>
|
Suite de notre voyage aux racines du rhum avec une session réservée à un négociant, ou plutôt à une distillerie : MATHA Brugerolle Léopold. Située dans le vignoble du cognac (et classée dans les Fins Bois pour la production de la célèbre eau-de-vie), son histoire remonte à 1898, date de la création de la distillerie Léopold Brugerolle qui deviendra ensuite la société Matha Brugerolles Léopold en 1947.
Parmi les succès de la distillerie, la Sève Feu de Joie, une liqueur à base d’eau-de-vie de cognac et d’amandes, mais elle se spécialise rapidement dans tout ce qui se vend à l’époque de liqueurs, vins et eaux de vie, y compris le rhum : un grand arôme au doux nom de Batina, et d’autres rhums vieux qui ont traversé l’histoire sans laisser grand chose d’autre que des étiquettes poussiéreuses : Liana, Nilia, Dufaur,.. Et puis les deux rhums qui nous intéressent particulièrement aujourd’hui : Ajouba et Canari…
Ajouba ou pa ?
D’après l’excellent site Étiquettes de Rhum, il s’agirait d’une marque déposée en 1908, puis imprimée par Prouteaux & Chaubin vers 1950.
Nous savons qui distribuait le rhum mais d’où vient-il exactement ? Il ne serait pas présomptueux de dire la Martinique étant donné son statut de l’époque et les quantités de rhums qui arrivaient alors dans les ports français. Il y a bien une petite commune qui se nomme Ajoupa, non loin de Fort de France et rattaché à Macouba (fief de distilleries à la même époque). Mais une nouvelle fois ceci n’est que supposition…
Le rhum présente une robe vieil or, aux reflets dorés. Une fine couronne de gouttelettes se forme et retombe lentement pour un liquide qui a une allure assez grasse et huileuse ; les jambes sont bien larges et imposantes. Belle impression pour un rhum qui commence déjà à dégager des arômes douceâtres de canne à sucre.
Le nez est chaud et plutôt plaisant : de la canne, beaucoup de canne sur ce Ajouba, du clou de girofle et des fruits exotiques (banane, mangue), du zeste (orange), du poivre blanc à l’aération et du pruneau. Un nez très agréable et léger, charmeur.
En bouche, le rhum est huileux, on retrouve les fruits (gorgés de sucre) puis les épices (girofle, muscade) et la canne fraîche. Franche et agréable, plutôt sèche. Au fina,l c’est assez court, se terminant sur un boisé épicé, toujours chaleureux.
Un nez plutôt charmeur et une bouche qui fait le boulot mais le final est très (trop) court. Note: 73
Le chant du Canari
Voici un autre rhum vendu par Matha Léopold Brugerolle, mais cette fois beaucoup plus connu et peut-être même reconnu puisqu’il a traversé les âges, changeant d’étiquette à plusieurs reprises. La dégustation ci-dessous est basée sur 2 mignonnettes différences, la première au Canari Jaune, datant des années 30, l’autre plus récente (70/80?) au Canari couleur bronze.
Rhum Canari #1 (années 30)
Couleur viel or aux reflets oranger, le rhum est brillant, et ses jambes plutôt larges et en nombre.
Au nez du fuit confit (raisins), du fruit sec (grillé), des agrumes et des épices légères (et elles aussi grillées), un boisé légèrement fumé assez intéressant et un nez qui mettra quelques minutes à pleinement s’exprimer. Ajoutez à cela de la banane écrasée et un voile de fumé sombre mais élégant (tabac/cuir), et quelque chose de âpre, un léger rancio et de l’amande.
L’attaque est onctueuse, satinée en bouche, et très aromatique. Le fruit d’abord avant de voir apparaitre les épices qui deviennent piquantes (poivre, curry) et plus sèches. Un peu de salinité pour une belle complexité et une bouche qui évolue vers une puissance aromatique impressionnante et intéressante où le fruit revient en force. Ça monte crescendo au fur et au mesure que le rhum se balade en bouche. Le contraste est intéressant avec le nez qui laissez entrevoir une bouche plutôt simple et ‘éteinte’ par le temps (le genre de nez qui a perdu avec le temps de garde).
Final plutôt long, sur des notes poivrées et boisées ; toujours ce fumé, tabac, cuir qui revient sur la fin et qui reste quelques minutes en bouche. Note : 77
Le retour du Canari
Voici notre rhum Canari en version plus « récente », le petit frère sorti beaucoup plus tard ; Sur l’étiquette apparait le sigle de la Sécurité Sociale qui date des années 80 donc le rhum pourrait alors dater des années 60/70.
Plus sombre que son grand frère ce Canari là est bronze, et il a des jambes épaisses et des larmes plus nonchalantes que son ainé. Il est aussi plus huileux.
Le nez est plus épais, plus concentré et commence déjà à faire parler de lui à peine le bouchon ouvert, assez impressionnant. Très expressif et aromatique ! Des agrumes à foison, de l’orange, du citron, citron vert, zeste et cette odeur de pulpe acide et sucré qui séduirait n’importe qui.
Un nez résolument fruité où l’exotisme tient sa place, la gourmandise mais aussi cette fraicheur apportée par les agrumes et qui devient même mentholée. Avec le repos, des notes plus grillées (empyreumatiques) apparaissent, de fruits secs, de noix grillée mais toujours avec ce voile gourmand qui mène la danse de manière très séduisante.
La bouche est douce, onctueuse et pas satinée cette fois, mais toujours très aromatique et concentrée. Un plaisir en bouche où on retrouve les fruits, les agrumes en tête et des épices avec une belle touche de réglisse bien noire, du boisé peut-être un peu trop présent. Et on retrouve cette salinité qui fait ressortir les arômes et les transcendent.
Le final est long -plus que son grand frère- et expressif, on a un rhum de 44° et ça lui réussi superbement bien. Belle longueur aromatique, belle complexité, belle harmonie et une longueur qui impressionne. Les agrumes reviennent sur la fin avec cette menthe qui reste en bouche longuement. Pas besoin de se rincer la bouche après cette dégustation ni même de prendre un chewing-gum pour les plus pressés. Le rhum Canari et bon et il va jusqu’à vous rafraichir l’haleine. Note : 85 |