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On repart vers le Guyana pour une dégustation croisée de plusieurs ‘jeunes’ et vieux Demerara, avec pour vedette des alambics vieux de plusieurs siècle ; de Versailles à Port Mourant en passant par Enmore, c’est surtout l’occasion de ressortir de vieux samples et de ne suivre aucune logique ; une dégustation plaisir généreusement sponsorisée (pour la plupart) par l’ami Pietro.
Samaroli Port Mourant 1990 / 45°
Distillé en 1990 et embouteillé 17 ans plus tard en 2007 à partir du fût#95
(qui donnera 366 bouteilles) après avoir passé le plus clair de son temps en Europe. On aime bien recycler chez Samaroli et l’étiquette utilisée ici sera réutilisée pour d’autres séries (dont un Caribbean 2005).
La robe est très claire, plus dans l’esprit d’un Enmore light que d’un PM généralement plus soutenu, mais rappelons que le fût joue beaucoup et que le résultat peut être hasardeux en terme de couleur (et qu’il a dû aussi arriver très jeune sous nos latitudes sans compter les réglages des différents alambics qui donneront, au final, des rhums assez différents). Voilà donc une robe jaune paille aux allures de vin blanc, huileuse et d’apparence gourmande.
Au nez, ça a en effet plus des allures de Enmore que de Port Mourant : des fruits exotiques en sirop, de la poire, du bois frais (sciure) et de l’anis. Un nez sympa, loin du boisé humide de PM et plus sur l’ananas, la pomme et la poire. Le tout fondu dans la mélasse et de la vanille. Exotique et sec avec un boisé présent et conquérant. Vert et fruité mais bien équilibré.
En bouche, l’attaque est huileuse et fait ressortir l’exotisme, les fruits à coque et le bois frais : sciure, crayon à mine et anis fraîche, les amateurs de Enmore ‘light’ apprécieront, les autres beaucoup moins. C’est simple et efficace mais ça manque de personnalité au milieu des Demerara survitaminés. La fin de bouche est sèche, boisée et légèrement amère, sur des tanins mélassés et vanillés. On a connu meilleur Demerara et meilleur Enmore. Le verre vide est chocolaté.
Si vous cherchez la patte PM et son boisé inimitable, passez votre chemin ; nous sommes plus ici sur un profil qui ressemble à Enmore (en version light). Note: 79
Samaroli Versailles 1990 / 45°
Voici un rhum dont l’étiquette aura aussi servi à plus d’une reprise: il existe une version de 1994 sortie en 2005 et même un millésime de 1974, mais tout deux sans indication de provenance. Cet embouteillage aura donné au total 1346 bouteilles.
La robe est jaune pâle, encore proche d’un vin blanc, brillant et huileux avec des jambes plutôt grasses.
Le nez est très doux et suave, délicat, sur la mélasse et l’exotisme en plus d’un végétal opulent (herbe) et de notes minérales. Un rhum ici encore assez léger, au naturel et avec juste ce qu’il faut pour faire son petit effet. Le repos apporte des notes d’olives vertes pour un profil plus saumâtre mais rapidement annihilé par l’exotisme et des fruits juteux (pêche, abricot). Ce rhum est aussi à la fois très frais, tirant sur l’anis frais et la citronnelle. Simple, mais juste. Le tout est très bien équilibré et suffisamment concentré pour donner un bel intérêt à la dégustation. Très belle maîtrise.
En bouche, l’attaque est très douce, suave et caresse le palais, à l’image du nez ; avec une nouvelle fois cette impression d’avoir en bouche un mélange fondu et des saveurs plus ou moins contradictoires : les notes saumâtres se mélangent aux fruits gorgés de sucre (pêche) et acidulés (pomme) avec un effet sucré/salé tranchant mais au final très bien équilibré. On n’imagine pas forcément ces notes coexister mais l’équilibre rend la tâche plus facile et même très agréable. Le côté iodé et salin, acidulé et sucré fait marcher les papilles dans une finale moyennement longue, plutôt sèche et toujours salée, mais intéressante.
Un rhum très bien équilibré qui brille par sa simplicité. le mélange des genres donne un beau résultat, meilleur que le précédent rhum qui parait bien moins maîtrisé (avec plus de tanins et d’amertume en bouche). Note: 85
Cadenhead PDW 1972 28 ans / 63,2°
Issu de leur fameuse série ‘Cask Strenght’ qui leur aura permis bien avant tout le monde de proposer des rhums en version brut de fût, voici le ‘Cask Strength from Caribbean Distillers PDW’ âgé de 28 ans et distillé en 1972 (1972 – 2001), embouteillé à 63,2% vol. D’où vient-il exactement ? mystère.
La robe est d’un séduisant ambré tirant sur un vieil or très brillant et offre des jambes excessivement lourdes.
Au nez, c’est concentré et même si l’alcool est assez bien intégré pour 63 degrés passés, il ne faut pas insister de trop près. C’est exotique (mangue, papaye opulente), sur un boisé sec et vanillé, poudreux et rêche, une mélasse légèrement fumée et caramélisée, du miel. Séducteur, avec aussi des agrumes pour un petit moment fraîcheur.
Le repos le rend encore plus charmeur, sur un parfum d’exotisme caramélisé et vanillé, dont la légèreté est renversée par des relents de boisé vifs et assez francs/secs, et de tabac. Le charme des meilleurs Enmore avec une retenue boisée et incisive, et une bouche qui s’annonce décapante. Avec encore plus de repos, des arômes de grenadine, petits fruits rouges.
Avec quelques gouttes d’eau, le côté pâtissier ressort nettement (caramel et chocolat au lait) ; avec une dilution un peu plus forte c’est la fraîcheur (agrume) et un exotisme sénile (papaye) qui dominent le nez.
La bouche est concentrée et puissante, décapante même car elle semble suffisamment vivante pour vous fouetter le palais à coup de planche en bois, sans manquer d’y laisser un peu de fruit derrière pour amortir le choc. Tabac, mélasse, fumée, chaudes épices et réglisse, l’alcool chauffe la bouche, pour une finale persistante sur des notes plus sèches (réglisse, tabac). Avec de l’eau, le rhum ne perd rien et devient par la force des choses plus facile.
Un rhum qui vous caresse le nez et vous fouette le palais. Note: 87
Cadenhead XPD 1971 29 ans / 64,7°
Dans la série des Cask Strenght (brut de fût) de chez Cadenhead, je demande Enmore et plus précisément le rhum XPD de 29 ans distillé en 1971 (et embouteillé en 2000). A noter qu’il existe aussi une version de 28 ans (1971/1999 et 67,1°) et une autre de 32 ans (71/2003 à 61,8°). Tous des millésimes de 1971 de la même mark (XPD) et donc logiquement le même rhum mais sorti en décalé (d’où le titrage qui baisse légèrement avec la date d’embouteillage).
> photo de Pietro Caputo
La robe est ambrée, vieil or et d’une très belle brillance. La robe est très huileuse et laisse entrevoir une profusion de jambes et de gouttelettes en apesanteur.
Au nez, passé le mur d’alcool, c’est très concentré: sur la noix, la mélasse grillée et du vernis à bois en plus de la classique sciure (taille de crayon à bois) ; ça nous renvoie des flashbacks de la petite enfance, des réminiscences de table en bois et de crayon usé (mordu jusqu’à la mine), de vieux meubles cirés. Pour 64,7° ça passe merveilleusement bien, et même si le nez reste puissant, la palette aromatique est décuplée et le rhum fonctionne très bien sur la longueur.
Plus le temps passe (plus les souvenirs s’effacent) et plus le rhum part sur un profil plus fruité et résolument confit: raisin, figue, dans un ensemble compoté, résineux et enivrant, avant de se faire exotique. Rarement un Enmore aura semblé aussi intéressant.
Le rhum se prête à merveille à quelques gouttes d’eau: arrivent des notes de cuir, de boîte à tabac dans une ambiance fumée/tannée. La table d’école a laissé place au vieux fauteuil en cuir usé. Sans fausse note, l’équilibre n’est pas rompu et le rhum devient presque chocolaté, avec un exotisme gourmand (papaye extra mure).
En bouche, c’est très concentré et résineux, puissant et médicamenteux ? un mélange de vernis, d’herbe (fraîche) et de bois frais qui vous saisit le palais mais pas autant qu’attendu au vu du nez et surtout du degré. On se dit à cet instant que ça va partir dans tous les sens et en fait non: une certaine osmose se met même en place et le rhum apparait assez équilibré au final, et devient même très rafraichissant (menthe fraîche) et plaisant. Les fruits secs apportent ce qu’il faut de ‘douceur’ mais l’aspect vernis boisé reste conquérant, tout comme le clou de girofle, et disons-le clairement, l’alcool. La fin de bouche est longue et puissante, sèche, sur le vernis et un boisé séché, et restera en place pour la prochaine demi-heure, à minima.
Avec un peu d’eau, ça passe une nouvelle fois très bien (et même mieux?), toujours avec une concentration extrême et un équilibre qui n’est pas rompu par l’ajout. Cuir, tabac, bois, résine, vernis, cire, fruits secs, menthe poivrée. Et une finale toute aussi longue.
Un Enmore dans une version light qui n’aura rien à envier à certains embouteillages de chez Velier. On retrouve cet aspect résineux/collant qui fait une belle différence, aussi bien au nez qu’en bouche, où seul l’alcool paraitra un peu trop présent (et encore). A réserver aux initiés qui apprécieront sans doute de trouver un Enmore à leur goût. Et avec ou sans eau c’est un succès. Note: 89
Faisons maintenant un tour chez un autre embouteilleur italien avec Siver Seal ; Nous avons déjà eu l’extrême plaisir de goûter des monstrueux millésimes de 1975 de 37 ans estampillés Port Mourant. Voyons maintenant ce que peuvent donner des rhums légèrement plus ‘jeunes’ (28 ans) distillés cette fois en 1974.
Pour la petite histoire (grazie Pietro), un premier fût a été embouteillé à 60% (donnant 650 bouteille), puis la moitié d’un second mais cette fois-ci sous une autre étiquette (en mai 2003 et toujours à 60°), pour finalement sortir le reste en version fullproof à 68,6° en septembre de la même année.
Silver Seal Demerara 1974 28 ans / 60°
Embouteillé en 2003 après 28 ans de vieillissement par l’italien Silver Seal. Nous verrons plus bas le même millésime du même âge mais à un degré d’embouteillage différent. Celui-ci est le premier sorti, à 650 exemplaires.
> photo de Pietro Caputo
La robe est couleur café, tirant sur le coca, grasse avec des jambes surdimensionnées.
Au nez on est bien sur un Demerara, pas de doute possible: mélasse à gogo, grillé, sucre brûlé, chêne caramélisé, rappelant la série des Demerara Dark de chez Samaroli. Ce n’est sans doute pas un rhum très complexe à la vue de son grand âge, mais il a tout d’un classique du genre. C’est sombre et grillé, avec du tabac et du café, de la réglisse bien noire. Au delà il n’y a pas grand chose d’autre, à part des arômes chauds et grillés. L’alcool est bien intégré et les 60° ne dérangent à aucun moment et on est clairement dans l’ambiance de vieux Demerara (Cadenhead Green Label 1975, etc..) avec un profil très accessible, et avec avouons-le un charme fou…
En bouche, c’est gras, sucré et sans grosse surprise sur la mélasse ; Bel équilibre entre notes sucrées/grillées et tanniques, toujours dans une ambiance sombre et collante, portée sur la réglisse. Les 60° permettent de passer outre la mélasse et la sucrosité en apportant de la tenue, dans un rhum très concentré et vivant qui tapisse le palais. La fin de bouche est moyennement longue, mais très persistante sur la mélasse qui restera encore et encore. On passe un bon moment et ça se boit facilement, mais malgré le charme on attend plus d’un Demerara de 28 ans avec 60 watts au compteur.
Dans l’ensemble un rhum agréable et charmeur, mais assez (trop) monolithique : principalement sur la mélasse, il manque tout de même d’intérêt. C’est surtout très facile d’accès pour un rhum à 60° (merci la mélasse/sucre). Un rhum plaisir, sans prise de tête (mais de luxe). Note: 85
Silver Seal Demerara 1974 28 ans / 68,6°
Toujours 28 ans, ce ‘Pure Demerara’ est proposé en version brut de fût sorti à 470 exemplaires ; l’étiquette est illustrée par Sarah Adams (ici “Galah Cockatoos ‘98”) pour la série « Wildlife Serie 1 » de Silver Seal. Distillé en 74 puis embouteillé en 2003. Nous avons vu au-dessus la version à 60, voyons maintenant ce qu’apportent 8,6° de plus.
> photo de Pietro Caputo
La robe est tout aussi sombre, couleur coca, grasse et qui demandera 2 ou 3 lavages après dégustation.
Au nez, on est sur une résine de mélasse et les 68° font à peine 40° (à peine exagéré) ; ça passe merveilleusement bien et on est clairement dans un Demerara à l’ancienne sûrement mis à vieillir avec une bonne dose de mélasse (mesuré à 66,5° il y aurait quelques grammes de sucre par litre dans ce rhum). Ça se rapproche assez des gammes ‘Dark’ de chez Samaroli, ou encore du dernier Diamond sorti par Whisky & Rhum et sa gamme l’Esprit pour comparer avec un rhum plus récent ; avec ce coté hyper gourmand et où l’alcool est quasi inexistant.
Par rapport à la version à 60° c’est beaucoup plus complexe et évolutif, avec moins de mélasse grillée et plus de fruits confits (ou compotés dans la mélasse) : pruneaux, cerises, ambiance forêt noire du Guayana. Un rhum une nouvelle fois gourmand et pur plaisir, mais où est l’alcool ?? En tout cas, il donne envie d’en prendre une bonne gorgée sans attendre, et il nous fait voyager loin dans le temps, très loin..
En bouche, c’est très résineux et concentré, puissant avec le retour des 68°: du tabac et du cuir se mélangent à la mélasse avec l’impression de mordre à même le blouson en cuir d’un vieux routard, poussiéreux avec un arrière-goût de sang séché. Du fumé partout la bouche, tout en épaisseur. C’est excessivement bien équilibré et plus complexe que son ‘petit’ frère, ça sent les phéromones, ça remue dans la bouche et ça explose de tous les côtés, avec ce goût fumé/cendré inimitable qui va s’engluer sur chaque interstice de votre intérieur, jusqu’à remonter au cerveau et vous mettre KO. Un rhum à l’animalité assumé et séductrice, un uppercut gustatif à la sauce Demerara. Le KO est long et savoureux (oui oui), et vous plongera dans de longues minutes de songe, jusqu’à un réveil matinal et sans séquelle. Grandiose et magistral..
Vous avez aimé le Cadenhead Demerara 75 et ses notes sombres et fumées (tabac, mais aussi cuir) ; et bien c’est la version brut de fût, animale et sombre qui finira de vous convertir (et de vous achever). Et autant la version à 60° pourrait écœurer par son côté trop grillé, autant ce rhum a tout d’un Grand: plus équilibré, plus complexe, il vous explose en bouche et vous rappelle son origine à chaque seconde qui passe. Un monstre qui vous fiche un uppercut pour un voyage au 7ème ciel, sans retour ni glamour. Note: 93
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