Direction Monymusk dans la paroisse de Clarendon, pour le dernier volet de mes ‘balades’ en Jamaïque. Une énième distillerie qui aura vendu en vrac l’essentiel de son rhum avant de finalement créer sa propre marque en 2012. Une distillerie qui sait allier tradition et modernité : avec d’un côté de la distillerie une multi-colonne, qui produit des rhums légers, et de l’autre un entrepôt qui cache un trésor : deux pot-still à même de produire des rhums allant de 600 à 1 500 grammes d’esters par hectolitre d’alcool pur. Visite entre deux mondes…
Clarendon, la distillerie 2 en 1
Samedi 3 février 2018. direction le sud de l’île où l’on fabrique du rhum à partir d’une mélasse locale depuis le 18ème siècle ; les champs aux alentours en attestent, la matière première ne manque pas et semble s’épanouir sans pareil. La quiétude des terres est bientôt fendue par les cheminées de la sucrerie qui façonnent maintenant l’horizon, bientôt suivies de la triple colonne qui pointe le bout de son nez. Nous y sommes. Le lieu a plus des allures d’usine et n’est franchement pas fait pour les visites.
Deux mondes se confrontent à la distillerie Clarendon : celui de la modernité technologique, avec d’un côté la triple colonne en activité depuis 2009, fruit de l’investissement de plusieurs millions d’euros (et co-financé par l’Union Européenne) ; et celui de la tradition, avec à quelques mètres de là l’ancienne distillerie construite en 1949, qui abrite les alambics de la maison Clarendon.
La triple colonne attire toute l’intention et se dresse fièrement vers le ciel ; elle représente la modernité, le dernier cri du genre où tout est informatisé ; la distillation 2.0 si vous préférez. Et avec elle un rhum qui sortira de 94% à…96,6%. Clarendon peut aussi bien produire du rhum que de l’éthanol, et tout le process de fabrication se passe derrière les colonnes, où sont dissimulées 4 énormes cuves de fermentation fermées de 200 000 litres.
Michael Dunkley, le manager en charge depuis 2009 (qui travaillait à l’usine sucrière annexe depuis 1984, aujourd’hui propriété d’un groupe chinois) n’est pas peu fière de cette quasi neutralité, car l’alcool se vend très bien. Le rhum qui en sort pour la marque Monysmusk (assemblage de rhum de la triple colonne et des pot stills) n’est pas dénué d’intérêt, et une dégustation en fin de visite montrera même de belles qualités à un rhum vieilli issu de ces colonnes. Drame des temps modernes, il existait précédemment d’anciennes colonnes, malheureusement démantelées depuis et vendues à la ferraille.
Grâce à cette multi-colonne, Monymsuk produit plus de 10 millions de litres d’alcool pur par an, entre le mois janvier et le mois d’octobre, et peut atteindre les 18 millions à plein régime. Énorme? plutôt pas mal pour une raffinerie. Elle fait indubitablement partie des plus grosses distilleries au monde et le terme d’usine est loin d’être usurpé. Une bonne partie de sa production est utilisée pour les marques Captain Morgan, propriété de Diageo depuis 2001 (anciennement Seagram et qui tire aussi sa source chez Long Pond), mais aussi pour le rhum Myers (et d’autres marques comme Smatt’s et Port Royal). Ainsi, plus de 90% de la production de Clarendon part à destination de Diageo.
Les conduits qui partent de la triple colonne mènent vers un autre entrepôt, plus vétuste qui renferme le côté plus traditionnel de Monymusk : il s’agit de l’ancienne distillerie, debout depuis 1949, qui abrite les pot stills et les salles de fermentations qui s’y référent.
C’est entre ces tôles que la distillerie Clarendon produira son rhum le plus aromatique, grâce à deux alambics ‘double retort’ : un premier de la marque Vendome, en fonction depuis 1998 et d’une capacité de 20 000 litres ; et un second mis en place en 2009 d’origine indienne (en provenance de la société Disti Chemi) qui répond au doux nom de Calandria-i, d’une capacité de 25 000 litres ; sans doute un des alambics les plus imposants au monde. A eux deux, ils produisent l’équivalent de 3 millions de litres d’alcool pur par an, une goutte d’eau comparé aux 10 à 18 millions que peut cracher la triple colonne voisine.
Deux rhums, ou plutôt 2 « marks » sont produites ici, fruit de deux fermentations bien différentes : un rhum léger (light) et un rhum lourd (heavy).
Pour fabriquer le premier, la distillerie lance une première fermentation ‘start-up’ dans 3 différentes cuves en bois (levains naturels), pour une durée de 3 jours, avant de la partager dans des cuves métalliques situées au niveau au-dessus pour une courte durée (24 à 30 heures).
(photo ci-dessus de Fredi Marcarini)
(photo de Fredi Marcarini)
Le rhum heavy (lourd) a un tout autre traitement de faveur, et nous plonge quelques siècles en arrière :
dans une batterie de cuves en bois, la distillerie mélange des cannes broyées, du jus de canne, de l’eau et de la mélasse (mais pas les vinasses/dunder) ; tout est laissé à macérer durant 15 jours avant de passer 15 jours supplémentaires au niveau supérieur dans d’autres cuves. Le résultat est un moût beaucoup plus chargé en esters qui titre autour de 4% (contre + ou – 8% habituellement), qui aura fermenté, au total, un mois. En témoigne l’odeur qui règne ici, pesante et animale. La distillerie pourra sortir un rhum affichant un vertigineux taux d’esters de 1 500 gr/hectolitre d’alcool pur, soit l’équivalent du rhum DOK de chez Hampden.
(photo ci-dessus de Fredi Marcarini)
Le rhum sortira en moyenne à 85% dans une version light (rhum léger) et heavy (rhum lourd) selon les souhaits, et donc le type de fermentation.
Cette visite aura été déstabilisante à plus d’un titre, avec l’impression de voir sur les mêmes installations, dans le même complexe, le meilleur et le pire du rhum. La multi-colonne, synonyme de modernité, a ailleurs tué ce qui restait d’authentique chez de nombreux producteurs, plus enclin à répondre à une production de masse qu’à conserver un héritage. Mais ici à Clarendon, on peut passer de ce monde aseptisé et métallique, propre et soigné, à un univers nettement plus cru et abrupte, tranché et rustre, et même rustique.
Et même si cette cathédrale métallique rapporte la majorité des revenus de la distillerie, la direction a souhaité garder une production plus traditionnelle, et voir ces deux mondes tout juste séparés de quelques mètres donne le vertige, non sans inquiéter, qu’un jour la modernité prenne définitivement le dessus. Ce n’est bien sûr pas à l’ordre du jour, mais l’ambiguïté soulevée ici interroge, et n’a sans doute pas fini de surprendre.
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Bonjour,
On a vraiment l’impression de voyager avec cette article.
Je n’ai pas encore les moyens de faire ce genre de voyage, mais j’ai hâte de pouvoir visiter les distilleries dans les îles. Merci de nous faire partager ton expérience.
Feras-tu une description des deux rhums de chez Clarendron que tu as pu déguster su place ?
Salut Régis et merci
Je n’ai gouté « que » des échantillons chez Clarendon, mais à l’occasion oui 🙂
Salut
Comment ça « à l’occasion » ? Après 3 visites de distilleries on attend tous un article spécial dégustation de jamaïcains avec un déluge d’esters et de sensations fortes ! 😉
Laurent
ahh, déjà qu’une session Hampden fait dangereusement tourner la tête… 😉
En un mot, bravo! Très belle série de reportages où les mots et les photos se conjuguent pour retranscrire à merveille ces ambiances si différentes qui se baladent sur l’échelle de la modernité et de l’histoire.
Je retiens particulièrement les bains bouillonnants et l’allure fantomatique de Hampden, le gigantisme mêlé aux craquelures des alambics de Long Pond et les paradoxes de Clarendon…
Une belle invitation au voyage, merci !
Bonjour Pierre-Yves et merci !
c’est exactement le fil conducteur de ces voyages 🙂
la suite bientôt
Salut Cyril;
As tu pose tes valises en Jamaique?..))
Quand aura-t-on le Plaisir de te lire a nouveaux?!))
A bientot j’espere
Salut Sébastien,
haha non 😀
je suis en quelque sorte en mode pause et déconnecté ; j’en profite pour avancer sur mon projet et sur d’autres articles à venir.
A bientot