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Voilà un embouteillage mythique considéré par beaucoup comme « le meilleur rhum jamais mis en bouteille ». Vous vous dites sûrement que cela ne veut rien dire (et vous auriez raison), mais quand on sait que ce rhum serait la plus grande fierté de Silvano Samaroli, à l’origine de la sélection et qui nous a quitté il y a peu, ou bien encore qu’il a ému des personnalités tout aussi imposantes et expérimentées, on se sent forcément très petit, et on se dit que sa réputation ne doit pas être si usurpée que ça, et on boit au bon souvenir de ce précurseur.
Côté renseignements techniques, c’est assez faiblard au final, et nous ne pouvons que regretter une nouvelle fois que les plus vieux et ‘meilleurs’ rhums sont souvent ceux dont l’histoire reste inaccessible et énigmatique, impénétrable. Car si nous connaissons la date de distillation (1948 tout de même), nous ne savons rien de l’origine de ce rhum. D’après une petite enquête menée par el grande Pietro Caputo, à qui Silvano Samaroli se serait confié il y a plusieurs mois (l’histoire ne nous dit pas après combien de verres), il s’agirait d’un assemblage de rhums provenant de Martinique et de Jamaïque qui serait resté dans un ‘assez grand fût’. S’agit-il alors d’un rhum resté en foudre, et que les nombreuses années de repos auront lentement bonifiés? ou alors a t-il réellement vieilli près de 42 ans, sans doute choyés par des anges chétifs à la diète imposée et européenne? Les questions restent en suspens depuis 1991, date à laquelle ce West Indies Dark Rum 1948 sera mis en bouteille et proposé aux amateurs, à 800 exemplaires.
Merci à l’ami Pietro pour le présent, il a su braver les anges pour sauvegarder quelques cl…grazie mille
West Indies Dark Rum 1948 / 49°
Date de mise en fût : 1948
Date de mise en bouteille : 1991
Nombre de bouteilles produites : 800 | prix : indécent
La robe de ce West Indies 1948 est ambré profond tirant sur une élégante couleur bronze, et semble lourde ; la couronne de larmes qui se forme sur le verre confirmera cette impression, et au-delà, elles resteront même comme suspendues, souhaitant sûrement profiter du paysage, de cette aération subite, de cet ultime bol d’air qu’elles attendent depuis si longtemps. Et alors que la peine se dissipe et que les larmes coulent, un parfum s’échappe déjà du verre, preuve que la belle a su garder ses attraits et que le charme traverse bien les générations.
Et force est de constater que le parfum ne s’est pas fadé, qu’il a su rester concentré et mature et que s’il n’est pas de toute fraîcheur, il est élégant et candide: les fruits sont séchés, du routinier raisin aux plus exotiques de ses cousins ; les épices sont d’une fragilité extrême et d’une finesse éperdue et comme fondues dans le bouquet. Le fluide apparait complexe et les fruits séchés se font maintenant confits et cannelle, le boisé se recouvre d’un vieux vernis écaillé qui a traversé les siècles et qui rappelle insidieusement les souvenirs usés de meubles patriarches. Avec cette impression, quelque part, de rentrer dans le verre comme on pousse la porte d’une vieille demeure, avec des souvenirs surannés marqués d’une empreinte olfactive désuète et charmante qui vous saute dessus, et parfois vous fait éternuer.
Charmante et désirable, méticuleusement usée avec des parfums de brocante et de chêne abîmé par le temps, de poussière et de voile blanc rendu beige par autant ; une odeur de commode, sur le coin duquel un vieil homme est accoudé, et vous raconte des histoires d’une autre époque à coup de « c’était mieux avant » ; certes différent, mais le charme de ce voyage garde un souvenir exquis, et déjà le visage de ce vieil homme s’évapore sous le trait lourd d’un tableau accroché sur un mur craquelé et jauni. Personne n’aurait jamais envie -et ne devrait jamais avoir l’idée- de faire pénétrer la lumière dans ce genre de lieu chargé d’histoire ; à quoi bon faire fuir le temps et ses stigmates, qu’il reste concentré et que restent fermés les rideaux et les tiroirs ; que cette maison reste étanche à la folie du présent. L’oxydation transforme et la lumière dénature les trésors, qui une fois découverts ne brilleront plus jamais du même éclat. Ainsi est faite la nature humaine, pseudo explorateur qui ne fait rien d’autre, au fond, que regretter et envier un passé révolu, et à jamais perdu.
Une simple question de spirit, où la racine du mot prend tout son sens et fait couler l’histoire. L’intrigue est longue et les pages ne se comptent pas, elles se savourent en ne perdant rien, ni intérêt, ni essence ni parfum. Au contraire, le récit évolue même et rebondit, fait apparaitre d’autres personnages, tous liés, ou peut-être plusieurs générations. La vieille demeure se transforme même en habitation luxueuse entourée de champs de canne, et ses effluves exotiques rappellent maintenant une parenté plus végétale, et tellement élégante…
La bouche se fait attendre, mais qui aurait idée de boire une histoire? Ne serait-il pas plus facile, et avouons-le lâche, de remettre ces quelques gouttes à leur endroit, et de les oublier pour qu’un jour un autre ne les découvre, ne les fasse revivre encore et encore. Car la page se fait muette et la bouche, blanche, et tout se passe dans le silence. La suite est liquide et réveillera n’importe quel sens, à commencer par la vue ; car une fois en bouche, ce rhum la rendrait à un aveugle, et mieux, à celui qui n’a jamais voulu voir… l’évidence, celle de ce vieil homme qui la disait encore il y a quelques minutes.
A cet instant on ne pense plus à cette maison ni à son aménagement intérieur, on veut tout simplement s’empresser et pousser le mobilier, en arracher les façades pour y trouver son cœur, soulever les draps, descendre les escaliers menant à son sous-sol pour y découvrir sa source. Car elle n’est pas tarie, elle jaillit encore, sans doute pas aussi vaillante qu’en 48, quoi qu’encore… Ce vieil homme cachait donc bien son jeu, ou était-ce la fatigue ou encore la sagesse, le recul ? Quoi qu’il en soit, son apparente sobriété cachait donc une richesse insoupçonnée, aromatique et quasi-biblique, un tout autre récit au bon souvenir de sa vitalité et de ses expériences qu’il a su concentrer là, dans un verre, et qu’il a su garder 68 ans durant. Le plus impressionnant est de voir, et de sentir, que le récit n’a pas pris une ride, qu’aucun coin d’aucune page n’a jauni et qu’il n’y a aucun cheveu blanc tombé au sol, aucune perte de mémoire ou de détails, aucune rancune boisée et âpre. Non, tout est au contraire d’une justesse insolente, d’un équilibre absolu, et en parler lui donnerait presque déjà moins de sens.
La puissance et la justesse de ses mots raisonnent dans un râle infini, et n’aura que très rarement donné autant de force à une dégustation. Car ce rhum raconte bien plus que des notes ou des arômes, il raconte une histoire et fait vivre des émotions, il concentre l’essentiel et le sublime avec subtilité et bon sens. Même fermé, le livre continuera de raconter son histoire, et Samaroli continuera à vivre dans chacune de ces pages.
Le rhum n’aura jamais autant été un support de communication, une occasion de voyager. Qu’il ait 40 , 10 ou 80 ans, ce rhum est une aventure hors du commun, et hors du temps. Note: 94
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grazie a te maestro Cyril. J’ai pleuré.
Salut cyril 😉
J’étais persuadé qu’un trop long passage en fût (comme, par exemple, + de 40 ans….) était plutôt néfaste…? (trop de tanins, etc…).
D’autant que celui-ci, si j’ai bien saisi ta dégustation, ne me semble pas « outrageusement » marqué par le bois…. Cela ne t’a pas surpris ??? Ou bien est-ce moi qui fais fausse route….?
@+
Sinon, la minute « maître Capello » (inutile de publier ce passage…) : si je ne m’abuse (car ça m’arrive aussi régulièrement…surtout après un verre de rhum ! 😉 ): « en habitation luxueuse entouré -> entouréE) / Quoiqu’il en soit -> Quoi qu’il en soit / et surtout : « Qu’il est 40 » -> qu’il AIT 40
J’espère que tu ne prends pas mal ces corrections, je le fais dans l’unique but d’améliorer (sur la forme) ton article…sinon, dis-moi, je ne relèverai plus… 😉
Salut Cyril 🙂
Tout dépendra des fûts utilisés au final : laisser un rhum 20 ans dans un fût épuisé (usagé) marquera beaucoup moins le rhum qu’un fût plus jeune voir à l’extrême : neuf. Sans compter le type de fût utilisé (bourbon, cognac,..). Après se pose surtout la faisabilité via la question des stocks : plus le rhum vieilli plus il s’évapore (même si ici le vieillissement est principalement continental et la part des anges bien moindre que sous les tropiques), et donc plus il faut un stock de départ important. un exemple viendra sous peu avec la dégustation d’un Appleton de 50 ans 😉
et merci beaucoup pour la minute maître Capello, tu fais bien de rapporter et de faire remonter les erreurs (donc à refaire à l’occasion) 🙂
OK, merci pour ces précisions…
Et je ferai remonter alors, mais direct sur ton mail… celui dont la 2ème partie commence par « w » et finit par « z »….
Tu seras fin prêt pour la prochaine dictée de Bernard Pivot comme ça 😉
@+ 😉