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L’âge déraison
21 ans, une éternité pour un rhum, et un cas plutôt unique tellement il est rare de voir un rhum vieillir autant. Pourvu qu’il respecte le terme, et pourvu qu’il vieillisse sur son île natale… loin d’être une évidence.
Sur les 3 barriques, le maître de chais a récupéré l’équivalent de 220 litres, autant dire une goutte d’eau, et de quoi embouteiller 290 bouteilles et pas une de plus. Un pari fou pour la plus petite distillerie de Martinique, qui parait-il, ne reproduira plus pareil effort.
21 ans, un bel âge qu’il est décidément difficile de passer pour un rhum. A notre échelle, c’est un passage obligatoire, un tremplin entre jeunesse et vie d’adulte, entre insouciance et promesse d’indépendance et de plaisirs à venir ; pour le rhum, c’est une fin de vie, un âge avancé qui témoigne déjà de nombreuses pertes, d’ingratitudes et dont le chagrin rappelle insidieusement le temps qui passe, et le temps qui prend. Que l’on parle (de part) d’anges n’est pas sans équivoque et rappelle la fragilité du vieillissement, une obsolescence programmée que l’on sait inévitable et tragique, et qui, au mieux, laissera une trace fugace que les prochaines générations devineront, peut-être, à travers les souvenirs des plus anciens, et surtout des plus chanceux.
Et s’il y a une distillerie qui représente à la perfection cette gageur, ce sacerdoce du travail artisanal et authentique, c’est bien Neisson. Place à la dégustation…
Peut-on parler sérieusement de robe à 21 ans, peut-on encore évoquer la finesse quand l’âge est si avancé, et la fierté surdimensionnée. Le pantalon est usé, jauni par le temps qui passe, couleur or. Il a des allures de brocante, de dimanches matins et de soleil levant, au teint suranné et défraichi d’une nuit trop grisante et verbeuse, mais déjà pleine de promesses et de sourires. Un vieil or aux reflets orangés, signe d’un temps qui passe et qui tâche les mûrs d’une prison vitrifiée aux barreaux fiers et glissants. Emprisonnée 2 décennies et 365 jours, pour une peine radieuse au sourire coulant et glissant sournoisement vers l’abîme, vers le néant. Car au delà de la vingtaine, il n’y a bien souvent que des mirages et des impostures ; du pruneau, tout au plus. Au delà de 20 ans, on maquille l’épreuve, on efface les preuves, on cache sa peine, comme on peut.
21 ans et toutes ses ratiches, une âme de chérubin dans un corps de doyen, est-ce là le secret de la longévité ? Le nez de cet extrêmement vieux rhum est excessivement ample, et évoque tour à tour la vitalité des premiers jours, les balbutiements des premiers pas heureux et naïfs, hésitants, jusqu’à l’accomplissement ultime, impertinent de maitrise, l’âge déraison ; la maturité à son paroxysme.
Un temps passé à vivre et à évoluer, voilà ce qu’évoque ce rhum ; un temps passé à respecter son histoire et ne se refusant rien, ni même d’attendre. Le luxe des temps modernes.
On arriverait même à retracer son parcours, on verrait même ses gestes méticuleux et impudiques se dessiner sur nos paupières closes, dans une ambiance tellement forte et juste, complexe et équilibrée. Une jeunesse riche et prolixe à se créer des souvenirs dans un jardin fleuri, la fragrance des lys et des agrumes en fleurs s’enfuyant dans l’atmosphère lumineuse d’une saison chaude ; une course joyeuse dans le verger, des zig zags effrénés à en frôler les branches de quelques fruitiers en âge de raison, caressant la finesse incroyable d’un boisé ancestral et humble, si bien maîtrisé, magnifié, et délicieusement mis en valeur par un exotisme nanti. Un scintillement, un battement d’aile passant du néant à 21 ans, dans un flashback aromatique et passionnant.
Les anges auraient donc laissé des indices, concentrant les réminiscences d’une vie dans quelques centilitres? Un nez n’aura jamais semblé aussi long et évocateur, charmeur et scrupuleux. Confondant soigneusement les souvenirs d’une jeunesse magnifiée avec l’âge, mâture, mixant de concert fruits exotiques, rôtis ou confiturés, mangue décrépies, confitures maisons ; Réminiscences de fleurs du jardins, confessions d’un chêne immortel, jusqu’à l’odeur réconfortante du cacao en poudre, moment immuable marquant les levés de 10 000 soleils, et l’évocation charnelle des épices ; même l’empyrem est volage et fruité, signe d’un temps passé à déambuler, à supposer et de soirées passées à rêvasser.
En bouche, les 21 années restent vivantes et vivifiantes, frugales et tropicales ; une tarte fumante aux abricots rissolés, la confiture d’orange posée sur la table, les mandarines emmaillotées de vanille, alignées dans une coupelle érodée en terre cuite. Un puits de souvenir et du vécu à faire craqueler l’écorce d’un chêne gâteux, délivrant un torrent cendré fossilisé au goût du jadis, et chocolaté ; et avec elle, les épices, grillées. 21 ans « enchêné », mais sans oublier la canne élancée et mature, fleurissant dans un champs de souvenirs et d’agrumes blafards. Car elle est bien là la source de notre plaisir, intact et immortelle.
Un rhum Classieux et soyeux, avec respect ; et des épices qui dessinent même un pain fumant aux relents de miel et de cannelle, qui s’éterniserait même dans une finale savoureuse et nostalgique, classique mais classieuse, où la maîtrise règne naturellement, navigant parmi les attentes d’un rhum aussi jeune dans l’âme, mais si vieux dans les faits. Empyreum tu es et tu resteras, doucereusement et longuement, fabuleusement, et passionnément.
Un rhum qui parle, qui chante et qui pleure ; un livre ouvert sur un rhum qui vit et qui se meurt. Note : 95
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Sans aucun doute un breuvage magnifique, car la lecture laisse déjà un goût subtil dans la bouche et remplie le nez d’arômes que l’on n’ose à peine rêver.
je n’aurais peut être jamais la chance de tremper mes lèvres dans ce qui est presque déjà un souvenir, mais je te remercie d’avoir ouvert cette petite porte… Celle qui permet à l’esprit d’imaginer ce que le corps ne peut sentir.
Avec Force et Honneur !
Les Dieux n’étant plus et Dieu n’existant pas encore il y eu un moment unique ou l’homme seul a été !(les mèmoires de l’Empereur Adrien).
Je suis certain que le Rhum NEISSON 21 (XXI), fait parti des fragances innestimables façonnées par l’homme amoureux de son prochain .
Olivier
(Pour Grego)
SAlut,
tu nous a fait dans le poétique là !!
Bravo en tout cas !!!
Très joli texte.
Woao.. une de tes plus belles chroniques, sinon la plus belle. Quelle émotion !
Moi aussi je me suis envolé en lisant cette description lyrique… et je me suis aplati comme une crêpe en voyant les prix pratiqués pour ce flacon d’eau-de-vie ^^
Je me contenterai donc de rêver. Merci quand même pour ce bel effort 😉