entretien avec Marc Sassier

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Son nom vous dit sûrement quelque chose, ou peut-être l’avez-vous déjà croisé sur un salon, dans une masterclass ou lors d’une visite à la distillerie Saint-James? Dans tous les cas, et à chaque occasion, il a sûrement répondu à vos interrogations avec une précision ultime, sans doute en débordant de détails et peut-être même d’anecdotes (voire de graphiques).

Et si vous n’avez pas encore eu ce privilège, l’entretien qui suit devrait vous donner une idée du personnage, en plus de permettre à certains consommateurs de finalement comprendre que tout ce qu’on leur dit (et vend), parfois même avec le plus exquis des sourires, n’est pas forcément vrai ; que la réflexion et la curiosité ne sont pas des vains mots, ni des gros mots.

Il est question dans cet entretien d’AOC et d’IG, de fantaisie, de finish et des dernières ‘évolutions’ réglementaires. Bonne lecture.

 

 

 


 

 

 

Marc Sassier, vous êtes œnologue chez Saint-James, mais vous êtes surtout un touche à tout avec une vision assez large de la réglementation qui encadre le rhum. Quels postes occupez-vous et avez-vous occupé ces dernières années?

Avant d’être chez Saint-James, je suis arrivé pour faire mon Service militaire de Volontaire à l’aide Technique au Centre Technique de la Canne et du Sucre, puis rapidement j’ai été contrôleur pour l’A.O.C. Martinique et donc en charge de l’application de deux décrets pour l’I.N.A.O. Puis en 2009, il m’a été demandé de rédiger le nouveau système de l’A.O.C. conformément aux directives européennes. En même temps, j’ai continué de me documenter et de collectionner sur le rhum de la Martinique, notamment sur son histoire et sa législation.

 

Aviez-vous rencontré des contraintes particulières lors de la rédaction du nouveau cahier des charges de l’AOC  ?

Cela requiert forcément de bien connaître les tenants et les aboutissants, notamment les textes et leur genèse. Il faut comprendre que les textes ont une vie qu’il faut cadrer au mieux lors de leur rédaction: d’une part, en fonction de possibles divergences d’interprétation entre administration et utilisateurs, avec parfois un travail de concert, comme lors de la prise de position de la France lors de la demande de la reconnaissance du rhum indien. D’autre part, en fonction des évolutions des règles générales, comme cela a été le cas avec le nouveau système en 2009 des dénominations géographiques, qui a amené un nouveau système. Antérieurement, il suffisait de produire dans des conditions A.O.S. ou A.O.C. pour pouvoir en bénéficier, alors que maintenant seuls les opérateurs identifiés et habilités au préalable y sont autorisés.

Finalement, pour ce nouveau Cahier des Charges, il a fallu faire adhérer au système les producteurs tout en défendant leurs intérêts dans la mesure des prérequis de l’I.N.A.O.
En 2009, certains étaient même prêt à abandonner l’A.O.C. pour une IG…

Cette connaissance du système et de son mode de fonctionnement en A.O.C. m’ont valu d’être élu Président des IG lors de leur mise en place, un peu plus tard, pour les autres DOM français.

 

Vous êtes dernièrement devenu le président du Syndicat de Défense de l’Appellation d’Origine Rhum Agricole Martinique (SDAORAM), en succédant à madame Claudine Neisson-Vernant. Quel sera votre grand chantier à la tête de ce syndicat?

Nous avons quelques étapes clés (sur lesquelles je reviendrai ailleurs dans l’entretien), auxquelles s’ajoute la révision de l’aire A.O.C., mais aussi de veiller à maintenir le cap de notre réussite en nous protégeant au mieux dans le vaste monde du rhum avec notre spécificité « agricole », que bien d’autres régions veulent employées, parfois même pour des rhums élaborés à partir de sirops…

Les professionnels doivent donc continuer à faire connaître cette différence, qui correspond ni plus ni moins à l’idée primordiale que n’importe quel producteur qui s’occupe de la fabrication du rhum, partant de la canne, la broyant pour en obtenir le jus qui une fois fermenté et distillé, donne du rhum.

Le plus « naturel » en somme, alors que cela ne représente même pas 2% de la production mondiale, qui est surtout issu de la mélasse et allégé par la redistillation ! et au final, combien de distilleries de rhum n’ont pas un pied de canne dans leur environnement immédiat? beaucoup…

Il convient d’appuyer cette différence de processus par la dégustation, car cela illustre bien l’écart possible entre les différents rhums élaborés dans le monde. Nos masterclass (au Japon, Chine,…) nous aident à développer notre « typicité ». Comme pour le whisky ou les vins, nous avons aussi notre palette aromatique spécifique, tout en laissant à chaque distillerie son style: pour le rhum blanc, les uns sont plus floraux, les autres portent plus sur les cannes mûres ; et en rhum vieux, on trouve de nombreuses variations en fruité, torréfaction, suavité…

 

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L’A.O.C., qui fête cette année ses 20 ans, a été instaurée grâce à la notoriété du produit, tout en régulant son mode de fabrication traditionnel ; elle est un gage de qualité pour notre rhum agricole. Le pari est réussi, la demande augmente, la mise en vieillissement explose… faisant naturellement bien des envieux. Finalement, ce ne sont que des facteurs encourageants.

Cette rigueur est pour moi nécessaire afin de rester différents des autres. Ce choix stratégique qui a permis à notre filière d’aller vers l’excellence doit maintenir son cap, et notre plus gros chantier est de maintenir et protéger cette réussite dans le temps.

 

Les amateurs sont souvent mis à l’écart de tout ce qui se passe au niveau législatif, tout comme ce qui concerne les mouvances de l’interprofession ; sans trahir les secrets de polichinelle, pouvez-vous nous en dévoiler quelques bribes?

Au niveau législatif, il n’y a rien de très attractif à participer à la rédaction de textes juridiques et il faut beaucoup d’échanges avec les administrations de tutelles pour arriver à un résultat définitif ; chaque partie ayant ses intérêts à défendre, sa propre compréhension du système… et au milieu de tout ça, l’interprofession doit trouver un consensus.

Actuellement, nous préparons la réponse à la Commission Européenne suite aux questions qu’elle a posées lors du dépôt de nos Cahiers des charges (IG et A.O.C.). Avec des questions de toutes sortes et une vision pas toujours « à la française »: ainsi, si nous avons plus tendance à privilégier la région de production, on nous demande ici de plutôt privilégier les catégories de rhum… réponse d’ici peu.

Entre temps, nous avons réactualisé avec l’I.N.A.O. et les Fraudes nos mentions de vieillissement, comme nos confrères pour les autres eaux de vie. Par exemple, un millésime devra avoir plus de 6 ans de vieillissement, tout comme un hors d’âge ou XO.

C’est à cette occasion qu’est revue la rédaction du décret de 1921, qui est à la base de beaucoup de règles en dénominations géographiques et en boissons, avec pour le rhum une mise au niveau du règlement européen de nos décrets et leur compilation en un seul (définition décret de 1988, vieillissement 1963 modifié et 1999, étiquetage avec celui  de 1921), ce qui n’est pas toujours si évident. Mais pas de révolution, plutôt une fortification de l’existant, voire de précisions qui seront apportées sur certains points.

 

Plus concrètement, qu’est ce qui se joue actuellement et qui pourrait changer les habitudes des consommateurs selon vous? et comment cela pourrait se matérialiser?

Nous avons actuellement un engouement pour le rhum, pas seulement comme boisson mais aussi comme valeur culturelle. De nombreux sites internet abordent dorénavant le rhum dans sa fabrication, son histoire et ses usages, permettant de mettre en avant des différences, des conceptions aussi.

Et le consommateur est gourmand de cette différence, de nouveautés…  Le terme « rhum » cache beaucoup de déclinaisons que l’on cherche souvent à classifier (réglementations nationales, classification proposée par Luca Gargano,…etc) selon divers modes (matière première, distillation, usage…) sans que cela soit pour autant si évident car les intérêts sont divers. Cet intérêt ouvre des perspectives, ainsi voient-on arriver de nouvelles marques et renaître de nouvelles distilleries, de nouvelles pratiques (comme le vieillissement en dehors de l’aire de production initiale), etc…

Ce n’est pas sans rappeler l’engouement des années 20 en France, où une législation peu encadrée sur le sujet ouvrait à divers produits qui n’étaient plus du rhum. Une catégorie de « rhum fantaisie » avait ainsi été établie, dans laquelle il suffisait de mettre quelques gouttes de rhum pour utiliser le terme. Elle a vite été abandonnée dans la loi de finances de 1933, qui instaurait que tout rhum mêlé à un autre alcool devenait une boisson spiritueuse (liqueur, punch au mieux).

Si nous, français, avons une vision assez stricte basée avant tout sur l’application du décret de 1921, le rhum n’est pas uniformément définit à travers le monde. Ainsi, en Inde le rhum peut-être élaboré à partir d’autres eaux de vie ; en Europe, un mélange de différents âges en rhum vieux prendra l’âge minimal quand d’autre prendront une moyenne ou un pourcentage de très vieux minima pour lui donner son âge, avec aussi des méthodes particulières de tenue des comptes.

On peut imaginer que cela puisse laisser libre cours à toutes sortes de productions qui pourraient encore s’appeler rhum, faute d’une attention minutieuse de la part de l’Europe en ce qui nous concerne. Ensuite, seul le consommateur avertit sera à même de choisir en connaissance de cause. Ce sont les consommateurs qui orienteront tout cela, selon leur volonté de transparence.

Notons que cet engouement a permis aussi de retrouver certaines pratiques, ainsi les barmans ont développés de nouveaux cocktails à base de rhum ou relancer le bar à la française si cher à Stephen Martin…

 

Cet engouement pour le rhum a aussi accéléré des dérives assez marquantes (édulcoration, aromatisation,..) qui tendent à renforcer cette image d’alcool cool, qui sans mauvais jeu de mot lui colle même à la peau. Le rhum est-il voué à rester à part dans l’esprit des gens ?

Il ne faut pas occulter la notion de plaisir dans la relation au rhum, ce qui ouvre des possibilités, comme je l’ai déjà évoqué ; pour résumé, il faut être vigilant afin de savoir ce que cache ce mot « rhum » une fois étiqueté sur une bouteille…

Le terme « rhum » n’est pas sans évoquer la piraterie avec son imaginaire et parfois cela semble coller à bien des productions se référant au rhum sans forcément en être. A trop se disperser, ce terme deviendrait encore plus commun par manque d’éloquence, non ?

 

Beaucoup de rhums extra-communautaires sont aromatisés et adoptent des étiquettes assez floues dans l’ensemble ; il peut donc paraitre très surprenant de voir des rhums agricoles -et certaines grandes maisons- commencer à être aussi évasifs sur leurs bouteilles (pas d’indication géographique ni aoc, etc..), qui laissent au final beaucoup de place aux doutes, jusqu’à même se poser des questions sur la provenance du rhum. Pouvez-vous donner des conseils simples et efficaces aux consommateurs pour y voir plus clair ? Qu’est-ce-qu’une étiquette doit ou ne doit pas mentionner?

Une mention ou une référence (géographique, âge,…) sur une étiquette peut être soumise à contrôle, ce qui veut dire que certaines mentions sont sujettes à une certaine garantie, comme c’est le cas pour l’ A.O.C. et l’ IG.

Ainsi, si on reprend votre exemple, un rhum agricole sans indication géographique est contraire au règlement 110/2008, qui « associe » le terme à une origine d’un département domien ou de Madère.

On revient à la définition des termes…
Et sans reprendre les exemples déjà cités, prenons le cas du vieillissement où il existe deux grands modes de vieillissement : celle reconnue pour les spiritueux par l’Europe, à savoir qu’en cas de mélange de divers âge le plus jeune l’emporte, alors qu’existe dans d’autres pays la méthode Soléra, où il m’est difficile de comprendre la subtilité du calcul de l’âge du rhum.

Ainsi, si du rhum est prélevé en cours de vieillissement, on complète ce manque par ce qui serait le niveau inférieur… c’est un peu comme la remontée des saumons.

Supposons 4 niveaux d’âge: la sortie du 4ème d’une certaine quantité suppose son remplacement. Or, cela peut arriver à n’importe quel moment de l’année et il n’y a donc pas de date anniversaire !
Raisonnons « marché européen » maintenant : son règlement nous apprend que c’est l’âge minima qui l’emporte, donc ce serait du 3 à priori par l’adjonction du niveau juste inférieur. Or, ce niveau 3 vient lui-même d’un complément de 2, qui avec le même raisonnement amène donc le niveau 3 à être du 2 et ainsi de suite jusqu’au compte 0. Donc on ne peut déterminer l’âge, et au regard du règlement européen, tout est du compte 0, puisque la seule chose sûre est le remplissage initial.

 

Qu’est-ce-qui pourrait alors garantir l’âge réel d’un rhum au consommateur?

Il faut une implication administrative forte qui peut garantir l’âge d’un rhum vieux au consommateur ; d’ailleurs, cela n’est pas anodin car l’Europe dans un traité commercial à accepter le rhum du Guatemala qui présente pourtant cette technique (Solera) pour l’âge du rhum… Ainsi, il n’y a pas que des visions différentes d’un produit, il y a aussi les différentes réglementations nationales qui en découlent…

Dans ces conditions, il est difficile de conseiller faute d’harmonisation, sauf peut-être sur des embouteillages de pays avec une réglementation plus stricte et plus informative auprès du consommateur, comme la France sans être chauvin.

Il faut alors souligner des initiatives privées de sites internet ou d’associations qui parfois font grincer des dents à vouloir comprendre les tenants et aboutissants. Ainsi ‘Guardians of rum’ qui a été initiée en Italie, avec pour but de labelliser des rhums dont la traçabilité et connue et dont la production correspond à des critères « attendus » pour le rhum. C’’est pourquoi deux producteurs martiniquais ont été associés, à savoir Neisson et Saint-James, qui sont deux maisons attachées à l’A.O.C. Martinique depuis sa création. Maintenant il faut arriver à jouer la partition…

 

D’ailleurs, pouvez-vous nous donner les grandes différences entre IG et AOC ? Le consommateurs ne se posant généralement pas assez la question et n’y voyant qu’une unique question de provenance.

La provenance géographique est essentielle, mais il y a aussi le niveau de contrôle associé.
L’A.O.C. est par essence plus « qualitative » qu’une IG ; dès lors, cet élitisme repose sur des contrôles plus stricts. Ce n’est pas tant le rajout de critères inventés par l’I.N.A.O. (qui gère les dénominations géographiques en France) comme on pourrait nous laisser le croire parfois, mais de garantir par plus de critères liés au produit sa typicité organoleptique. Ces critères sont établis à partir du process traditionnel existant et reconnu pour la production de l’A.O.C.

Je peux vous donner quelques exemples pour l’illustrer tout au long du process :

> La canne peut être produite dans tout le département pour les IG domiennes de rhum, alors que l’A.O.C. définit des parcelles de production délimitées avec une traçabilité des livraisons , sans oublier la qualité des cannes (Brix, pH) et la quantité (moins de 120 tonnes/ha) que n’ont pas les IG.

> Les jus sont extraits à température pour l’A.O.C. Martinique et sans contrainte en IG.

> En AOC, les fermentations doivent avoir lieu en cuve de moins de 500 hl, durer moins de 120 heures et à moins de 7,5% en alcool final, alors qu’il n’existe aucune contrainte en IG.

> En distillation, les montages (nombres de plateaux, matériaux, montage) sont plus exigeants en AOC, tout comme la palette de degré de coulage qui n’est pas imposée en IG ; tout comme l’extraction pendant la distillation qui est autorisée en IG et interdite en A.O.C.

> Pour les rhums blancs, l’élevage en Martinique est de 6 semaines contre 3 dans les autres DOM.

Au final, la production en A.O.C. présente donc des garanties plus nombreuses tant qualitatives que quantitatives sur son process. Et à ce jour, seul le rhum agricole de la Martinique l’a obtenue depuis 1996.

Les Cahiers des Charges de chacune des dénominations sont disponibles sur le site de l’I.N.A.O. est accessibles à tous.

 

Comme pour le Whisky, on semble aussi voir de plus en plus de NAS (No Age Statement=du rhum sans aucune mention d’âge) débarquer ; Y a t-il selon vous une réelle pénurie de rhum vieux actuellement, ou assiste-t’on à un énième coup de passe-passe ?

Le rhum vieux nécessite l’art délicat de la patience et sa production se prépare bien en amont.

L’engouement du rhum n’a pas été anticipé ou perçu, par tous de la même façon, et l’envolée des ventes, avec quelques calamités climatiques qui ont réduit les quantités de rhum blanc mis en vieillissement, ont pu entraver quelques producteurs pas assez prévoyants et faire fondre des stocks martiniquais. Mais en général, la Martinique est bien en avance en terme d’élaboration et de stockage de rhums vieux sur les autres DOM et ne produit que des rhums vieux agricoles en A.O.C.

 

Avez-vous une vision, même approximative, de l’état des stocks de rhum vieux?

L’état du stock reste approximatif, mais il faut compter entre 10-20% de mise en vieillissement par an, même si cela peut varier selon les opérateurs, les disponibilités en rhum, les futailles, la place,…etc.

 

Est-il possible aujourd’hui, selon vous, de sortir des rhums vieux de 25, 30 ans ou plus, comme on peut en voir chez certains producteurs, qu’ils soient des DOM ou d’ailleurs ?

Avec une évaporation de 8% par an, il ne reste qu’un tiers du rhum initial au bout de 15 ans…, et au bout de 50 ans, la seule trace de rhum qu’il reste est emprisonnée dans le bois. Le consommateur curieux aura vite fait le calcul.

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C’est purement mathématique! Sans ouillage, et passé 30 ans en barrique de Bourbon classique, il ne reste que 20 litres théoriques, dont une grande partie imprègne le bois. Et ce n’est guère mieux en Cognac… Et sachant que vernir un fût est interdit en France, je ne vois pas comment quelqu’un pourrait sortir un tel produit.

 

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Par contre, dans certains pays où l’on voit des rhums affichés près de 20 ans et une couleur à peine jaune, on peut se poser des questions ; c’est là que la méthode Solera, que nous avons déjà évoqué plus haut, permet d’expliquer bien des choses.

La tenue des comptes de vieillissement prend alors toute son importance pour garantir les âges des rhums vieux ; et si les Douanes les suivent en France et que chaque dénomination géographique est partie sur une reprise des stocks, qui nous le garantit en dehors de la France?

Le règlement européen prévoit comme seul ajout du caramel colorant, pour ajuster le rhum et donc sa couleur plus ou moins foncée. C’est pourquoi le vieillissement est strictement réglementé en France, où le terme vieux ne peut être donné qu’à un rhum traditionnel et donc vieilli par des détenteurs de comptes de vieillissement, qui ne peuvent être que dans la région de production du rhum.

 

[ pour aller plus loin, on vous invite à lire ce précédent article : « Mythe ou Réalité ? » ]

 

Au vu de votre parcours et de votre expertise dans les différentes institutions régulant le monde du rhum, et d’un avis strictement réglementaire, peut-on légalement aujourd’hui en Martinique sortir un produit portant le terme de « rhum » (vieux, hors d’âge, etc..) avec un taux de sucre de 20 grammes et plus par litre? (sucre qui peut être présent sous différentes formes : macération, sauces, vins, fruits, etc..) ?

Vous pouvez trouver la réponse dans les 2 règlements européens (110/2008 et l’INCO pour l’étiquetage) et en France dans les décrets de 1988 et de 1921 (étiquetage).

Le règlement 110/2008 dans son annexe  II définit le rhum au point 1, et je vous invite à lire attentivement le point f) :

f) Le terme «traditionnel» peut compléter l’une des indications géographiques mentionnées dans la catégorie 1 de l’annexe III lorsque le rhum est produit par distillation à moins de 90 % vol après fermentation alcoolique de produits alcooligènes exclusivement originaires du lieu de production considéré. La teneur de ce rhum en substances volatiles doit être égale ou supérieure à 225 grammes par hectolitre d’alcool à 100 % vol et il ne doit pas être édulcoré. L’utilisation du terme «traditionnel» n’exclut pas l’utilisation des termes «issu de la production du sucre» ou «agricole», qui peuvent être ajoutés à la dénomination de vente «rhum» et aux indications géographiques.

Il est à noter que le point a) définit en ii le rhum agricole et prévoit qu’il est « assorti » de l’une des indications géographiques des départements français d’outre-mer et de la région autonome de Madère enregistrées à l’annexe III. Le rhum agricole est donc exclusif à ces régions et nul ne peut mentionner agricole sans être adjoint de la dénomination géographique.

 

Quel terme devrait alors figurer sur ce genre de produit ?

La réponse est également dans tous ces règlements et décrets: cela devient une « boisson spiritueuse » à minima, mais peut aussi être considéré comme une liqueur ou un punch selon sa composition. Aux point c et d sont mentionnés les seuls ajouts autorisés pour les autorités françaises ; sémantiquement, le « ne peut être additionné que », empêche tout autre ajout :

d) Le rhum ne doit pas être aromatisé.
e) Le rhum ne peut être additionné que de caramel afin d’en adapter la coloration.

 

J’invite également à lire l’INCO (Règlement 1169/2011), car il prévoit aussi les noms composés, les liqueurs de boisson spiritueuses et autres.

Ainsi les rhums « spicy », si communs dans les rhums importés, ne répondent guère aux conditions européennes, en corrélation avec le point c du règlement 110/2008 qui interdit l’aromatisation… Les règles existent, maintenant se pose la question de leurs application.

La question du sucre ressurgit par l’importation de rhum étrangers qui en contienne. Et avec l’alignement du traité de Lisbonne, il est même envisagé d’introduire un taux maximal: le traditionnel serait toujours sans sucre, avec en même temps une croisade sanitaire contre le sucre dans les aliments.

 

Pouvez-vous nous donner plus de détails sur ce projet d’introduire un taux de sucre maximal? et de quelle quantité parle t-on ?

Cette demande n’est pas récente et certains états membres avaient déjà évoqué le sujet sans qu’un consensus ne soit trouvé. Cette fois, la formulation intéresse plus d’états et un consensus semble se trouver autour de 20 grammes, mais ce n’est pas encore voté ; affaire à suivre…

Sur une proposition de Mr Claverie de Guadeloupe, nous avons demandé à spécifier que l’édulcoration ne soit faite qu’au « sucre de canne »,  pour rester dans la logique de la catégorie « rhum ».

 

Ne pensez-vous pas qu’imposer un taux (et donc un ajout volontaire), par nature non naturel au produit, visera à en annihiler ses particularités organoleptiques ?

Pourtant il semble bien naturel à nombres de producteurs non DOM français, avec même des taux allant jusqu’à 40 grammes…

La question organoleptique est intéressantes puisque le rhum doit en présenter les caractéristiques organoleptiques. J’avais déjà évoqué l’influence du sucre dans un rhum, qui est notable au-delà de 5g/l sur les arômes qui le caractérise en l’absence de sucre.

Mais là encore on peut vous répondre que ce taux de sucre participe au goût caractéristique d’un rhum, alors qu’à mon avis, légalement, c’est plus proche d’une liqueur ou d’un punch. Certaines des édulcorations se font par des sirops de glucose et autres, qui souvent proviennent de la betterave… et on ose parler de rhum !

 

Une porte ouverte encore plus grande aux « finish » qui ont le vent en poupe ces derniers temps, et qui s’apparentent souvent à des aromatisations ?

Quand je parlais du « rhum fantaisie » donné dans les années  20 qui a abouti au décret de 1921 contre les falsifications, c’était également pour lutter contre des pratiques peu recommandables, comme l’usage de goudron pour donner de la couleur au rhum, mais aussi de toutes sortes de décoctions dont nous tairons les recettes que l’on trouve aisément dans la littérature.

La question du finish est d’actualité, car s’il s’agit d’un usage en whisky qui l’a inscrit dans le 110/2008. Pour le rhum, c’est une pratique récente qui n’étant pas prévue dans le 110/2008, relève donc à l’heure actuelle de l’INCO, qui en cas de concomitance de deux catégories différentes donne au mélange le nom de « boisson spiritueuse ».

Nos dénominations géographiques travaillent sur le sujet, tant avec l’I.N.A.O. que les fraudes, sachant que l’administration restera vigilante sur le risque d’aromatisation et de confusion au détriment du rhum vers l’autre dénomination géographique. Sans oublier que des dénominations géographiques commencent à s’opposer à ce genre de pratiques avec leur produit.

 

Reste alors l’AOC et son jury de dégustation pour essayer d’y voire plus clair ?

En A.O.C. Martinique, nous dégustons en effet tous les lots proposés et en cas de modification de la typicité trop marquée, ces rhums ne peuvent prétendre à l’A.O.C.

Les IG n’ont pas un dispositif aussi strict de 100% des lots et parfois deviennent le refuge de ce genre de produit qui ne trouverait pas leur place en A.O.C.. Ainsi, à la demande des IG, celles-ci seront vigilantes sur le sujet pour garantir au consommateur la qualité gustative de leur appellation. Cela s’inscrira dans les Cahier des Charges pour rendre légal le finishing: à l’heure actuelle, les discussions sont entamées sur les modalités de mise en œuvre et d’étiquetage.

Pour le taux de sucre dans les rhums, d’expérience, l’usage de certains fûts de vins ayant eu du sucre (Porto) ou liquoreux amène à la présence de légères quantités de sucre dans le rhum qui normalement n’affectent pas le goût du produit, mais on reste très loin des taux trouvés dans certains produits.

 

Après toutes ces nouvelles réjouissantes, vous souhaitez ajouter quelque chose pour conclure?

Le terme ‘rhum’ englobe de nombreux produits et l’on voit que si la législation existe, elle n’est pas encore homogène au niveau international (si encore elle existe) et reprend bien souvent des usages marchands amenant à bien des déclinaisons. Cela ouvre un champ de possibilité que la législation vient encadrer, car si elle n’existait pas, que nous vendrait-on comme rhum? et que deviendraient les producteurs actuels? cela n’est en effet pas nouveau.

D’ailleurs, sans ses règles, comment pourrait-on par exemple envisager l’engouement pour le rhum agricole? Pour ma part, je ne perçois pas la législation existante comme anti-libertaire, mais bien au contraire utile pour codifier et identifier le rhum par ses particularismes et non par la mode du moment.

Il y a assez à faire avec de telles règles pour que chaque producteur puisse trouver sa place avec la législation comme garde-fou, mais encore faut-il que cette législation soit appliquée.

 

Comments
6 Responses to “entretien avec Marc Sassier”
  1. Alexis dit :

    Bonsoir Cyril,

    Je sais que beaucoup de distillerie, pour ne pas dire toutes, des DOMs utilisent des fûts de bourbon, de seconde main donc.

    Quelles différences entre cette pratique extrêmement répandue et un finish?

    Merci d’avance pour ta réponse.

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    • cyril dit :

      Salut Alexis,
      le « finish » est une étape supplémentaire que certains producteurs apportent à un rhum précédemment vieilli dans un autre fûts (généralement en fût de Bourbon), et qui consiste à mettre durant quelques mois le rhum dans un fût ayant contenu précédemment un autre alcool (spiritueux en tout genre, vins mutés, vins classiques : whisky, porto, madère, armagnac, sauternes, etc..), pour l’imprégner de l’ancienne palette aromatique de ces fûts et lui donner une ‘finition’ qui sera plus ou moins marqué

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  2. david mauclair dit :

    Superbe article ! Merci Cyril (et Marc) pour cette perpétuelle recherche de la qualité et la volonté de donner un maximum de transparence aux consommateurs passionnés que nous sommes.

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  3. Jean-Marie dit :

    Belle lecture.
    MERCI.

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  4. François dit :

    Bonjour Cyril,

    Merci pour cet entretien décidément très intéressant. On a effectivement le sentiment d’un « foisonnement » dans les initiatives des distilleries pour répondre à une certaine mode du rhum, avec un résultat parfois discutable (en particulier sur la question des finish, pas tous réussis…).
    Je suppose que c’est un peu le prix à payer ; le monde du whisky (qui sert de boussole pour un certain nombre de producteurs) a aussi connu cette multiplication des pratiques avant de réussir à encadrer la production. Le fait que le monde du rhum comporte davantage de pays producteurs, et donc autant de situations historiques, ne facilite pas la tâche de rassembler à présent le troupeau…
    Heureusement qu’il existe quelques très bons sites internet pour que le consommateur puisse se renseigner 😉 On attend aussi que les producteurs fassent l’effort de la transparence (disons au moins ceux qui y ont un intérêt, pour être réaliste)

    Bonne continuation !

    PS : sur le 2e graphique, je suppose qu’il s’agit en réalité du volume qui est sur l’axe des ordonnées ? Sinon, à 200 % de remplissage, ça doit être un sacré chantier dans les chais 😀

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    • cyril dit :

      Salut François et merci (et exact)
      pour répondre à une certaine mode, à une certaine demande, et donc avec des visées à courte durée. On profite du buzz pour écouler en quantité, et pas toujours en respectant les règles du jeu, que par ailleurs d’autres acceptent.

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