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On ne présente plus les rhums El Dorado, marque phare de la Demerera Distillers Limited ; ils auront sans doute permis à de nombreux amateurs de rentrer dans le monde du rhum, en proposant des produits très abordables et faciles d’accès, même si assez sucrés au final. On y retrouve systématiquement un côté gourmand et caramélisé, et pour cause : comme chez tant d’autres producteurs et marques, plus nous montons en gamme, et plus le sucre est présent ; le 12 ans approche les 35gr/L, le 15 ans est à 35/40gr., et le 21 ans oscille entre 15 et 30 selon les versions. Il ne sera donc pas étonnant de voir les rhums les plus haut de gamme de chez DDL aussi touchés par ce phénomène..Nous le verrons ci-dessous avec la dégustation croisée des deux carafes sorties par DDL et affichant 25 ans d’âge.
La première distillée en 1980 et la seconde en 1986, avec l’idée forte de DDL de mettre en avant un savoir-faire séculaire et les différents alambics et colonnes de la distillerie ; Dans la même famille, il existe une version ‘millenium’, avec un assemblage de rhums distillés en 1975, ainsi qu’une version du 1980 à 40° (l’autre étant à 43).
El Dorado 1980 / 43°
Une sélection de rhums distillés comme son nom l’indique en 1980, via les alambics et colonnes de chez DDL (Enmore wooden Coffey still, PM double wooden pot still, Savalle still). Il en existe aussi une version à 40°.
La robe est acajou, brillante et très grasse d’apparence.
Au nez, se mélangent une odeur collante de mélasse à celle d’un chewing-gum aux fruits, et de liqueur à la banane, et à la coco. C’est très riche et très ‘bonbon’, sur le caramel, la vanille, des épices et des noix grillées, et des fruits secs en pagaille: du pruneaux à la figue en passant par le raisin, le tout macéré dans une mélasse sombre et très sucrée. Il y a aussi quelque chose de fumé dans l’air, du tabac mais qui ne suffit pas à mater l’ambiance ultra gloutonne. La part belle est faite aux fruits confits, et plus particulièrement une sorte d’odeur de cake aux fruits, avec de l’orange. Plus le temps passe plus ça devient torréfié mais toujours très gourmand : tout parait grillé, caramélisé et fumé. Très plaisant mais à la fois très artificiel et écœurant à la longue.
La bouche est exagérément grasse et collante, liquoreuse (et c’est peu dire), avec l’impression de boire un sirop plutôt qu’un rhum ; un caramel grillé englobe le palais d’un seul coup et se colle là, avec exubérance et sans gêne, répandant autant de sucre que possible, et tolérable. Le côté liquoreux ne fait plus aucun doute, et ce n’est pas juste doux ou adouci, c’est bien sucré à l’excès. Passée cette impression, et dans un esprit toujours grillé et torréfié (épices, fruits secs et à coque), on retrouve de l’orange, de la coco, du sucre et encore du sucre. Cannelle, vanille, sucre, caramel, sucre, raisins secs, vins mutés ? porto ? et encore un peu de caramel. La fin de bouche est courte, sucrée, sur les fruits secs et le caramel, avec un chêne fumé mais noyée dans un océan de mélasse. Le verre vide deviendra collant, laissant une pellicule visqueuse après quelques heures.
Très bonne liqueur au rhum, gourmande et profonde. Son prix vous emmènera vers d’autres profondeurs beaucoup moins agréables. Que les diabétiques passent leur chemin. Note: 70, dans la moyenne basse car trop loin du rhum.
El Dorado 1986 / 43°
Un assemblage de rhums choisis en 2011 par George Robinson, le master blender de l’époque (décédé en 2011). L’histoire nous apprend que cette sélection a ensuite été remise en fût afin d’être ‘mariée’, et ceci jusqu’en 2013.
Robe identique à son petit frère de 1980, grivoise et toujours aussi charnue et bouffie.
Le nez est par contre plus sombre et boisé, sur le tabac brun, le cuir en fin de vie et usé, le chocolat amer et un boisé brûlé et humide. Avec quelque chose de résolument Port Mourant. C’est très notable au nez, surtout en comparant les deux rhums: le premier (1980) est hyper gourmand et caramélisé, alors que celui-ci est plus sombre et boisé, sec et incisif. La belle et la bête en quelque sorte, mais en version américaine et bedonnante, avec les poches remplies de friandises.
La bouche est aussi collante et enveloppante que le 1980, si ce n’est encore plus. Avec toujours cette impression de liqueur en bouche, avec beaucoup de mélasse, de sirop à la réglisse, et cette touche de boisé made in PM, forcément intéressante! mais sèchement chassée par le fléau de toute une époque, le sucre. En fidèles coupables, on retrouve le caramel, le sucre brun, les épices caramélisées, et tout semble perdu là dedans à vrai dire… Un dessert à lui tout seul ce 1986, on attendrait juste un peu plus de rhum au final. La fin de bouche est sommaire, littéralement aplatie comme une crêpe sous le poids d’un caramel trop épais, noyée et futile.
Ajouter plus de rhum issu de l’alambic Port Mourant n’aura pas suffi à faire passer une liqueur pour un rhum. Au contraire, cela aura semé un peu plus de trouble sur la réelle intention de sortir un tel embouteillage… mettre en valeur son patrimoine? ou bien le sacrifier? Note: 71, dans la moyenne basse car toujours pas à la hauteur d’un rhum de chez DDL, malgré la touche Port Mourant.
L’idée saugrenue que plus un rhum (de mélasse) est vieux et plus il doit être sucré demeure, mais jusqu’à quand ? et surtout jusqu’à quel seuil ? le 1980 plafonne à près de 50 grammes de sucre par litre, là où le 1986 approche des 40 gr. Nous savons déjà l’effet dévastateur du sucre sur le rhum, qui en plus de perdre tout intérêt identitaire, est très souvent noyé et littéralement coupé dan son élan et sa fin de bouche. Comment est il ajouté ? sans doute par l’ajout de vin muté ou de mélasse, mais qu’il est dommage et fâcheux de gâcher des rhums aussi vieux de la sorte, et de les vendre aussi chers sous forme de liqueur… La déception est grande.
Ces deux assemblages demeurent de très bons produits, surtout le 80 avec un côté ultra gourmand et plaisant, mais on ne peut décemment pas les ranger dans la catégorie des rhums ; cela reviendrait à couper l’herbe sous le pied des producteurs qui respectent leur production et leur tradition, en sortant des rhums très vieux et sans enfumage. Il s’agit donc de très bonnes liqueurs au rhum, à ne pas confondre avec des rhums de 25 ans d’âge.
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Merci Cyril,
Comme d’hab très intéressant et instructif à lire.
Et comme souvent, encore de la déception et de l’inquiétude quand à la façon d’aborder le rhum, de plus en plus je me demande ce que l’on boit réellement… et si vraiment un produit appelé rhum qui ne soit pas agricole a un petite chance d’en être encore, du rhum…
Il sont vraiment à la ramasse chez DDL!!! Malgré le passage de L. Gargano ils ne semblent pas avoir retenu grand chose de sa manière de traiter le rhum. En un sens c’est réconfortant car je n’aurai pas pu me les payer 😉
Inquiétant voir désespérant. Des futs de 25 ans gâchés pour satisfaire une mode facile…
Récemment pas mal de proches m’ont parlé de rhum et à chaque fois la seule chose qu’ils connaissaient c’était des rhum ultra sucrés. Et comme on ne trouve plus que ça en supermarché et bien mis en évidence chez les cavistes, ce n’est pas près de s’arrêter. Si maintenant même des fûts de 25 ans sont sacrifiés … hargh !!!
Salut Laurent
du gâchis oui , mais qui doit remplir les caisses bien comme il faut…
il faut espérer que les professionnels (de la distribution, les commerciale, les cavistes,..) commencent à plus s’intéresser aux produits, et à leur qualité, qu’ils parlent de terroir et de tradition. Il y en a, mais tellement peu
Serge Valentin a publié ses notes ce matin sur ces deux quilles.
40 points pour le 1986
45 points pour le 1980
ça calme direct…
(de telle notes sont très rares chez lui)
http://www.whiskyfun.com/2016/Dead-end-street-in-Georgetown.html
Salut Mat, merci pour le lien 🙂
Serge n’aime pas les rhums sucrés, et c’est vrai que là c’est quelque chose…
Petit retour de mon coté (1980 – 43° ):
J’apprécie plus le rhum par son coté olfactif et je dois dire que sur ce plan je suis séduit. J’y suis revenu à plusieurs reprises et je ne m’en lasse pas, c’est un rhum qui transporte avant même de l’avoir mis en bouche.
A la dégustation il faut reconnaître qu’ils y ont été trop fort sur le sucre mais je n’irais pas jusqu’à parler de sirop non plus. Je pense qu’un Millonario 15Y ou XO doit être au même niveau et pourtant il en prend moins pour son grade.
On trouve quand même pas mal de choses dans cet Eldorado 25Y, plus que dans le 21Y et ses autres petits frères. Et puis n’est ce pas un peu une des caractéristiques d’un navy rhum d’être sucré ?
Après il reste le prix qui est clairement exagéré, j’ai eu la chance de trouver ma bouteille bien en dessous des 300€ mais l’écart de prix n’est pas justifié par rapport au 21Y ou au 15Y et on peut trouver mieux pour moins cher.
Pour conclure, je lui aurais quand même mis une note dans les 79-80, il est clairement « au dessus de la moyenne » selon moi mais j’ai certainement une tolérance au sucré nettement plus élevée.
Salut netswitch
merci de partager tes impressions sur ce 1980. Ma note est bien entendu personnelle et reflète mes impressions lors de la dégustation ; et pour le coup je trouve ça excessivement sucré (bien plus proche d’une liqueur que d’un rhum), et bien plus qu’un Millonario que tu cites (qui n’est d’ailleurs pas au même prix et qui ne peut pas se targuer d’avoir le même sérieux/la même histoire que DDL par exemple, et qui n’a pas le même ‘âge’ non plus). Pour moi c’est un véritable gâchis et le sucre noie tout intérêt au produit, coupe la fin de bouche et tout potentiel. Mais je peux comprendre qu’il plaise beaucoup aussi par son côté sucré 🙂