Notre ami l’Amiral Ambic a mené cet entretien avec la distillerie Savanna, de quoi en apprendre un peu plus sur une distillerie parmi les plus complètes, qui distille et met en vieillissement rhum traditionnel, rhum agricole et rhum grand arôme, jouant sur les finitions comme un musicien joue sur ses partitions, avec virtuosité et audace.
Intervenants durant l’entrtien :
LB : Laurent Broc, Directeur de la Distillerie
JL : Johnny Landais, Responsable de la production
AC : Antoine Charrier, guide touristique sur la boutique de la Distillerie
Pouvez-vous nous présenter votre distillerie et votre philosophie ? Combien de litres de rhums sont produits chaque année chez SAVANNA ?
AC: La Distillerie Savanna est une ancienne distillerie de rhum, initialement implantée au lieu-dit Savanna à St-Paul dans l’ouest de La Réunion, avec la Sucrerie de Savanna. Des documents d’archives datés de 1863 attestent de l’existence d’une installation de distillation à cette époque. Mais il est vraisemblable que la distillation était pratiquée sur ce site depuis le début du 19ème siècle.
Par contre, suite à la fermeture de la Sucrerie de Savanna en 1986, la partie distillerie a déménagé en 1992 pour venir s’installer près de la Sucrerie de Bois-rouge (Saint-André) ; l’occasion également de renouveler une partie de son outil de production.
Actuellement, la Distillerie produit des rhums sous deux approches. La majorité de sa production est destinée à des clients professionnels qui commandent des rhums pour créer des punchs, des cocktails, des liqueurs, etc. Cette part de la production demande une grande maîtrise, soulignée par des certifications : ISO 9002 (première distillerie de rhum certifiée en Europe), puis ISO 9001. En fonction des années, cette production peut varier entre 40 000 et 60 000 HLAP (hectolitres d’alcool pur).
D’autre part, la Distillerie conserve une infime partie de sa production pour la commercialisation de certains tirages sous sa propre marque. Ces sont les rhums que vous connaissez. En rhums blancs, rhums vieux et éditions limitées. Cette part de la production se limite généralement à 40 à 50 000 cols de bouteilles (soit 30 à 35 000 litres de rhum). D’où une distribution sélective chez les cavistes et les vendeurs de spiritueux spécialisés. Par contre, cette très faible distribution autorise des méthodes de production particulièrement sélectives : éditions limitées à quelques centaines de bouteilles, embouteillage manuel et à l’unité, grande exigence dans la sélection des fûts, etc. Notre marque a l’ambition de porter au plus haut niveau le savoir-faire Réunionnais dans l’élaboration des rhums de qualité.
Le relief de l’île semble rendre difficile la culture de la canne, est-ce une réalité et comment paliez-vous à cette difficulté ?
AC: Première chose, le relief de l’Ile nécessite que 60 à 70% de la canne soit coupée à la main, les machines ne pouvant pas accéder aux parcelles les plus pentues. Il y a aussi une majorité de petits planteurs, qui disposent de petites parcelles, et récoltent donc également surtout à la main.
« le relief de l’Ile nécessite que 60 à 70% de la canne soit coupée à la main… »
La forte pression urbaine a tendance également à pousser à planter dans les hauts de l’Ile. Toutefois cette « contrainte » n’en est une que pour les planteurs. La Sucrerie de Bois-Rouge à St-André, avec laquelle travaille la distillerie Savanna, achète les cannes de la même façon à tous les planteurs qui lui vendent leurs cannes
Un élément à noter : il existe à La Réunion le centre de recherche eRcane. C’est un pôle de recherche sur la canne, qui travaille à l’adaptation des souches de cannes en fonction des microclimats, des altitudes, des pluviométries, des natures des sols… Il s’agit d’un centre de recherche très performant, dont les cannes sont employées dans le monde entier.
La distillerie a été déplacée en 1992, pour quelles raisons ?
AC: Le phénomène de concentration des outils de production sur les sucreries a vu la fermeture de presque toutes les sucreries à La Réunion dans la 2ème moitié du 20ème siècle.
Seules deux sucreries sont encore en activité aujourd’hui : Le Gol (St-Louis) et Bois-Rouge (St-André).
La Sucrerie de Bois-Rouge et La Sucrerie-Distillerie de Savanna faisaient partie du même groupe industriel, c’est donc naturellement vers Bois-Rouge que la Distillerie Savanna a déménagé à l’époque, en même temps que l’implantation de la Centrale Thermique de Bois-Rouge (première centrale charbon-bagasse au monde), pour constituer un pôle industriel autour de la canne à sucre : énergie – sucre – rhum.
Pourquoi est-il nécessaire d’être proche de cette sucrerie ? Parce que ce sont les sucreries qui nous fournissent les matières premières, à savoir la mélasse pour le rhum traditionnel, et le jus de canne pour le rhum agricole ainsi que les énergies.
Le respect de l’environnement semble être une priorité dans le fonctionnement de la distillerie, pouvez-vous nous en dire plus ?
Les exigences de l’intégration des outils de production dans leurs environnements sont importantes. Savanna travaille de longue date pour atténuer au maximum les impacts sur son environnement par la recherche et la mise en œuvre de procédés technologiques les plus appropriés.
Savanna fait du rhum depuis plus 60 ans, pourtant en métropole et même à la Réunion, le produit reste méconnu. Pourquoi selon vous ?
AC: Pour reprendre quelques éléments évoqués plus haut, il s’agit de choix de production.
LB: En effet, l’ambition de notre marque est tournée vers l’amélioration qualitative de l’image des rhums Réunionnais, et de tenter de faire redécouvrir à nos compatriotes les grandes qualités de la production locale de rhum.
De notre analyse, les grandes surfaces (GMS) ne créent pas d’image mais en général utilisent les valeurs perçus des produits qu’elles commercialisent. Pour atteindre nos objectifs d’image, il nous faut passer par des ambassadeurs convaincus de la grande qualité des rhums. Nous avons donc développé, à La Réunion, en Métropole et à l’international, une distribution sélective auprès des cavistes, épiceries fines, restaurants et bars renommés. Pour convaincre ces ambassadeurs nous avons participé et obtenu de très nombreuses récompenses auprès des plus grands concours mondiaux de spiritueux. L’accueil et la visite du site de production s’inscrivent parfaitement dans ces objectifs et les complètent.
« De part ce positionnement, nous nous sommes donc exclus volontairement d’une grande distribution de masse de ce fait nous avons une excellente image qualitative mais très peu de notoriété »
Il nous faut rappeler que la Marque SAVANNA a été lancée en 2003, il nous faut donc un peu plus de temps pour accroître notre notoriété.
Pour quelle(s) raison(s) n’étiez vous pas présents cette année au Whisky Live de Paris ?
LB: Anciennement nous disposions de l’appui du groupe Quartier Français propriétaire de la Distillerie de Savanna qui disposait d’une forte implantation en France métropolitaine pour nous aider à participer à ces événements. Depuis le rachat de Savanna par la « Réunionnaise du Rhum » nous avons perdu ces appuis en France et nous sommes, sur ce sujet, en reconstruction.
Savanna a la particularité de proposer une gamme de rhums très étendue. Est-ce une volonté de la direction ou le maître de chais a-t-il toute liberté ?
AC: De ce point de vue, la volonté de la Distillerie est de montrer qu’à partir d’une même matière première (la canne), il est possible d’obtenir des palettes aromatiques très diversifiées, en jouant sur les méthodes de production, les savoir-faire, les critères de vieillissement.
Le Savanna Lontan, ou Grand Arôme, est symptomatique de cette volonté. Il s’agit d’un rhum à fermentation très longue (10 jours), que très peu de distilleries maîtrisent. La Distillerie Savanna a fait le choix de proposer ce rhum au grand public, pour afficher des qualités organoleptiques très spécifiques et des usages très originaux. Le Grand Arôme vieux est le seul rhum de ce type au monde, une fierté pour la Distillerie !
Cf Stratégie
Vous êtes une des quatre distilleries au monde qui produise un rhum grand arôme. Pourquoi ce désir et comment est-il élaboré ?
AC: Le Grand Arôme est un rhum traditionnel, qui exprime de la manière la plus complexe les arômes de la mélasse. La méthode de fermentation fait intervenir des levures et des bactéries dans des conditions bien spécifiques (qui relèvent des secrets de fabrication !). Ce rhum est également distillé dans notre ancienne colonne de cuivre, la colonne Savalle.
Il y a quelques années une expérience a été faite avec la distillerie de whisky EDRADOUR. Ce genre d’échanges est-il à envisager dans le futur de SAVANNA ?
AC: La volonté du « Maître de Chai » est de pouvoir proposer des rhums vieux avec une typicité aromatique unique. D’où les éditions limitées, les finitions ou ce type de travaux avec d’autres distilleries. Cependant, ce genre de collaboration est particulièrement ardu (législation, douanes, coûts importants, etc…).
Une collaboration est en cours de constitution avec Tullibardine (en Ecosse). Je ne m’étends pas sur ce travail, puisqu’il n’est pas assuré pour le moment que le résultat final rencontrera l’adhésion et les exigences de typicité du « Maître de Chai ».
Nous donneriez-vous quelques informations sur les futures éditions de SAVANNA ?
JL: Oui une possible re-concentration de notre gamme pour travailler la notoriété sans perte d’image, élaborer un rhum « locomotive » du reste de la gamme.
Vos « brut de fût » sont exceptionnels, pourquoi privilégier les éditions de rhums ramenés à 46% alors que le public est de plus en plus demandeur de rhums puissants ?
AC: Mon expérience auprès du nombreux public que nous recevons en boutique me montre que les amateurs chevronnés sont rares. La très grande majorité des personnes qui font l’acquisition d’un rhum sont des consommateurs très ponctuels, souvent curieux mais pas nécessairement expérimentés. Et souvent également pour offrir à des personnes dont ils ne connaissent pas les habitudes de consommation de spiritueux vieux.
« Certes les bruts de Fûts sont la version la plus pure et la plus explosive des rhums vieux, mais ils nécessitent une connaissance et une habitude dont ne dispose pas l’ensemble du public »
Et un rhum à 58%vol, 59%vol ou même 63%vol peut intriguer mais aussi souvent effrayer… C’est pourquoi nous tâchons de varier les productions et les dilutions pour pouvoir proposer des rhums à des degrés adaptés aux habitudes de l’ensemble de nos consommateurs.
Pourquoi ce choix d’un titrage à 46% ?
AC: Ce titrage à 46%vol concerne nos éditions limitées dites « Single Cask ». Les assemblages sont ramenés à 43%vol. Quelle que soit la dilution, elle doit permettre d’équilibrer l’attaque alcool et la concentration des arômes. Pour les Single Casks, le « Maître de Chai » choisit cette concentration, qui lui semble la plus adaptée.
Quelles qualités d’un maître de chais sont-elles recherchées par SAVANNA ?
JL: Il n’y a pas à proprement parlé de Maître de Chai à Savanna. C’est le travail collégial de l’ensemble des collaborateurs. Le responsable de la production appose sa signature sur les éditions limitées, mais n’est pas à proprement parler un Maître de Chai tel qu’on peut en rencontrer dans des fonctions très spécifiques, dans de plus vastes maisons de Cognac.
Vous êtes probablement vous-même amateur de rhum, quels sont les rhums que vous auriez aimé sortir de votre distillerie ?
LB: Question extrêmement difficile tant l’on rencontre d’excellents rhums partout dans le monde et tant qu’ils restent des rhums de distillerie, mais j’avoue un faible pour les rhums de Jamaïque et de Barbade.
Quel sont pour vous les rhums SAVANNA à recommander à ceux qui voudraient découvrir votre maison ?
AC: Tous bien-sûr ! Plus sérieusement, le Métis est un rhum très souple, arrondi par sa maturation en foudres de chêne. C’est un rhum facile à aborder et très bien adapté aux cocktails.
Le Lontan blanc. Même au risque qu’il déplaise, il faut au moins le sentir pour découvrir que les rhums n’ont rien d’uniforme et qu’il existe une variété infinie de typicités d’arômes. A goûter glacé ! Comme une vodka.
Les visiteurs de la boutique ont souvent tendance à penser que les éditions limitées sont réservées aux spécialistes. J’ai tendance à penser le contraire : si l’on ne connaît rien aux rhums vieux, je recommande de commencer par les éditions limitées. Parce que sur ces rhums, les parfums sont plus riches, plus nets, plus lisibles, plus aptes à plaire pour une première approche.
La convention canne signée en 2006 arrive à expiration en 2015, les quotas et prix garantis seraient supprimés dès 2017… Comment voyez vous l’avenir du rhum de la Réunion ?
LB: Nous ne traitons que le quart de la production de mélasse de La Réunion et une infime quantité de jus de canne. D’importantes quantités de mélasse sont régulièrement exportées de La Réunion, donc vue de notre côté il restera toujours suffisamment de canne à La réunion pour que Savanna prospère.
Ce n’est évidemment pas le même discours pour nos partenaires sucriers.
Il n’y a d’AOC pour le rhum français qu’à la Martinique. Qu’en pensez vous et seriez-vous favorable à une AOC à la Réunion également ?
LB: Ce dispositif a le gros inconvenant de figer dans le marbre les techniques de production et la qualité du produit. INAO, instructeur de l’AOC impose une obligation de moyen et de résultat.
« Nous ne sommes pas favorables à la mise en place d’une AOC »
Or avec le temps tout évolue, les techniques, les goûts des consommateurs, l’environnement qui font que l’AOC est perçue comme un véritable handicap à long terme par certains professionnels. Nous avons par contre déposé une demande IGP auprès de l’Europe beaucoup plus souple sur le sujet.
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Merci pour cette mise en lumière, escomptons que cela participe un peu à faire connaitre une production que, personnellement, je trouve de qualité…
P.S. : plus de bruts de fûts, je vote pour aussi !! 😉