en fût et de maturation, mon grand-père, lorsqu’il était à la tête de l’entreprise familiale, mit au point un mode de vieillissement, voilà déjà 50 ans.

Une sélection de fûts en bois de chêne français, un rhum blanc très floral, si particulier à La Favorite, ainsi que des épices et fruits confits naturels, choisis avec attention. Le tout affiné par l’Homme et l’œuvre du Temps.

A cette époque, il se produisait des rhums agricoles d’Appellation d’Origine ; l’AOC ayant été attribuée à la Martinique en 1996. Ces spiritueux répondaient, et répondent encore aujourd’hui, aux critères de production établis.

Une maison séculaire telle que La Favorite doit-elle révéler sur « la toile » ses secrets de fabrication, gardés précieusement depuis des années ? La transparence n’a-t-elle pas ses limites ?

Effectivement, aucun ajout non autorisé n’est fait lors de la mise en vieillissement. Aucun ajout non autorisé n’est fait lors de la mise en bouteille.

La Cuvée des Cavistes, la Cuvée spéciale de la Flibuste et la Cuvée d’exception Privilège sont de grands rhums agricoles martiniquais qui ravissent vos papilles d’amateurs avertis depuis longtemps.
Et c’est pour vous offrir ces expériences gustatives que je perpétuerai les traditions de ma famille.

Merci à Cyril pour son intérêt pour nos produits, merci à vous lecteurs et amateurs pour votre amour pour La Favorite.

Franck Dormoy

 


Nous savons donc que ce sont les « épices et fruits confits naturels » (et donc le sucre) qui ont modifiés la densité des rhums testés : cuvée Privilège, cuvée des Cavistes, et potentiellement la cuvée La Flibuste.

Notons qu’il s’agit là, selon Franck Dormoy, d’ingrédients naturels, et nous sommes donc très loin de certains rhums de mélasse qui utilisent surtout des additifs et autres arômes artificiels. Et rappelons une nouvelle fois que cela ne change en rien la qualité de ces produits, et qu’une histoire de tradition vaudra toujours mieux que le déni.

mise à jour : Dans une vidéo (cliquez ici pour visualiser) de 2010 présente sur la chaîne YouTube de Dugas (vers 2min), Paul Dormoy de la distillerie la Favorite affirme (concernant les cuvées Flibuste et Privilège) qu’ « il y a un mélange d’un petit peu de cognac et de beaucoup de rhum ».

ce que disent les tests

Cela confirme l’efficacité et le sérieux des tests menés par Johnny Drejer, des tests simples d’accès et qui continueront d’être réalisés dans un souci de transparence. Une 20 de rhums agricoles est déjà dans l’attente de résultats afin de mesurer un panel plus large, et d’être le plus objectif possible.

La question qui se pose

D’après le règlement européen définissant les spiritueux (règlement (CE) n° 110/2008) concernant la définition, la désignation, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des boissons spiritueuses, il est stipulé dans l’annexe  II point 1 que pour une boisson spiritueuse puisse porter le nom de rhum :


Si nous suivons cette réglementation européenne faisant normalement foi (et loi), nous pouvons nous poser la question sur la légitimité des termes employés sur les étiquettes de ces cuvées ; peuvent-elles porter le nom de rhum ?

Ou doivent t-elles réglementairement faire apparaitre les ajouts éventuels, ou encore être enregistré en tant que rhum aromatisé à base de rhum AOC, ou encore de rhum arrangé, de liqueur de rhum ? l’AOC ne précise pas grand chose sur le sujet, se référant au dit règlement (CE) 110/2008.

La seule chose en tout cas tolérée est l’ajout de caramel pour la coloration du rhum.

le cas Matusalem

Un cas qui pourrait être similaire a déjà fait grand bruit outre atlantique : celui de la marque Matusalem, qui ajoutait dans ses fûts une macération naturelle à base de prunes et de gousse de vanille, sur l’idée d’une vieille recette familiale.

L’histoire est née d’une dispute familiale : au début des années 60, la famille se déchire en deux camps et se partage l’héritage ; l’une des parties récupère la marque déposée (trademark) et la recette secrète du procédé de fabrication du rhum, l’autre gagne le droit de produire et de distribuer le rhum. Les deux camps commencent à se déchirer pour des histoires de royalties et finissent devant la justice. nous sommes en 1983 et à l’issu du procès (qui durera 7 ans) la justice américaine dévoile l’ingrédient principal de cette fameuse recette secrète : l’utilisation d’une macération naturelle à base de prunes et de gousses de vanille. (plus d’info sur cette page).

alors, droit ou pas le droit ?

Plusieurs problèmes se posent : les organismes de réglementation dépendent de l’admission des distillateurs, et aucun test n’est prévu pour mesurer un ajout d’arômes. Dans ce cas, comment savoir que le rhum a été altéré par l’ajout d’ingrédients ? On ne peut en fait pas.

en résumé : la réglementation est claire, mais laxiste et permet aux producteurs d’en jouer ; Ils sont très rares à admettre un quelconque ajout, et seuls quelques-uns s’élèvent contre ces pratiques en mettant en avant leur authenticité, en jouant sur une certaine transparence et sur le fait que leurs rhums ne sont pas altérés…

 



rhum de mélasse et rhum pur jus : mêmes dérives, même combat

Le chemin sera encore long avant que le consommateur ne soit efficacement informé de ce qu’il boit vraiment, mais si le rhum devient la boisson à succès qu’on lui prédit, alors il lui serait plus que profitable que de lui imposer une transparence totale, avant qu’il ne soit trop tard.

Une recette secrète et familiale, même vieille comme la canne ne doit pas être un frein à l’information, elle doit au contraire être mise en avant, valorisée pour ce qu’elle est vraiment, amoureusement et respectueusement..

autres articles traitant du même sujet :

Saccharhum’
Sacchar(h)um Bis
Lettre Ouverte de Franck Dormoy
Fin du cas la Favorite

Comments
16 Responses to “Lettre ouverte de Franck Dormoy”
  1. Schicklin dit :

    La question de la qualité ne se pose évidement pas, elle est bien là, et vos produits sont bon, aucune raison d’en parler, ce n’est pas la question ….

    Cela dit quand je lis « Une maison séculaire telle que La Favorite doit-elle révéler sur « la toile » ses secrets de fabrication, gardés précieusement depuis des années ? La transparence n’a-t-elle pas ses limites ?  » ça me hérisse les poils.
    Personne ne demandent les secrets de fabrication, il s’agit juste d’ être honnête …
    … Vos clients achète du RHUM, comme indiqué sur la bouteille, leur vendre autre chose, comme un rhum arrangé avec vos « épices et fruits confits naturels », c’est leur mentir. Et vous savez ce que les gens pensent du mensonge.

    • Jerry Gitany dit :

      Je suis entièrement d’accord pour la transparence et un défenseur , Cyril le sait. De là, á traiter les Dormoy de menteurs , il y a un pas á ne pas franchir, car le père Dormoy n’a jamais caché qu’il mettait des pruneaux dans certains de ces fûts ( Privilège et Flibuste ) .

  2. Nico dit :

    Le problème, c’est qu’on a toujours utilisé des épices et autres dans la fabrication des rhums en Martinique, alors remettre en cause l’appellation « rhum » je trouve ça un peu fort. Par contre en effet, la demande de transparence des consommateurs évoluant, peut-être qu’il est temps pour les producteurs de se rendre compte que les temps changent. Faire mention d’une préparation à base d’épices et de fruits confits NATURELS dans une jolie phrase sur leurs bouteilles pourrait être apprécié comme une mise en avant d’un savoir faire ancestral et serait valorisant, au contraire des rhums montés de toutes pièces aux additifs chimiques. La différence, en plus de celle de la qualité réelle de produit sur laquelle on ne trompe quant-à elle qu’un temps, serait ainsi faite et les rhums tels que ces cuvées exceptionnelles de la Favorite garderaient toute leur splendeur.

  3. SK dit :

    The transparency should have no limits. What if the secret ingredients cause a severe allergy to someone?
    All Foods/Drink ingredients must labelled.

  4. « aucun ajout non autorisé n’est fait lors de la mise en vieillissement.
    Aucun ajout non autorisé n’est fait lors de la mise en bouteille. »
    Mais quels sont les ajouts autorisés, exactement ?
    Uniquement le caramel, vraiment ?
    Et avant, pendant la fermentation, avant la distillation, on peut rajouter des trucs ?

    D’avance merci et A+ !

    • cyril dit :

      cela veut peut etre dire qu’il y a ajout ‘autorisé’ lors de ces étapes…
      mais selon la réglementation il n’y a pas d’ajout dans le ‘rhum’.

    • jojo le rocker dit :

      en fait, aprés distillation tu a le droit de rajouter tout ça : Édulcoration
      On entend par «édulcoration» l’opération qui consiste à utiliser un ou plusieurs des produits suivants dans la
      préparation des boissons spiritueuses:
      a) sucre mi-blanc, sucre blanc, sucre raffiné ou sucre blanc raffiné, dextrose, fructose, sirop de glucose, sucre
      liquide, sucre liquide inverti, sirop de sucre inverti, définis par la directive 2001/111/CE du Conseil du
      20 décembre 2001 relative à certains sucres destinés à l’alimentation humaine (1);
      b) moût de raisin concentré rectifié, moût de raisin concentré, moût de raisin frais;
      c) sucre caramélisé, produit obtenu exclusivement par chauffage contrôlé du saccharose sans adjonction de bases
      ni d’acides minéraux, ni d’aucun autre additif chimique;
      L 39/26 FR Journal officiel de l’Union européenne 13.2.2008
      (
      1) JO L 10 du 12.1.2002, p. 53.
      d) miel selon la définition de la directive 2001/110/CE du Conseil du 20 décembre 2001 relative au miel (1);
      e) sirop de caroube;
      f) toute autre substance glucidique naturelle ayant un effet analogue à celui des produits susvisés.

      Par contre s’il y a édulcoration alors tu ne peux pas bénéficier de la mention « traditionnel » qui est différent de la notion de rhum traditionnel et agricole.
      Par contre ici le rhum est aromatiser ( arôme, les substances aromatisantes, les préparations aromatisantes,
      les arômes de transformation, les arômes de fumée ou leurs
      mélanges;)
      Ainsi selon la définition actuelle, ce n’est pas du rhum mais un rhum aromatisé. il faudrait cette petite phrase : « Cela n’exclut pas les méthodes de production traditionnelles » derriere « Le rhum ne doit pas être aromatisé ». et cela me parait légitime.

  5. Cyril dit :

    Merci pour toutes ces infos cyril…. Il me parait évident qu’un rhum qui développe certains arômes de part la durée/méthode de vieillissement n’a pas du tout la même perception de qualité/travail qu’un rhum qui développe des arômes parce qu’on les y a ajoutés (à fortiori s’ils ne sont pas naturels…). Sinon, je vais me mettre à vendre mes rhums arrangés !!!! Sans préciser qu’ils l’ont été….
    Si les fabricants ne se vantent pas de ces ajouts, ni ne les mettent en avant (voire, les cachent…), ce n’est pas pour rien !!! Je salue cependant au passage les éclaircissements apportés par La Favorite (une fois le pot-aux-roses en partie mis à jour cependant…).
    De la même manière, je doute qu’il y en ait bcp qui ne seraient pas déçus en apprenant que le grand millésime qu’ils ont dégusté (et payé son prix…) a une douceur et un petit goût de fraise…parce que le viticulteur y a ajouté (avt vieillissement !) de la liqueur de fraise… qd bien même ça en ferait un excellent vin !!!!

  6. Imho, the matter is simple:

    according to the EU definitions, no rum may be called so if flavoured or sweetened (apart edulcoration).

    But it’s not a secret that BEFORE entering the still, the wash is added with spices, flavourants (possibly artificial), and yes… maybe strawberry syrup.

    We don’t blame these practices, these may be part of traditional or family recipes, and we don’t pretend to force the producers to reveal their secrets.

    But… if rum is (and should be) solely distilled from cane syrup or molasses, as stated by EU regulations, please, producers, be frank.

    Don’t call it rum if flavourants are added, no matter at which moment.
    Don’t call it rum if sugar is added above generally recognised edulcoration standards (20 g/lt ?)

    Otherwise you are fooling the consumer, which assumes that your spirit is made only from cane sugar and does not contain side products.

    It would be so simple if rums were legally divided into categories:

    – pure distilled cane sugar (or molasses)
    – flavoured rum (natural or artificial)
    – sugared rum (or rum based spirit)

    We don’t mind quality, we ask for clarity. It’s the minimal respect producers must grant to their customers in year 2015.

  7. L'Immond Pourriture dit :

    Ouais… Tout ça c’est honteux et complètement indéfendable. Je trouve que Cyril a été très gentil.

  8. Bonjour,

    je trouve les spiritueux « Favorite » très, même très très bon. Ils valent bien leur prix.
    Mais, il y a presque toujours un mais, en ce qui me concerne les « rhum » vieux ne sont pas un rhum AOC Martinique, ni un rhum tout court, car ils ne sont pas fabriqué selon les lois concernées.

    Quand j’achète un rhum AOC Martinique je le fais en faisant confiance au label et la surveillance. Ici tout cela n’a pas été respecté.

  9. JYVE dit :

    Merci Cyril pour ces différents articles qui lèvent quelques interrogations (et plus globalement pour la tenue de ce site).
    La question des sucres cache celle des autres produits ajoutés aux Rhums.
    (je me suis toujours demandé comment un rhum pouvait sentir la banane Haribo … j’aime bien les deux …). Au delà du plaisir que nous avons à déguster ces variantes, il est vrai qu’il serait bon de savoir si des produits sont ajoutés ou pas.
    « Oui » aux analyses plus poussées par des indépendants et « oui » à une obligation réglementaire d’afficher s’il y a des « ingrédients » en plus.
    Jyve

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