Appleton acte 2
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En mars dernier, nous vous proposions une dégustation croisée exhaustive des rhums de chez Appleton, en allant de leurs blancs jusqu’à leurs 12 ans d’âge. Nous clôturons cette fois l’aventure avec quelques rhums commémoratifs ainsi que les plus vieux de la gamme en partant de leur tout premier premier 20 ans jusqu’à l’énigmatique 50 ans.Certains des samples et bouteilles dégustées ici proviennent du collectif Rumaniacs. ; vous pourrez d’ailleurs retrouver les notes de dégustations de mes comparses sur le site.Et comme pour la première session, le but ici est de faire une comparaison des rhums à travers l’histoire de la distillerie pour y déceler des différences, des préférences, bref des changements minimes ou notables afin de faire sérieusement, et le plus précisément possible, le tour du propriétaire. Trêve de blabla et direction la Jamaïque.
Appleton Reserve 20 circa 70 / 43°Une jarre en grès de 75cl des années 70 qui contient un rhum de 20 ans d’âge réduit à 43°. Existe aussi en 12 ans. Avec comme inscription un toujours bien placé « aged in wood 20 tropical years« . D’un bel ambré brillant, la robe est huileuse et les jambes imposantes. En bouche, l’attaque est chaude et huileuse, sur un mélange d’exotisme (mangue, papaye), d’asphalte et d’agrumes séniles lui procurant une belle fraîcheur ; en parfait accord avec le nez et une nouvelle preuve de l’équilibre ahurissant de ce 20 ans. La bouche se poursuit vers plus de noirceur, de poivre et de saumure, avec une nouvelle fois les agrumes et leur jus acidulé. Le chêne parle aussi, apportant de petites touches d’amertume, mais la fraîcheur, saline, a la bonne idée de l’éclipser aussi vite qu’il est arrivé, dans une finale moyennement longue mais persistante et purement jamaïcaine. L’exotisme revient après de longues minutes comme pour enfoncer le clou. Une gifle. Un rhum très bien équilibré à la complexité savante. C’est en dégustant ce genre de rhum qu’on regrette sincèrement les sorties récentes: il est riche, fondant, acidulé sucré et asphalté. Le meilleur d’Appleton? Manque juste de longueur si on veut chipoter. Note: 89
Appleton 21 circa 90 / 43°Le premier 21 ans à sortir de chez Appleton à la fin des années 90, en édition « limitée » : il est fait mention de 12 000 bouteilles produites annuellement (ici la #1999). Le maitre assembleur de l’époque est alors Owen Tulloch.
Robe ambrée soutenue cuivrée, grasse et éclatante. En bouche, le rhum apparait huileux et sucré, moelleux même (et gras) sur une réglisse qui inonde la bouche et se mélange à du cuir et des agrumes ; très charmant, gorgé d’épices douces et aimantes (cannelle, vanille), avec un peu d’olive pour une belle concentration, pour un rhum sérieux et sombre, plantureux et fécond. Sa fin de bouche est très réglissée (tendance bonbon au zan), accompagnée une nouvelle fois d’épices, de cuir, et persiste un long moment. Un Appleton à la bouche très concentrée sur la réglisse (bonbon, zan), mais sans écœurement niveau sucrosité. Et au final très différent du 20 ans. Note: 85
Appleton 21 / 43°Le 21 ans « dernière génération » qui date des années 2000, toujours proposé à 43°. Appleton en profite pour peaufiner et épurer son packaging.
Le rhum est ambré soutenu tirant sur le bronze, et sa robe plutôt grasse et d’une belle brillance. En bouche, c’est gras, limite mielleux (surtout comparé aux rhums précédents du même âge), avec un côté plus passe- partout et à la limite du liquoreux. On retrouve ce sucre brun, le caramel et la vanille, et…l’orange. Le rhum n’est pas désagréable, au contraire, mais il devient assez rapidement écœurant et sec en bouche. Fidèle au nez en ce sens, mais ni complexe ni vraiment très Appleton. Avec le repos, un peu plus de vanille, de cannelle, de fruits secs et de chêne, avec le coté caramel qui domine toujours. La fin de bouche est assez courte, sans vraiment de persistance aromatique et le rhum s’éteint plutôt rapidement, sur de douces épices grillées et un zeste caramélisé. Un 21 ans dans l’air du temps, consensuel, agréable mais fatalement moins identitaire que les précédentes versions. Note: 82
Pour finir, passons aux rhums commémoratifs:
Il faut ajouter à cette liste le Appleton « Joy » sorti en 2017 pour célébrer cette fois la 20ème année de Joy Spencer aux services de Appleton en tant que Master Blender (un assemblage de rhum de 25 ans et plus).
Appleton Estate Master Blenders Legacy Rum / 43°Un embouteillage spécial pour célébrer le travail de trois générations de master blender (Joy Spence, l’actuelle, Owen Tulloch l’ancien, et David Morrison le protégé de Joy Spence). Il s’agirait d’une base de Appleton 21 ans à laquelle a été ajouté des rhums de 12, 15 et 18 ans.
La robe est ambré soutenu et tire sur le cuivre, grasse aux larmes plutôt gourmandes. En bouche, l’attaque est très douce et légère, sans heurt et un peu moelleuse. Le rhum fait plutôt parler la jeunesse, celle des tanins encore incisifs et des épices encore vertes ; l’ambiance est âcre, légèrement amère et c’est le fût qui parle : chêne, vanille, 4 épices, et nos écorces d’orange et de citron qui semblent participer à cette amertume bienveillante, bientôt rattrapée par des notes plus poivrées. C’est toujours assez sec en bouche, presque beurré (beurre à l’orange), et la finale reste fidèle à la dégustation: sur fond de chêne, d’épices et d’écorces, laissant derrière une légère amertume en bouche. Le rhum disparaitra néanmoins bien trop vite. Ce n’est sans doute pas le rhum qui représentera le mieux le travail d’assembleur, à moins que le but ait été de mettre en avant la jeune génération, et donc des rhums plus jeunes qu’à l’accoutumée? Note: 76
Appleton 250th anniversary Edition / 43°Sorti en 1999 pour commémorer le 250ème anniversaire de Appleton (depuis 1749), il s’agit d’un assemblage de rhums de différents âges (certaines sources font mentions de 25 à 50 ans) sorti sous forme de carafe à 6000 exemplaires. On rentre un peu plus dans le haut de gamme de la marque, avant de s’attaquer au 50 ans.
Robe cuivrée excessivement brillante, vieil-or fondu où les larmes ont été remplacées par des ballons de foot. A l’attaque, le rhum est mielleux et vous englobe la bouche, déversant une mélasse partout en bouche, accompagné de réglisse noire et d’épices grillées (caramélisées même). Très orienté mélasse et sucre caramélisé, c’est sec et monolithique, en plus d’être assez sucré en bouche. La fin de bouche est étrangement courte, très sèche, comme littéralement absente. On retiendra quelques souvenirs embrumés de réglisse et d’épices grillées. Un rhum classieux mais comme collant, pâteux. Affiché à 43° et au vu de la bouche sucrée et de la finale quasi inexistante, il sera mesuré au Anton Paar à 40,8, soit l’équivalent de 8,8g/L d’ajout éventuel. Étrange manière de fêter un anniversaire. Note: 77
Simple erreur de parcours, ou tour de passe-passe pour rendre abordable (buvable) un rhum devenu trop tannique ou marqué par le temps ? Le 50 ans va sans doute nous apporter un début de réponse…
Appleton Estate 50 ans / 45°Un assemblage de rhum de 50 ans et plus, sorti pour commémorer l’indépendance de la Jamaïque en 1962. La petite histoire raconte que juste avant que le pays ne reçoive son indépendance, Appleton a mis de côté quelques fûts dans le but de sortir ce blend 50 ans plus tard ; C’est Joy Spence qui réalisera l’assemblage final, une combinaison de rhums issus de pot still et de colonne traditionnelle, dont la part est tenue secrète. Une « double filtration à froid » aurait permis d’éviter des tanins trop prononcés à la fin du process de vieillissement, et l’assemblage final serait resté un « certain temps » en cuve avant embouteillage. Cet embouteillage d’Appleton est encore aujourd’hui le plus vieux rhum jamais sorti et vieilli sous les tropiques. 50 ans, rien que ça…. Alors mythe ou réalité ? Vous connaissez sans doute déjà toutes les contraintes techniques qu’implique un vieillissement aussi long, alors qu’en-est-il pour ce rhum ? Nous connaissons déjà le sérieux de la maison, mais aussi ses énormes stocks lui permettant sans doute une telle aventure, et nous pouvons donc nous poser la question en toute légitimité. Même si l’on imagine techniquement difficile une telle épreuve (du temps), surtout sous les tropiques, il convient d’aller voir du côté de la communication de Appleton pour cette sortie exceptionnelle: L’histoire (qui se prête très bien à l’argumentation commerciale) fait état de 24 fûts qui auraient été sélectionnés dès le début des années 60 dans le but de sortir cette sélection (ndlr: des fûts sélectionnés par le prédécesseur et mentor de Joy Spence, Owen Tulloch, celui-là même qui lui aura enseigné son savoir-faire durant 16 ans). Des fûts mis à l’écart, dès 1962, et même enchainés entre eux au sol du chais (toujours d’après Appleton). Après un demi-siècle, seuls 13 fûts comportaient encore un peu de rhum, l’évaporation (la part des anges) ayant eu raison du reste. De ces fûts restants, Appleton sortira 800 carafes de 75cl. petit calcul de faisabilitéEn partant d’une évaporation de 5% par an, il pourrait rester l’équivalent de 1 à 2 fûts complets sur les 24 de départ après 50 ans d’attente. Et la quantité de rhum nécessaire à la mise en bouteille de 800 carafes à 45% correspond à peu de chose près à 2 fûts remplis de rhum. La démarche (et le tour de force) reste donc plausible en partant d’un stock de départ de 24 fûts, et avec bien entendu beaucoup de soin apporté à l’ensemble. Il est mentionné par Appleton qu’il restait 13 fûts sur le cheptel de base, ce qui laisserait penser soit qu’il y avait plus de 24 fûts au départ, soit (et c’est le plus plausible) qu’il restait environ 15% de rhum dans 13 de ses fûts (et de quoi remplir, au final et une fois le tout assemblé, l’équivalent de 1 à 2 fûts) , alors que 11 étaient complétement grignotés par les anges. Après ces calculs d’apothicaire, place au rafraichissement et à la dégustation…
Robe acajou et ténébreuse mais étincelante, tirant sur un bronze conquérant. Gras ? et pas qu’un peu! ça collerait même aux parois comme un paresseux à sa branche. En bouche, le rhum caresse le palais dans une douceur toute grasse, balsamique et réglissée, tout en fraîcheur (eucalyptus). On s’attend à prendre du bois en quantité alors que non : réglisse, sucre brûlé (mélasse), un peu de sel marin, du tabac, de la cannelle et du caramel. Mais aussi du thé noir et de la menthe. L’exotisme n’est pas en reste et participe à donner de la gourmandise et à égayer les notes les plus sombres, toujours sous fond d’acidité salvatrice (agrumes). Pas mal de banane et de coco pour un rhum, qui au final, se mâcherait presque. Une superbe présence en bouche, un très bel équilibre et une prestance unique! La finale n’est pas extraordinairement longue mais imprégnera des souvenirs de mélasse et de vieux tabac, sans oublier un peu de douceur caramélisée et d’exotisme. Ce rhum a une aura terrible, une présence biblique ; et même s’il se peut qu’il ait été aidé par madame Joy, il reste monstrueusement bon, à l’image d’autres très vieux jamaïcains. Note: 88 (mesuré tout juste sous la barre des 5 g/L (43,9 au lieu de 45), le changement de densité pourrait s’expliquer par l’extraction du bois et le temps de vieillissement prolongé)
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90 et + : rhum exceptionnel et unique, c’est le must du must
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Merci pour cet article complet !
merci pour la lecture
Tout d’abord merci pour cette article très bien détaillé, comme tous les autres d’ailleurs.
Un ami possède une jarre d’appleton 20 ans , non ouverte et très bien conservée. Il n’est malheureusement pas un grand amateur, avez vous une idée du prix de revente réel?
J’ai pu voir sur le net des prix vraiment différents.
Merci d’avance .
Salut Pikou
aucune idée, ce n’est pas le genre de rhum a être très visible donc le prix reste très subjetif au final