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Black Head
Voici sans aucun doute le rhum le plus emblématique du négociant bordelais Cazanove : le ‘Black Head Rum’, encore connu sous le nom de ‘Rhum Black’. Ce rhum (en tout cas la marque) existe depuis plus d’un siècle… pour perdurer encore aujourd’hui sous forme d’un rhum de seconde zone, sorte de fantôme de supermarché, et malheureusement très loin de sa splendeur d’antan. Il ne sont pas nombreux les rhums à pouvoir se targuer d’avoir traversé ainsi le temps, et les noms de Chauvet, Charleston et Negrita ne vous sont sans doute pas étrangers.
La marque Black Head a été créée et distribuée par le négociant bordelais Cazanove, qui fait partie des tous premiers à s’intéresser au rhum, et ceci dès 1878. La marque sera rachetée beaucoup plus tard (dans les années 60) par le groupe Bardinet, qui à cette époque rachètera bon nombre de marques en perdition. A l’origine un blend de rhums de Jamaïque, puis des Antilles, il deviendra sous Bardinet un « rhum spécial punch » (blanc) ou « spécial cocktails » (ambré), dit « traditionnel des iles françaises ». Il est cocasse de noter qu’un autre rhum de Bardinet, le rhum Négrita, suivra la même destinée, passant de la très en vogue Jamaïque aux sombres placards des ménagères.
Produit et distribué des années 1880/1900 aux années 2000, il est très intéressant de suivre les évolutions graphiques du rhum Black Head : Karl HAPPEL (1819-1914), un artiste peintre allemand et illustrateur encore connu sous le nom de « Carl-Hap » est le créateur du logo Black Head.
Avec le temps, le personnage au large sourire deviendra moins marqué, plus consensuel et politiquement correct, quittant sa chemise rayée pour un costume 3 pièces et chapeau. La qualité du rhum ne suivra malheureusement pas la même destinée ‘dorée’ et chic de son personnage, passant d’un rhum de renommée internationale (et mondain) à un rhum de bas étage et de supermarché avec Bardinet, dont le rachat n’avait de toute façon pour but que de profiter de la notoriété de la marque, et non plus vraiment de son rhum (d’où le changement de recette et de provenance).
La réclame ci-dessus à gauche insiste sur le côté ‘absolument naturel’ du rhum, à une époque où certains négociants n’hésitaient pas à ajouter toutes sortes d’ « ingrédients » à leurs assemblages. Ainsi Debraine Helfenberger (fabricant de produits chimiques) explique dans son guide « l’art du liquoriste, simplifié », comment il est parvenu à faire du rhum de Jamaïque sans distillation, en employant de l’alcool de fécule purifié.
La recette comprend de l’alcool à 33°, de la poussière de mottes (1kg pour 25 litres), de l’essence de girofle et de citron ; la suite est tout aussi intéressante : « pour terminer on prend un baril vide que l’on mèche avec du goudron brûlé sur de la paille, comme on mèche du vin au souffre ». D’où l’insistance de certains négociants à vouloir se démarquer en revendiquant l’authenticité et le côté naturel de leur rhum sur les réclames de l’époque. Cela n’a bien sûr pas empêché certains d’entre eux de faire de même, en abusant de la crédulité du consommateur.
Comme il en était coutume à l’époque, la marque Black Head sera représentée sur de nombreux supports publicitaires : figurine, carte postale, buvard,…
Et même un spot TV, diffusé dans les années 50 sur une chaine brésilienne.
Pour terminer des plus belles manières, passons maintenant à la dégustation de 3 mignonnettes, dont malheureusement aucune n’est estampillée Jamaica, mais plutôt ‘West Indies’, surement des années 20 ou 30. De quoi se faire une petite idée du rhum Black Head…
La première mignonnette ouverte (dans l’ordre des images ci-dessus) est surement la plus ancienne, le verre est ‘fripé’ et teinté ,et l’évaporation avancée. Cela ne donnera malheureusement rien à la dégustation, la part des anges ayant fini d’anéantir tout espoir de dégustation honorable.
C’est nettement mieux pour la suivante : couleur soutenue et brillante ; au travail le rhum laisse apparaitre une couronne qui laisse place à de très nombreuses gouttelettes qui retombent très tranquillement, vraiment tranquillement. Au nez c’est beaucoup plus expressif, enfin! c’est concentré, on retrouve des notes de fruits secs grillés (raisins), des épices douces (cannelle, pain d’épices), de la réglisse, du tabac . Plus le temps passe et plus les notes de réglisse et de tabac s’imposent dans un ensemble harmonieux.
La bouche est légèrement huileuse, toujours concentrée sur les fruits secs et les épices, sur un boisé que je qualifierai d’ancien (vieux bois assez classieux) ; puis elle devient de plus en plus chaude, et semble se concentrer sur un mélange mi-figue mi-raisin, relevé et onctueux, réglissé, et légèrement sucré. La finale est très longue et inonde la bouche d’épices, de tabac et de réglisse. Voilà un rhum qui n’a rien perdu et qui propose une concentration assez intense, dans un bel équilibre. Note: 84
3eme essai avec une dernière mignonnette, qui affiche 43° cette fois ci. Le logo a évolué proposant un personnage moins marqué, au sourire plus discret. La couleur est acajou, beaucoup plus foncée que les deux rhums précédents, avec une robe beaucoup plus grasse aussi.
Au nez ça se confirme, on est sur un profil totalement différent, pour ne pas dire opposé. C’est opulent, sur le fruit mûr à l’extrême (banane écrasée, pomme, pêche, orange, citron), l’exotisme (noix de coco), la vanille, voire sur le bonbon au fruit. L‘attaque est surprenante : douce et d’abord sur le fruit, elle devient acidulée confirmant la présence marquée des agrumes, mélangée à de la réglisse et des épices. A la fois acidulé, salé et sucré, l’ambiance générale est assez étrange mais ça marche plutôt bien, même très bien. Le trio réglisse coco agrume est détonnant. La fin de bouche est plutôt longue, sur les épices et l’amande, avec toujours ces agrumes. Le verre vide nous fait monter tout en haut du cocotier pour un feu d’artifice de coco. Totalement différent du rhum dégusté plus haut, avec sûrement un changement de recette, de rhum, de provenance. Un rhum opulent, exotique, acidulé et boisé, surprenant mais très intéressant. Note: 85 |
Quel plaisir cette lecture…
Merci L’Immonde 🙂
Bonjour Cyril,
j’essaye une nouvelle fois un commentaire.
Je viens d’acquérir une bouteille ancienne de Black Head Rhum dont l’étiquette correspondrait à la seconde mignonnette de l’article. Il y a au dos une étiquette publicitaire avec les 4 petits personnages du buvard en jaune. je me pose 2 questions quelle année? Si l’on considère qu’il en existe une avec le clissage naturel des année 20s 30s, celle ci avec le personnage au large sourire mais avec le clissage imprimé ce serait plutôt les années 50/60, qu’en pensez-vous ? L’indication West Indies Rums, c’est provenance Jamaïque assurée (mélasse) ou c’est une appelation générique avec un rhum qui pourrait être issu de Martinique ou de Guadeloupe (agricole ou mélasse)?
Rhumantique
Michel
Bonjour Michel
Oui ça marche! 🙂
Si elle n’est en effet pas des années 20/30, elle pourrait être des années 50/60/70… je n’ai pas de date précise à vous donner malheureusement. L’indication West Indies est assez large puisqu’elle signifie juste que le rhum (ou l’assemblage de rhums) provient des Antilles…
Bonjour.
J’ai une bouteille de Cazanove mais je n’arrive pas la dater. Je pense qu’elle date des années 70 ou 80 mais je ne trouve pas la même bouteille sur internet. Soit le bouchon est différent soit il manque un détails sur l’étiquette.
Pourriez vous m’aider? Ou me diriger dans mes recherches svp?