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Luca Gargano, dans notre entretien publié en début d’année, disait être surpris de la qualité des embouteillages de DDL, et de leur série Rare Collection, n’hésitant pas à les introniser dans ce monde comme étant la relève évidente de son travail commencé il y a de ça plusieurs années. Ce sont en effet les seuls et uniques rhums Demerara millésimés -avec ceux proposés jadis par Velier- vieillis entièrement sous le climat tropical du Guyana.
L’arrivée de cette relève était donc attendue impatiemment, et ne pouvait bien sûr pas passer outre une comparaison directe avec les sélections de Velier. Cette comparaison, en plus d’être justifiée, s’annonce excessivement intéressante et demeure même indispensable, avant de voir la sphère spéculative anéantir fatalement tous les vains espoirs des amateurs.
Enmore 1993-2015 / 56,5°
Un Enmore de 21 ans (mark EHP), embouteillé à 56,5°, soit le plus ‘facile’ (le moins puissant) sur le papier.
Belle robe ambré, bien brillante et tirant vers le cuivre, le rhum est huileux ; larmes et jambes s’en donnent à cœur joie, toutes collantes et bien décidées à prendre leur temps.
Au nez, alléluia, même à 40cm le verre embaume des notes de grillé, de quoi vous rappeler que seul un rhum vieilli sur place peut donner un pif aussi expressif et concentré. On est sur de la mélasse grillée, des fruits confits et mélassés, de l’abricot sec, et même rôti (tarte à l’abricot caramélisé), du pruneau, du massepain, du moka. Un nez qui apparait beaucoup plus gourmand et parfumé que le Enmore 95 de Velier, plus sombre en comparaison ; il y a dans ce 93 plus d’exotisme: de l’ananas, de la pêche, de la banane, du fruité plus ensoleillé et gorgée de sucre, et même vanillé. Les fruits se font même légèrement âcres, avec un rancio plutôt présent sur les finish de vin cuit, de type porto.
Voilà un nez séduisant et flatteur, rafraîchissant aussi, avec un côté végétal et mentholé, qui permet de ne pas trop facilement sombrer dans ces notes délicieusement noires d’un Enmore 1995. Un poil d’acidité aussi, avec la présence de petits fruits rouges (cerise, framboise?), qui donne décidément à ce Enmore une belle complexité. Un nez très concentré et parfumé, versatile, gourmand et tropical.
En bouche, on retrouve cette concentration, sans pour autant retrouver cet effet collant et incisif du 95. Le rhum englobe tout de même le palais (mais dans une moindre mesure), avec une bonne rasade de chêne, de mélasse brûlée, d’épices (gingembre, muscade) pour une bouche plutôt tannique, sèche et puissante, mais très rafraîchissante (mentholée) ; les fruits exotiques adoucissent la bouche, arrondissent les angles, et servent parfaitement la puissance du degré alcoolique.
La fin de bouche est tout autant puissante, longue et légèrement alcooleuse, mais partira néanmoins assez rapidement, bien loin de la profondeur du 95. On y retrouve fruits secs, chêne et épices, avec une légère amertume qui assèche la toute fin de bouche. Le verre vide ranimera les souvenirs d’exotisme et de banane écrasée.
Les amateurs du Enmore 95 retrouveront leurs repères, sans pour autant retrouver la même gouache, mais plutôt un côté multi-directionnel, plus complexe mais qui manque d’une pointe d’équilibre. Une comparaison directe confirmera la chose: le Velier 95, en plus d’être plus gras, visuellement et en bouche, est beaucoup plus concentré et explosif. Le Rare Collection 1993 l’est donc moins, mais reste tout de même bien au-dessus des embouteillages plus ‘classiques’ vieillis en Europe, qui manquent cruellement de toute cette concentration aromatique. Note : 87
Port Mourant 1999-2015 / 61,4°
Nul besoin de revenir sur l’alambic Port Mourant et son côté historique, il y a déjà de quoi faire sur ce site. Passons directement à la dégustation…
Robe ambré acajou, et toujours ces larmes qui semblent scotchées en milieu de verre.
Au nez, c’est puissamment aromatique, même si les 61,4° passent plutôt ‘bien’, à condition bien sûr de respecter un périmètre de sécurité. Le nez consolera les amateurs de PM: boisé humide et anis, du bois fraichement coupé et broyé, mélangé à de la mélasse fumante et brûlée, mais avec -à côté de ça- beaucoup de fruits. Comme pour le Enmore, on retrouve bien les marqueurs aromatiques de la maison, mais avec plus de fruit, comme si DDL avait voulu proposer des rhums résolument plus faciles pour ses premiers essais, pour peut-être ne pas brusquer d’entrée (même si le degré d’embouteillage ferait fondre n’importe quel dégustateur un peu trop curieux). Et alors que cette odeur fraîche anisée prend un peu plus de place, on découvre de l’olive, de l’orange confite, du clou de girofle, et ce boisé piquant qui nous rappelle si besoin était que ce rhum est brut de fût et, somme toute, assez âgé (16 ans en vieillissement tropical ça laisse forcément des traces).
Le rhum pourrait être laissé là à l’abandon, pendant des heures, qu’il en serait toujours aussi vivant et parlant. L’anis est en tout cas bien présent et permet de ne pas tomber dans la lourdeur du bois. Avec plus d’une demi-heure de repos, le nez est toujours aussi concentré, et propose maintenant une odeur quelque peu déstabilisante : un mélange de boisé anisé avec des fruits très très mûrs (dont l’orange, et de la goyave très mature, voir pourrie) et de l’amande grillée, pour un résultant qui peut paraitre étrange, mais original, même si pour le coup, pas très bien équilibré.
En bouche, l’attaque est puissante (mais pas tant que ça au vu du degré d’embouteillage), et belle et bien concentrée , sur la force du bois et de ses tanins, malicieux et mesquins, mais vite mâtés par la fraîcheur et la fougue de l’anis et des agrumes. Fruits secs, cuir, olive, on a de l’amertume, mais heureusement la bouche s’adoucit grâce aux fruits exotiques (goyave).
La fin de bouche est moins longue qu’espérée, sans l’explosion que l’on attend d’un PM à plus de 60° ; ça dure, mais on est bien loin d’un Velier 97 pour comparer. Cette fin de bouche est fraîche, anisée, mentholée, avec des fruits exotiques, mais le rhum est parti bien trop vite, et trop facilement… Légère amertume et acidité en toute fin de bouche.
Comparaison avec le PM 1997 de Velier (15 ans, 65,7°) :
à quasiment le même âge et avec le même vieillissement, la comparaison est forcément intéressante et plutôt justifiée. Encore une fois, la sélection de Velier est plus sombre et empyreumatique, grillé et mélassé, et clairement plus concentré au niveau des arômes ; c’est aussi mieux équilibré, plus complexe, et l’alcool est définitivement mieux intégré. Le Rare Collection de 1999 possède un nez un peu foutraque, et déstabilisant au repos. Pour ce qui est de la bouche, le PM 97 apparait hyper concentré, collant et exquis, avec une finale sans fin. Le Rare Collection 1999 propose une bouche beaucoup moins collante et équilibrée, moins explosive malgré une fin de bouche plutôt intéressante.
Un Port Mourant déroutant, qui mettrait sans doute au tapis beaucoup de rhums vieillis sur notre continent, mais bien en deçà des sélections du sieur Gargano. Je m’attendais pour ma part à une bouche aussi concentrée et collante, explosive ; au lieu de ça c’est bon, mais ça manque clairement de quelque chose pour en faire un champion dans sa catégorie. Note: 83
Versailles 2002-2015 / 63°
Issu du mythique alambic à repasse en bois, il est plutôt rare de tomber sur un rhum ‘marké’ VSG.
Robe ambrée/vieille or, avec une multitude de jambes se dessinant rapidement, ne laissant que peu de place aux espaces, suivi de gouttelettes lascives et bloquées, comme scotchées.
Au nez, il lui faudra de l’aération pour s’ouvrir pleinement, mais on retrouve un profil très -très- grillé: caramel grillé/brûlé, mélasse, fruits secs (pruneaux) grillés, fruits à coque grillés (amande), et une bonne dose de cannelle et surtout de curry ; c’est très aromatique et ça collerait presque aux narines (épais et mielleux). Ça sent la pâte à gâteau mi-cuite, la réglisse, le grain de café torréfié, le zeste de citron, mais ça reste clairement sur la mélasse, le curry et les fruits secs, avec un alcool bien intégré. Le repos dévoilera un peu plus de notes fraîches de zeste d’agrumes, et des fruits exotiques (secs), de l’amande, donnant au nez encore un peu plus de diversité. Un rhum entêtant.
La bouche est hyper concentrée et collante, mielleuse ; d’abord assez douce, elle devient rapidement tannique et réglissée (bonbon à la réglisse), avec une nette présence d’amertume avec du cuir, du café, mais avec suffisamment de caramel pour éviter la grimace. De la mélasse bien noire, des fruits secs (toujours ce pruneau), du clou de girofle, et de la cannelle. La fin de bouche est très longue, sur le chêne brûlé, avec toujours beaucoup de réglisse ; elle est un peu brûlante et épicée, mais toujours bien équilibrée. C’est très long et très savoureux, avec une bouche qui supplante le nez.
Le Versailles 98 de Velier, beaucoup plus jeune -et malheureusement trop rare- est aussi très porté sur ces arômes grillés de mélasse et de fruits secs (et à coque), et peut paraitre même écœurant à l’ouverture. Ce Versailles 2002 l’est beaucoup moins, et c’est peut-être dû en partie au sucre ajouté (RumCorner a mesuré le Versailles 2002 à 14gr/L).
Le seul de la gamme qui procure cet effet collant en bouche, et une finale digne de ce nom, détonante et savoureuse. Le plus abouti des 3 techniquement, juste dommage pour le trop plein de sucre (et surtout l’absence de transparence à ce sujet) qu gâche un peu la fête. Note: 86
Avec cette série Rare Collection, DDL reprend clairement le chemin tracé par Luca Gargano, et nul doute que les prochains embouteillages à sortir soulèveront autant les foules. Les prix restent néanmoins bien élevés, surtout pour une nouvelle série qui n’a pas encore fait ses preuves, et qui a encore tout à prouver.
La comparaison avec les rhums sortis par Velier ne convaincra pas plus que ça pour le moment, et ceci malgré une qualité certaine. Ça manque de plus de longueur en bouche et de magie. Seul le Versailles donne une très belle présence en bouche, mais c’est aussi celui qui a le plus de sucre ajouté (le fort degré aide grandement à faire passer la pilule).
DDL aura fort à faire pour dépasser la qualité des précédents embouteillages, mais ils pourront compter sur le temps (qui éloigne un peu plus chaque jour l’amateur d’une bouteille velier), et sur leur stock qui recèle sûrement de quoi faire la différence… Rendez-vous est pris avec la suite.
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Salut Cyril merci pour le retour.
Sur que le sucre a été rajouté après pour le Versailles?
Pas de viellissement dans le fût avec quelque chose? (Style la favorite)
Hello Cyril
Aucune idée du moment… je vais les tester demain ici, le taux affiché dans l’article provenant du site Rum Corner.
Merci cyril pour cet excellent article !!!
Salut Philippe, merci à toi
Merci Cyril pour cet article que j’attendais impatiemment!
Tu les rapprocherais plus d’un El Do 21 plutôt que d’un embouteillage Velier (le degré alcoolique mis à part évidement)?
Salut Adrien
ça reste plus proche d’un embouteillage Demerara Velier, même si le côté sirupeux/mielleux de la bouche du Versailles plairait sûrement plus facilement.
Étonnant ce Versailles, tellement savoureux qu’il pourrait en devenir écœurant. J’y ai également retrouvé un côté pruneau que j’ai extrapolé à un aspect Porto en fin de bouche. Je ne connaissais pas cette mark mais apparemment c’est assez typique quand on lit ta comparaison.
Pour ajouter quelque chose à son crédit, je trouve quand même incroyable de pouvoir faire quelque chose d’aussi savoureux avec seulement de la mélasse et un vieillissement, c’est une prouesse !
C’est si incroyable qu’au début je n’y ai pas cru et j’aimerais vraiment savoir d’où vient ce sucre qui a été relevé, je serais déçu d’apprendre qu’il s’agit d’un sirop.
ce serait très intéressant d’en savoir plus; mais le secret restera bien gardé j’imagine…
Mais c’est vrai que les colonnes et autres alambics arrivent à sortir des choses très intéressantes et savoureuses, rendant les Demerara particulièrement appréciables.
Bien, sinon c’est quoi un vin cuit?
Bonjour Jean Porte
vin cuit, vin muté, type Porto comme mentionné à la fin de phrase 🙂
Cyril,
do you know how many bottles issued for each?
S
nop sorry, and its not written on the bottles anyway
http://www.reference-rhum.com/spip.php?page=recherche&recherche=velier+damoiseau
Salut cyril,
Marrant, connaissant leur El Dorado 21 que j’appréciais à mes débuts, mais que je trouve un poil trop sucré à mon goût maintenant (et pour cause, cf ton article Saccharhum), je craignais qu’ils ne cèdent à la même tentation avec ces cuvées…ça se confirme donc au moins pour l’une d’entre elles. Qu’en sera-t-il des suivantes… je crains fort que l’on ait perdu l’intransigeance de Luca Gargano sur la qualité intrinsèque du produit au profit de la volonté de plaire au plus grand nombre (d’acheteurs !).
Dommage.
@+ 😉
Hello 😉
espérons que ce soit alors une sorte de produit d’appel ?
En tout cas c’est surement celui qui plaira le plus, et donc qui vendra le plus aussi.
J’ai eu la chance de goûter le Enmore 93 et le Versailles 2002. Etant un amateur débutant dans les rhums, j’ai trouvé le Versailles 2002 fabuleux. Je n’ai jamais eu autant de parfums avec un rhum, et la longueur en bouche est exceptionnelle. Je vais devenir addict !
Bonjour Philippe et merci pour ton retour de dégustations sur le Enmore et Versailles. Si tu trouves ces deux rhums à ton goût tu adorera à coup sûr les Demerara de manière générale 😀