Michel Sajous
Entretien avec Michel Sajous, producteur de Clairin à la distillerie Chelo, qu’il a fait construite en 2004 pour poursuivre une affaire familiale vieille d’un demi siècle. Au milieu d’une plantation de 30 hectares, il y cultive la canne Cristalline, une variété non hybridée aujourd’hui pratiquement disparue des Caraïbes. Voyage dans un cadre idyllique où la polyculture est reine, et où les produits chimiques n’ont pas -encore- élu domicile. Une contrée vierge et authentique où la mécanisation se limite à un petit moulin alimenté d’un moteur diesel. Un autre monde, un autre rhum.
Je suis Michel Sajous, né à St Michel de l’Attalaye le 18 juillet 1957. Je suis ingénieur civil de formation et je viens d’une famille de 10 enfants. Marié depuis 31 ans et père de 2 filles. Quand on parle d’Haïti on pense d’abord à Barbancourt, alors qu’à quelques kilomètres de là, des centaines de micro distilleries produisent du Clairin. Pouvez-vous nous parler de l’impact du Clairin en Haïti ? Son rôle dans la société haïtienne. Effectivement pour nous autres haïtiens, le rhum Barbancourt a toujours été une référence. Ce rhum tant apprécié sur le marché local qu’international a été le premier depuis longtemps déjà à avoir franchi cette étape. Cependant la grande majorité de la population haïtienne consomme uniquement du clairin. Il est bu soit ‘’Cru’’ (pur) ou en ‘’Trempé’’ (Arrangé) qui est une infusion soit de feuilles bien spécifiques, ou d’herbes ou de racines ou encore de fruits cela dépendra du but recherché. Il peut être aphrodisiaque, médicinal ou tout simplement pour le plaisir. Ce clairin cru ou ces trempés se vendent au détail à tous les coins de rue à un prix vraiment dérisoire. Ce qui fait du clairin le produit le plus consommé par la population haïtienne. Bien ancré dans nos mœurs, il se retrouve à toutes les occasions ou cérémonies importantes de la vie haïtienne. Vous en produisez depuis des décennies, et votre famille bien avant encore, qu’est ce qui le différencie du rhum selon vous ? Le clairin et le rhum à mon humble avis se différencient seulement par le nom. Le clairin est produit à partir du jus de canne ou du sirop de canne comme matière première. Les principes ne changent pas, seulement les méthodes de production peuvent varier d’un producteur à un autre, d’une région à une autre. La base pour la production du rhum ou du clairin reste et demeure la canne à sucre. Chaque région utilise des cannes différentes, pour la plupart endémiques à la région où elle pousse ; quel genre de canne cultivez-vous ? Et qu’est-ce qui la différencie des autres selon vous ? Quelles sont ses particularités ? Après plusieurs années dans la culture de la canne à sucre, nous avons opté pour la Cristalline et nous produisons cette variété sur la majorité de nos plantations. Elle s’est adaptée depuis longtemps déjà à la zone et les résultats sont plus que satisfaisants. On retrouve dans cette variété des critères importants, comme sa dureté qui la protège contre les rongeurs, son taux de sucre élevé, et la qualité du produit fini. Vous cultivez encore la canne à sucre en association avec d’autres espèces végétales (en polyculture), ce qui semble être irréel ici pour des raisons de rendement. Que croyez vous que cela apporte à la canne et au Clairin. Effectivement, dans nos plantations de canne on retrouve pleins d’arbres fruitiers, ce qui réduit considérablement le rendement par hectare. Mais le but recherché n’est pas seulement de maximiser notre production à l’hectare, mais aussi d’accentuer sur les propriétés naturelles de nos produits. Avec la diversité la nature retrouve ses droits et notre qualité en profite énormément. Chez nous tout se fait manuellement et naturellement. Les feuilles mortes, la bagasse se décomposent et c’est tout ce que la terre demande comme fertilisant pour de plus belles récoltes. Avez-vous déjà pensé à utiliser d’autres cannes, ou à changer vos méthodes de production, les agrandir ? Oui nous avons utilisé d’autres cannes et peut être le ferons nous encore à l’avenir. Pour le moment nous avons fait le choix de la Cristalline, et nous sommes satisfaits du résultat. Pour ce qui a trait à nos méthodes de production et d’agrandissement, l’amélioration est toujours de mise et nous sommes très ouverts à tout ce qui se fait de par le monde dans ce domaine. Le terme terroir n’est pas assez valorisé dans le rhum et vous êtes un exemple parfait de ce terme et de ses valeurs. Est-ce important selon vous, ou cela vous semble naturel car vous ne pouvez pas faire autrement ? Les plantations de canne et la Distillerie Chelo qui fabrique le clairin Sajous sont situées sur un plateau à une certaine altitude qui nous confère un climat propre à nous. Tout cela d’une façon générale contribue à la qualité de nos produits. A partir de ces critères notre produit détient sa propre identité et ne peut être confondu. Que vous le voulez ou non, le terroir joue un rôle important dans l’élaboration du produit fini. Le Clairin n’est malheureusement pas toujours sain, et certaines personnes malhonnêtes peuvent fabriquer du poison pour la population, quel est selon vous la proportion de vrais artisans du Clairin en Haïti ? Ce sera très difficile de mettre un chiffre sur la quantité de gens qui font un produit sans risque et ceux qui par appât du gain fabriquent un produit qui peut être néfaste au consommateur. Je peux tout simplement vous conseiller de consommer le clairin Sajous qui est un produit de qualité. Pouvez-vous nous parler en quelques mots de votre production ? Du temps de fermentation, des différentes étapes et le temps nécessaire à son élaboration ? Le principe de distillation chez nous n’est pas différent de ce qui se fait un peu partout dans le monde. Pour notre production nous utilisons la canne fraichement coupée d’une variété bien spécifique, plantée et fertilisée naturellement. Notre fermentation du jus de canne est aussi naturelle et la durée varie suivant les époques entre 5 et 8 jours. Notre chaudière est à feu nu et la bagasse est utilisée comme combustible, et nous distillons avec une colonne créole de 6 plateaux. (Note: le sucre de canne extrait est concentré avec la vapeur produite par la bagasse, pour donner un sirop qui sera distillé) Nous avons découvert votre Clairin (et d’autres) il n’y a pas si longtemps, que nous consommons en dégustation généralement pur, et définitivement comme un grand alcool. Comment avez-vous vécu cela ? Je suis très fier que le Clairin Sajous soit aussi prisé en Europe. En effet le clairin chez nous était consommé différemment mais depuis quelques temps il y a comme un éveil chez l’ haïtien qui veut lui aussi apprécier ce produit méconnu depuis trop longtemps déjà. Le mot qui revient le plus souvent lors de dégustation est ‘’surprenant’’, et les gens sont très étonnés de la puissance aromatique et du caractère quasi irréel du clairin… L’arôme d’un bon clairin m’a toujours fasciné et je peux comprendre facilement la surprise d’un consommateur qui le découvre pour la première fois. Cela a du vous faire sourire de voir un alcool de pauvre devenir à la mode dans cette partie du monde. Comme dit le vieux dicton ‘’Nul n’est prophète dans son pays’’. Je souris encore d’avoir pu voir la réalisation d’un rêve longtemps caressé. Sortir ce produit méconnu de l’anonymat est une victoire pour moi et le pays tout entier. On doit à Luca Gargano cette découverte du Clairin, quels souvenir gardez-vous de votre première rencontre avec le monsieur ? Et avec Capovilla ? Luca Gargano un phénomène, notre rencontre a été sublime, on s’est tout de suite compris et les choses ont évolué rapidement. Son amour de la simplicité et ses connaissances à tout ce qui se rapporte au rhum a permis au clairin d’être aujourd’hui à ce niveau. Le pays lui doit une fière chandelle. Capovilla le maitre distillateur lui aussi nous à beaucoup impressionné de par ses connaissances et son savoir faire en la matière. Nous l’avons visité à Rosa et lui aussi nous a payé d’une visite à St. Michel. Ces conseils nous ont été d’une grande utilité. Et depuis ces rencontres, qu’est ce qui a changé pour vous ? Ces rencontres m’ont permis de vivre un rêve et d’avoir la satisfaction d’un devoir accompli. Mon désir d’innover, d’améliorer est très forte et je me permets de rêver encore plus grand. A quoi ressemble l’avenir pour les clairins Sajous ? Des nouveautés ? des partenariats peut-être ? Encore une fois je suis très fier que mon clairin ait autant de succès. Il y a toujours de la place pour les améliorations donc c’est le moment de faire d’autres investissements qui amèneront sûrement des nouveautés. Qui peut savoir ce que l’avenir nous réserve, un partenariat pourrait être le bienvenu.
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Tout simplement bravo et bon vent ! On est loin d’avoir tout dit sur le rhum, Haïti en apporte la preuve !
Soleil d’Haïti en bouteille. Bien. Clairin / Sajous se démarquer de la foule. Passionnant. Puissant. Créer joie ici au Danemark. Je suis un fan.
Michel,
Compliments! Continue le travail extraordinnaire que tu fais.
Que Dieu te garde.
excellent reportage qui me rapproche encore plus de mon sajous !
Une questions ! pourquoi finalement ne peut-on pas appeler un clairin « rhum » ?
Proud of you for continuing the legacy of the Sajous family keep up the good job.
Bravo aux amis de St-Michel où j’ai partagé leur vie pendant quelques années de 1980 à 1983. J’ai bien hâte de déguster une bouteille de ce clairin de St-Michel de L’Attalaye. Bonne continuation. kinbé pa lagé!!!Amitiés a tout zamis yo.