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Si l’histoire de Bologne a plus de 3 siècles et son rhum bientôt 130 ans d’existence, il faut souligner son lien quasi religieux et unique avec la production de rhum blanc. Il faudra en effet attendre la fin des années 90 pour que les premiers rhums soient mis en vieillissement, et presque une décennie avant de pouvoir les goûter…
Un pari osé, celui de prendre son temps, là où tant d’autres ont préféré le brusquer, en achetant principalement du stock chez d’autres confrères. Sans doute par respect de leurs aïeux et de leur vision déjà aiguisée d’une notion de terroir, il est depuis quelques années donné aux amateurs la possibilité de goûter les premiers rhums vieux d’une distillerie vieille de 3 siècles, et ainsi de la voir grandir au fil des sorties et la voir s’épanouir. Plus qu’une chance, un morceau d’histoire à lui tout seul.
Nous reviendrons prochainement sur l’histoire de Bologne ; en attendant, commençons par la dégustation croisée de quelques-unes de leurs sorties, avec comme toile de fond les pentes volcaniques de la Soufrière, où la canne s’épanouit bordée de la mer des Caraïbes.
Bologne VO / 41°
Pourquoi pas 40° ou à un classique 42 ? sûrement pour couper la poire en deux… Le rhum Bologne VO est un assemblage de rhums vieux élevés en fûts de chêne de 3 ans, 4 ans, 5 ans, 6 ans et plus, donc techniquement bien au-dessus d’un classique VO (3 ans minimum).
La robe de ce rhum est d’un ambré très clair tirant sur l’or, très brillante et classieuse ; les jambes sont relativement larges, il en est de même pour les larmes, bien rondes et flâneuses.
Au nez, le rhum offre une palette délicate de notes sèches, de vanille et de chêne, d’épices (cannelle), dans une ambiance vaporeuse, chaude, et beurrée, d’une simplicité bien maitrisée. L’abricot sec prend place, emmailloté d’arôme boisé légèrement grillé, avec une nouvelle fois cette vanille qui rend non pas le nez plus complexe mais qui lui donne une certaine élégance. Avec du repos apparait de la fraise séchée, cristallisée et sucrée, très classe.
En bouche, l’attaque est douce et mielleuse, d’une belle concentration: sur l’abricot, l’orange confite, dans une ambiance fondante et toujours élégante, beurrée et soyeuse. La vanille est bien là aussi, soutenue par des tanins grillés et des épices qui apportent du tonus, grillées elles aussi, de la douce et chaude cannelle au poivre gris, dans un profil plutôt gourmand et empyreumatique, et même végétale avec une certaine amertume qui apparait progressivement (souvenir de canne) mais avec retenue… La fin de bouche est moyennement longue mais chaude et persistante, sur des notes vanillées, grillées et même un chouia amères, mais toujours dans une belle maîtrise qui impose le respect, et qui délivre un rhum avec un grand R, et surtout un beau H.
Très belle réussite qui donne l’impression d’un produit respecté: un rhum agricole qui brille par sa simplicité (notamment au nez), comprenez qui raconte une histoire avec justesse et authenticité, dans une bouche riche et très intéressante. On en oublie même le faible degré. Note: 84
Bologne VSOP / 42°
Le VSOP impose techniquement un minimum de 4 ans d’âge, mais Bologne propose ici un assemblage de rhums de 4 ans, 5 ans, 6 ans, 8 ans et plus, et donc une nouvelle fois bien au-dessus du genre.
La robe est légèrement plus contrastée, plus soutenue dirons-nous, avec un bel ambré tirant sur le bronze. Plus huileuse aussi, plus mature, où une couronne de fines gouttelettes laisse progressivement place à des jambes gourmandes et langoureuses.
Au nez, on est une nouvelle fois sur un digne représentant du rhum agricole, sans fioriture et élégant : la canne est mise en avant, on l’imagine récoltée à maturité et baignée dans un fût délicatement brûlé, apportant au distillat de légères notes grillées et classieuses (tabac blond), vanillées, cacaotées, et des fruits exotiques bombés, entre confit et compotée. Un rhum où la canne est reine et où le terroir semble être mis en première ligne, avec un champs que l’on imagine ardent et desséché donnant à ses herbes folles toute la richesse exigée pour briller au grand jour.
A cet instant, et avec le résultat que l’on connait, on ne peut éviter de penser à Neisson et à ses rhums tellement justes et authentiques. Bologne, le Neisson de Guadeloupe? Avec le repos ressort un côté acidulé et frais (zeste d’agrume, citron jaune) ou peut-être iodé (air salin), en tout cas c’est un très beau voyage que nous offre ce VSOP, très respectueux du genre, agricole dans le cœur. Et au moment où le cacao nous réchauffe les pensées, méticuleusement mélangé aux agrumes, on s’en prend à rêver de quelques degrés de plus…
En bouche, c’est riche et savoureux, et tout de suite soyeux: le rhum caresse le palais, l’étreint dans un baiser vanillé et fruité à l’intensité suave et chaleureuse, confite ; avec délicatesse et équilibre, mais avec excitation aussi: se mêle ainsi exotisme et air salin, zeste électrique et canne mature, chaudes épices et chêne grillé, cacao, dans un ensemble fondu et consommé, englobant et rassurant. Tous les arômes, toutes les effluves semblent amoureuses et inséparables, et fonctionner dans une synergie salutaire et onctueuse, et même juteuse (iodée). Les notes empyreumatiques se marient à merveille avec la fraicheur alizée d’un baisée salée, dans une étreinte prolongée par le feu d’un gingembre confit, promesse de longueur.
La fin de bouche est longue, bouillonnante et vibrante, et le rhum devient un peu plus épicé et salé comme le goût de la peau fatiguée. Où persistance rime avec insolence.
Un très beau rhum, amoureux de ses racines et délivrant un plaisir buccal imparable et tellement abordable. Vous cherchez un rhum agricole VSOP qui transcende le genre ? Ne cherchez plus, vous l’avez sûrement trouvé. Note : 86
Bologne Vieux / 42°
Voici un assemblage de rhums ayant vieilli durant 4, 5, 6 et 8 années en fûts. Un rhum vieux qui sur le papier n’est pas si différent du VSOP, en tout cas à en croire les infos trouvées sur les sites marchands.
Robe ambrée/cuivrée, toujours élégante, gourmande et sans équivoque.
Au nez, le rhum semble cette fois plus timide, sur la réserve, comme fatigué de ses précédents excès? En tout cas il est plus fin et modéré, certains diront plus complexe. On retrouve ce nez sec et boisé, vanillé et délicatement grillé, âcre aussi, toujours avec classe et sans excès, cacaoté, maîtrisé et fier. Le repos aura la bonne idée de concentrer les arômes, de les magnifier, lui donnant un second souffle (iodée) beaucoup plus vivant, presque rugueux (sur l’agrume mature et acidulé avec cette odeur lourde avant déliquescence) pressant la cannelle et des fruits exotiques, séchés sur un sol chaud et légèrement humide. Complexe, c’était bien le mot, fallait-il encore lui laisser le temps de l’épeler.
En bouche, c’est chaud et généreux, fondu et fondant, presque sirupeux ; encore comme un baiser luxuriant et collant, une étreinte de plus, mais cette fois dans la maîtrise et dans l’âge, plus sucré (fruité/confit) aussi, avec certes moins de fougues mais plus de lenteur, où la maturité et la sagesse brillent et éclipsent l’empressement (et non ce n’est pas un rhum couguar, je vous vois venir!). Un rhum félin… avec classe bien entendu. Concentration, générosité, ça se passe toujours très bien sous des draps en satin, c’est mielleux et on entendrait presque raisonner un air de classique, quelque chose de nostalgique.
La peau d’orange est salée, rugueuse, et l’amer pointe son dard, ça frôle la rupture mais ça tient bon. Les abricots secs finissent et perdurent dans une bouche pas forcément très longue, mais accueillante et sincère, généreuse et ouverte ; c’est soyeux et épicé, mais décidément bien fruité. On voudrait plus de longueur, un feu d’artifice en guise de final, mais ce n’est pas le but de ce rhum, qui du début à la fin fait parler l’âge et la maturité, qui d’ailleurs perdurera dans un confort persistant et plaisant. Si le maître de chais avait voulu montrer sa maitrise, il ne s’y serait sans doute pas pris autrement.
Extra vieux et donc plus complexe, moins fougueux et plus sage, mais avec toujours cette belle concentration aromatique en bouche. Un autre beau voyage, celui du temps qui passe, et qui emmène avec lui les souvenirs dardant de précédentes aventures, abandonnant l’été à la faveur de l’automne. A chaque moment son rhum. Note: 85
Bologne XO / 42°
Ce rhum « extra old » est issu d’un assemblage de 6, 8, 10 ans et plus. Le summum de Bologne, comprenez le plus vieux, et donc pas forcément le meilleur (car on a bien trop souvent tendance à croire que plus c’est veux et meilleur c’est).
On passe de l’ambré à l’acajou, avec une robe encore plus soutenue, mais toujours aussi resplendissante et lumineuse, à la couronne dessinant un collier de perles rejoignant les abysses dans une ultime danse ; un slow, assurément.
Au nez, un pas de plus dans la maturité, avec cette fois une odeur encore plus rugueuse, râpeuse, je m’explique : imaginez un agrume, disons un citron, ou même une orange (dans la logique des choses et du temps qui confit les fruits plus qu’il ne les acidifie), abandonné dans un salon chauffé ; notre orange donc, deviendra flétrie, puis commencera à se décomposer, délivrant avec son dernier souffle un arôme aigre, âcre et acidulé, que l’on imagine opulent et gonflé, pas forcément désagréable mais particulier. On y est. On est à la porte de l’au-delà, quand une orange passe l’arme à gauche, quand elle devient sanguine, quand sa peau et son âme rougissent à en saigner et qu’elle commence à prendre du duvet avant de sombrer définitivement.
Comme si, lasse d’être restée immobile -et pas pressée- dans son maudit bateau, elle avait décidé à cet instant de tout donner, de tout concentrer dans un jus rappelant sa jeunesse fruitée et acidulée, et sa vie passée à attendre et à devenir aigrie, à saigner ; et rappelant insidieusement son lien de parenté direct avec l’arbre : des feuilles (amertume) jusqu’aux branchages cassant, vacillant sous le poids de ses frangins. Crac, la branche casse et le fruit tombe à terre et quelques jours après, vous avez ce sentiment au nez. Ce n’est pas désagréable, loin de là, c’est mature, rompu, acide-opulent, et c’est en quelque sorte la suite logique du VS, donnant un VSOP, puis le rhum vieux déjà un peu plus parenté à ce XO. Alors on se demande ce qui vient après, pas forcément rassuré mais curieux, mais on ne peut pas oublier le lien fusionnel entre tous ces rhums, à des degrés différents, et remarquer une fin proche et imminente, car on arrive à l’apothéose, là sous notre nez et bientôt, sûrement, dans notre bouche. Comme dans ces séries américaines aux multiples saisons, où vous voyez les acteurs grandir, jusqu’à devenir en âge de mourir ; ce n’est pas forcément beau ni moche, c’est une fenêtre sur la vie et ça suinte l’humanité, la sagesse, et la folie aussi. Mais Bologne ne fait du rhum vieux que depuis peu, et arriver à ce stade relève soit de la consécration, soit de la folie, ou de l’erreur, et donc fatalement de la vie, et de l’humain.
A ce stade, et avec le repos grassement offert par la lenteur de mes propos, le rhum n’a pas franchement évolué, ou alors s’est-il complexifié ? On a de l’orange sanguinaire qui s’est déversée sur un fût âgé, où le tanin classieux se mélange à l’acidité, non sans rappeler quelques rencontres épicées et intenses (gingembre, cannelle), des souvenirs mielleux et des étreintes lascives et des baisés salés.
On ne parlera pas décemment de bouche mais de palais vu l’apparente rugosité de l’édifice. Car il y en a en bouche, comme le nez le laissait penser ; on a de l’acidité, mais au delà, on a de l’accroche, ça fait réfléchir et ce n’est sans doute pas mort, et plutôt intéressant. On s’attend à du collant mais non, c’est huileux, tendance acidulé, et donc peu à voir avec les précédents rhums ; l’orange nous propose un flashback, du zeste au confit, de sa jeunesse à son apothéose, scellé dans le marbre et cristallisé dans le sucre. On se rappelle au bon souvenir de ses aisances alizées et iodées, de ses épices rencontrées à la va-vite derrière le tronc d’un chêne sûrement vieux comme 5 générations, et aux suites plus ténébreuses et cuirassées. On est plus dans le vortex que dans le complexe, ça vit et ça vient, ça meurt et ça éreinte. La fin de bouche n’accroche pas, ou n’accroche plus, car quand on embrasse la vie tout en caressant la mort, on est résolument entre deux mondes, et on passe à côté de quelque chose. Mais ce rhum nous hante, laisse un goût acidulé d’agrume, légèrement amer, mélangeant des touches sanguines et salines, réconfortées par la chaleur du fût et de son boisé.
Entre vie et mort, maturité et incontinence, ou l’histoire (et la vie) d’une Orange. Sûrement la fin de quelque chose mais le début d’une aventure, comme si ce XO, mine de rien, avait semé des graines qui ne demandent que du soleil pour pousser, avec l’expérience et les errances d’un jeune passé pour donner vie à futur doré. Note : 82
Qu’il est agréable et enrichissant de voir une distillerie évoluer, surtout quand elle a quelques siècles d’existence. C’est un cadeau que de découvrir ces rhums vieux, de les voir grandir et passer du stade d’enfant à celui d’adolescent, d’adulte à celui de fantôme, pour finir inlassablement par ne raviver que des bribes de souvenirs aux plus vieillissants d’entre nous, et un jour au travers des plus naissants qui nous survivront. On reparlera sans doute de Bologne, demain et au-delà.
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Superbe description du chaman Cyril, je suis parti dans ton délire et durant quelques instants j’étais une orange au soir de sa vie.
Salut cyril 😉
Cool cette découverte, je n’avais jamais entendu parler de cette distillerie…qui, apparemment, a tout d’une grande 🙂
Merci 😉
Bonjour,
Idem pour moi, c’est une distillerie moins reconnue (en métropole, tout du moins) mais cet article me donne envie de tester le VO ou le VSOP 🙂
Bonjour,
Je suis surtout un amateur de vin à la base mais je m’intéresse aussi à d’autres choses. J’ai commencé le rhum avec le petit 1919 puis le matusalem 15 ans suivit du millonario. Et je les ai trouvé très agréable mais trop artificiel, manquant de finesse et peut-être trop sucré. Quand j’ai découvert don papa c’était l’horreur. J’ai eu l’impression de boire des chiques dans de l’alcool. J’ai découvert votre site et en fouillant un peu j’ai découvert vos commentaires et votre note (personnel je sais) sur le bologne extra vieux. Je l’ai commandé et l’ai ouvert hier. Alors il est vrai que je suis un débutant et que je n’ai pas assez d’entrainement dans le monde du rhum mais je dois dire que je suis assez déçu. Je ne retrouve pas toute cette complexité (peut-être du au manque d’expérience) et quand vous dites qu’il est presque sirupeux en bouche, personnellement je le trouve fort sec avec le côté alcool qui ressort assez fort. Mis à part les goûts et couleurs qui ne se discutent pas, avez-vous une idée de pourquoi j’ai l’impression de boire un rhum quelconque? Je crois que servis à l’aveugle je n’aurais pas mis plus de 20 euros. Je suis dur mais je le redit, je débute dans le rhum. Je ne suis pourtant pas habitué au sucré dans le vin, recherchant toujours des produits droits, avec une belle acidité, des champagnes ou crémant extra brut ou non dosé, des vins élevé en cuve…
Merci
Bonjour Laurent et merci pour votre message
ce n’est sans doute pas le rhum vieux agricole le plus simple pour débuter, surtout après avoir découvert des rhums de chez Angostura ou Matusalem, ni le moins onéreux d’ailleurs. Mais belle prise de risque. Après vous avez une vision personnelle et nouvelle, forte d’expériences passées dans d’autres alcool, et il faudra sûrement diversifier les dégustations pour voir un peu où vont vos préférences (un rhum de la Barbade, un jamaïcain, etc..) ; mais vous auriez donc préféré l’un des deux premiers (Angostura, Matusalem) à ce Bologne ? Je ne peux que vous conseiller d’y revenir plus tard après ouverture, et qui sait ? ça réussit à pas mal de rhum au final