Enmore & Port Mourant 1998

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EHPPM

Mariage organisé

Les nouveautés de chez Velier viennent à peine de sortir que déjà 2 des 4 embouteillages attirent l’attention générale des amateurs : deux blends réalisés avant vieillissement : un Diamond/Port Mourant et ce Enmore/Port Mourant.

Luca Gargano en parlait déjà dans notre interview, alors même qu’il ne savait pas -encore- qu’il allait les sortir. Des rhums « expérimentaux », puisque c’est bien d’expériences dont il s’agit : DDL a voulu un jour faire vieillir deux rhums issus de deux alambics différents (ici deux alambics en bois parmi les plus vieux au monde), et donc aussi au profil différent, dans le même fût… Une démarche unique car les assemblages se font habituellement après le vieillissement des rhums.

 

prix : 145€, 70cl et 62,2° au compteur. Édition limitée à 848 bouteilles (3 fûts).

âge : distillé en 1998 et embouteillé en juillet 2014, des rhums en provenance de l’alambic Enmore (EHP) et Port Mourant (PM) ont été assemblés avant de vieillir durant 16 ans sous un climat tropical.

 

 

Il ne s’agit en fait pas d’un blend (assemblage) à proprement parlé puisque le ‘mélange’ s’est ici fait avant le vieillissement, là où les assemblages habituels ont lieux après vieillissement : et la différence est énorme car les rhums ainsi mariés vont travailler, évoluer ensemble dans le fût, vont lier essences et connaissances durant de nombreuses années, se jurant une fidélité imposée, en vase clos et dans l’obligation de se consommer mutuellement, de se mélanger, et d’enfanter des essences uniques.

Là où les autres font des alliances à petits pas, forment les couples en laboratoires à base de dosages minutieux, DDL à cette époque a misé sur le long terme et a célébré plusieurs mariages en mélangeant les personnalités les plus variés. C’est bien le temps qui a ici fait les choses et non le master blender (maitre assembleur), nous sommes ici à l’apogée d’une phase naturelle et poétique, authentique et donc surement avec des défauts, car le temps et ses caprices ne font jamais rien au hasard. Et bien entendu nos deux tourtereaux auront célébré leur histoire sous un climat tropical, loin de la grisaille continentale…

 

La couleur du rhum est d’un ambré assez profond avec de beaux reflets cuivrés, et qu’elle est belle cette couronne qui se forme et qui semble dessiner de la dentelle, ou peut être est-ce une jarretière ? vestige d’un mariage déjà consommé depuis maintenant 16 ans… Le cap est passé mais à voir ces larmes couler on devine une histoire forcément tourmentée, une histoire aux nombreux déboires, et une confession à venir.

EHPM_1        EHPM_2        EHPM_3

Comme tous les rhums de chez Velier n’allez pas plonger votre nez trop vite ni profondément, notre couple est plutôt fiévreux avec ses 62,2°, et un léger temps d’aération laissera rapidement place à un concentré aromatique qu’on ne trouve que sur ce genre d’embouteillage -et donc que trop rarement- : Intensité, concentration, un florilège d’agrumes mûrs à point, de la marmelade pour un nez beurré et résolument gourmand. Des voiles de vanille apparaissent au cours de la dégustation et rendent le nez plus ‘léger’ et l’éloignent des arômes lourds et opaques que l’on trouve dans certains Demerara. C’est là le pari réussi de ce blend : il est vivant et ouvert, de quoi satisfaire à la fois l’amateur de rhum Demerara excessivement lourd, mais aussi celui qui aime le coté plus fruité et disons plus ‘léger’. Un mélange des genres réussis à ce niveau, avec un très bel équilibre entre force et retenue.

Arrivent des abricots rôtis et cette réglisse si caractéristique qui semble gérer la danse, c’est elle qui construit le nez, elle est en fond et ne quitte jamais l’instant. Une pointe de fraicheur mentholée rend encore un peu plus intéressant le nez, et déjà les 62,2° se font oublier… L’alcool est très bien intégré, et aucune brûlure n’est à signaler.

L’aération ferme le rhum dans des notes plus épicées (du clou de girofle, de l’anis, du gingembre et toujours cette vanille) et empyreumatiques (notes grillées) et même minéral avec un côté caoutchouc brulé. L’ajout de quelques gouttes d’eau adoucit considérablement le nez, renforçant la place de la réglisse et de ces notes grillées (café).

On a réellement l’impression que les deux rhums/alambics se complètent parfaitement : d’un côté du fruité, des voiles de vanilles et de l’autre de la puissance et des arômes plus lourds ; on obtient donc le meilleur de chacun mais sans qu’aucun des deux n’imposent son caractère à l’autre. Il serait donc là le secret d’un mariage réussi?

L’attaque est onctueuse et intense, concentrée tout comme le nez le laissait présager. On est encore dans un registre beurré, pâtissier : la marmelade est là, la réglisse et les épices aussi (cannelle et gingembre) mais sans jamais aucun excès ; elles sont présentes mais pas trop puissantes. De l’onctuosité et encore de l’onctuosité, avec ce petit coup de fraicheur bien sympathique (menthe/eucalyptus) et ces 62° qui passent superbement bien. Avec un peu d’eau on est toujours sur le registre de la bouche crémeuse, peut être encore plus facile et sans perte de saveurs.

Un superbe final vient clôturer la dégustation, d’une très belle longueur et une nouvelle fois sur la réglisse (zan) et les épices -toujours aussi douces- qui délivrent leurs arômes petit à petit, maintenant une chaleur constante en bouche et avec une nouvelle fois cette touche pâtissière, gourmande. Le verre vide est dans le même lignée et restera encore bien vivant le lendemain, oublié négligemment sur le recoin d’une table, et même bien visible à en juger par le voile ambré qui semble graver sur le fond du verre.

 

Le mariage est une pièce à deux personnages dont chacun n’étudie qu’un rôle: celui de l’autre. Sur ce point Enmore et Port Mourant sont complémentaires donnant un résultat très réussi à cet assemblage : très bel équilibre entre charme et puissance, fruité et notes grillées. Sommes-nous alors face au couple parfait ? le blend Diamond/Port Mourant réussit moins bien ce pari mais le très attendu Diamond/Versailles risque de remettre sérieusement les pendules à l’heure… En attendant ce moment, il y a déjà de quoi se faire très plaisir avec le Uitvlugt 1997 (17 ans) et le Diamond 1999 (15 ans), tout deux sortis en même temps que les deux blends et dont nous reparlerons surement ici. Note : 86

 

 

pour vous (et m’y) retrouver, concernant les notes:
90 et + : rhum exceptionnel et unique, c’est le must du must
entre 85 et 89 : rhum très recommandé, avec ce petit quelque chose qui fait la différence
entre 80 et 84 : rhum recommandable
75-79 POINTS : au-dessus de la moyenne
70-74 POINTS : dans la moyenne basse
moins de 70 : pas très bon

 

Comments
10 Responses to “Enmore & Port Mourant 1998”
  1. Nico dit :

    Waouh super description, j’en ai l’eau à la bouche, c’est exactement ce que je pouvais imaginer à l’annonce de ce mariage. Le fruit de cette union semble être d’une justesse incroyable.
    Ces rhums d’exception inspirent d’autant plus ton talent d’écriture, on s’y croirait !

    5
  2. Marco dit :

    Très belle revue! Je ne peux pas attendre pour déguster ce rhum lui-même. 🙂

    5
  3. Joli rapport de dégustation, cyril !
    J’ai hâte de lire tes CR des 3 autres nouveaux Velier :
    surtout ce superbe Uitvlugt 1997 (ULR) que j’ai goûté avec les autres
    au Whisky Live et que personnellement j’ai trouvé être le meilleur
    de cette nouvelle gamme, le Diamond & Port Mourant 1995 que j’ai légèrement
    préféré à cet EHPM 1998 et même le Diamond 1999 53,1% qui m’a un peu déçu,
    comparé (de mémoire) aux deux Diamond 1996 de la vague précédente…

    Continue de nous faire rêver avec tes dégustations et A+ !

    4
  4. Henrik K. dit :

    Looking forward to a little parcel from OldWhisky containing this one and the Diamond & Port Mourant 1995. Can’t wait to taste it! 🙂

    0
    • cyril dit :

      Do not hesitate to share your opinion, but im sure u’ll like it 😉

      0
      • Henrik K. dit :

        Just tried this as part of a tasting with 10 Veliers – awesome stuff!

        I was a little surprised how heavy and full bodied it was when taking the age into consideration. When comparing to the Dimaond 1996 which is of similar age, the Diamond felt a lot younger.

        The taste was very pleasing.
        Loads of sweet licorice as well as prunes and raisins.

        I’m very happy to have this bottle on my shelf 🙂

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        • cyril dit :

          Hi Henrik, nice to know u liked it 🙂
          The Diamond is more ‘simple’ considering the distillation process, in comparaison to PM for example or other rums from DDL. All the magic happens during the distillation process, and the results are rather different (and thats a great thing)

          0
  5. Le Glaude dit :

    Ce rhum est une tuerie!…L’association du fruité d’Enmore avec l’épicé de Port Mourant, les deux tout en puissance, fonctionne à merveille. Pour moi, loin devant Uitvlugt 97 ULR, pourtant excellent lui aussi (par contre je n’ai pas goûté le Diamond 99 ni le Diamond & Port Mourant).

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