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Je ne suis pas un grand amateur des finish de manière générale et surtout dans ce qui peut se faire dans le rhum, où bien trop souvent on a soit le choix entre des rhums de mélasse ultra-sucrés à la finition écœurante, soit on trouve des rhums agricoles qui, en plus de perdre leur caractéristique primaire, sont bien trop souvent aromatisés à l’excès, faisant nettement ressortir le finish au détriment du rhum. JM a d’ailleurs fait assez fort à ce niveau (tout comme certaines « finitions du monde » de HSE), faisant quasiment oublier leur rhum agricole habituellement si bon.
Il semblerait que le finish ait encore la côte, ou en tout cas c’est ce que voudraient nous faire croire les producteurs qui redoublent d’ingéniosité (ou de bêtises c’est selon) en sortant des finishs à tout va, sur des rhums ambrés et même sur des blancs maintenant… On en blaguait ici encore il y a quelques mois, c’est chose faite depuis ; Avouez que c’est à se poser des questions, mais rien ne semble vraiment arrêter la machine à fric, pas même (et surtout pas) le bon sens. Et puisque les consommateurs semblent fascinés, ils seraient bien bêtes d’arrêter.
Un finish n’est pas une aromatisation
Se pose encore et toujours la sempiternelle question de la légalité du process, qui bien trop souvent dans le rhum s’apparente souvent à de l’aromatisation (à ce niveau, on ne saurait que vous conseiller d’aller voir du côtés des arrangés de Cédric Brément, là vous savez vraiment ce que vous achetez). On cache ainsi derrière la notion de ‘finish’ une aromatisation volontaire en laissant dans les fûts (quand ce n’est pas injecté par pression dans les douelles elles-même = le seasonning) quelques dizaines de litres de xérès, cognac, whisky ou autres vins et spiritueux, afin de marquer le rhum pour un résultat rapide (et plutôt efficace). Et rappelons que l’aromatisation est illégale (à moins de le stipuler clairement bien entendu), mais il semblerait que certains aient une définition très personnelle du terme « finish ».
Et alors que dans le monde du Whisky le finish apporte un léger grammage de sucre par litre (même après une dizaine d’années de vieillissement et dans des ex fûts très sucrés), dans le monde du rhum on plafonne à 4, 5 voir 10 fois plus… magique ? tragique surtout… Mais que ça ne vous empêche surtout pas d’apprécier vos finish, il en faut pour tout le monde au final. Rappelons juste que finish ne doit pas se traduire par ‘finir’ ses rhums au Whisky ou je ne sais quoi qu’autre, mais plus simplement utiliser des fûts vides afin d’élever son rhum à l’intérieur pour au mieux en retirer un équilibre entre les deux mondes. Un finish n’est clairement pas une aromatisation ni une excuse à l’édulcoration des rhums.
N’hésitez pas à vous poser la question quand vous goûterez un rhum qui semble bien trop marqué, il se pourrait bien qu’il y ait un peu de magie derrière. En attendant de voir débarquer un jour les premiers tests laboratoires qui montreront clairement la fraude, on peut déjà imaginer les excuses que beaucoup utiliseront ce jour là…
Et pour ne pas rester sur une mauvaise impression et puisque certains finishs sont quand même très bien faits, voici un Savanna Intense (=rhum de mélasse) de 14 ans affiné en fût de Xérès. Un rhum qui fait 46°, qui a été mesuré à 46° (et donc sans édulcoration). Signalons au passage que Savanna a utilisé ici son rhum le plus vieux pour cet affinage, un risque considérable ; en tout cas un pari que l’on imagine beaucoup plus risqué que de faire un finish sur un blanc ou un ambré, vous en conviendrez.
Savanna Intense 14 ans Xeres / 46°
Un rhum Single Cask millésimé (2000) mis en fût de Cognac le 17/11/2000 et sélectionné en janvier 2015 (affiné en fût de Xérès). Le rhum testé ici est issu du fût #983 et de la bouteille 767/967. Comme le reste des single cask de chez Savanna, mis en bouteille de 50cl.
La robe est acajou tirant sur un bronze rougi et lumineux. On ose à peine vous parler des larmes, remplacées ici par des sabres.
Le nez est noir comme l’ébène, rappelant le caoutchouc fondu de très vieux embouteillages de rhum Demarara: avec des notes hyper grillées, noires et ultra-fondues, avec une mélasse tirant sur des notes minérales de goudron/bitume encore chauffant, mélangé harmonieusement à un côté balsamique très présent, du fruit confit (confituré) puis du café, bien serré. Un nez de vieux rhum perdu et abandonné dans des fûts millénaires, mais sans charge trop tannique ni amère. On ne s’ennuie à aucun moment avec ce nez et il y en a pour tout le monde (pour toutes les envies), avec de très belles notes tantôt sucrées et fruitées (fruits rouges) qui vous caressent les sens, tantôt sombres et orageuses, entre réglisse noire et vin de noix. Le finish ne fait bien entendu aucun doute, avec une impression de mariage réussi, une union solidaire là où tant de rhums se marient en blanc et se tiennent à peine par la main.
Tout ceci lui donne un aspect sirop très concentré malgré les 46 ‘petits’ degrés et tire de plus en plus sur un vin liquoreux (noix) avec le repos. Ça reste de bout en bout très agréable, sucré et sur la noix grillée et la noisette.
En bouche, c’est plus huileux que gras et ça accroche dès les premiers instants : des arômes de fruits fondus et sucrés mélangés à de la réglisse, du bois et du plastique brûlé vous empoignent le palais ; l’exotisme arrive en force, mature et acidulé (goyave, papaye ultra-mûre) et le rhum va crescendo faisant fortement saliver, toujours dans une atmosphère chargée et noire de café. On retrouve de la noix (vin) avec cette tannicité qui marque le palais et le rend râpeux. Très agréable, le rhum se fait même onctueux dans un profil atypique mais agréable et marqué par le Xérès et les fruits exotiques acidulé. Comme au nez, on a un joli duo de notes très noires (réglisse, pneu) et fruitées pour un résultat fondu et équilibré! Pour 46° c’est une belle réussite, et imaginer ce même rhum avec quelques degrés de plus donne le vertige.
La fin de bouche est longue et chaude, sur des arômes de bois grillés avec une légère amertume, et toujours une pointe d’acidité (fruits exotiques transpirants un après-midi de canicule). Un finish marqué qui donne à ce rhum des allures de vieux Demerara boisé sous fond de Caroni, à la réunionnaise et avec rondeur. Le mélange fruits exotiques sur mature (papaye, goyave) et la noirceur du fût de xérès marche plutôt bien pour un rhum atypique au caractère bien trempé, chocolaté.
Très original, et assurément un rhum à découvrir, à s’approprier et à manger avec du chocolat (succès garanti). C’est simple, on a l’impression d’avoir une osmose et c’est tout que que l’on devrait attendre d’un finish: cette impression que le rhum et son finish ne font qu’un et fonctionnent de manière homogène et non de manière séparée comme cela arrive bien trop souvent. Un vrai mariage, consommé avec gourmandise. Ce n’est sans doute pas un rhum pour tout le monde, aventurier et aventureux dans l’âme. Note: 87 |
Bonsoir cyril,
Quand j’ai vu apparaître tous ces « finish » il y a quelques années, je suis resté dubitatif…il y en a même un fini en fût de whisky d’Islay ! Franchement, je préfère boire le whisky lui-même plutôt qu’un rhum qui essaye de lui ressmbler !
Quant-au « seasoning », tu m’apprends quelque chose, je ne savais pas qu’on pouvait injecter un vin ou un spiritueux directement dans les douelles !!!
En ce qui concerne Savanna, le mariage est plutôt réussi semble-t-il, et j’ai bien envie de l’essayer, après avoir lu ton commentaire. En même temps, la démarche n’est à priori pas la même que pour les distilleries « généralistes » : tirage limité, et sans doute pas de volonté d’attirer le plus grand nombre d’acheteurs sur ce produit.
Je connais déjà quelques produits de Savanna : Lontan blanc (celui à 57 %), 8 ans chai humide, HERR, brut de fût 2004…je les trouve tous excellents et pour moi cette distillerie « sort du lot » au même titre que Neisson, PMG/Bielle, Hampden, ou encore Foursquare par exemple.
Salut Le Glaude
la pléthore de finish laisse dubitatif oui , surtout quand certains sont vraiment très (trop) marqués…
c’est vrai que Savanna est sur une autre démarche et les quantités sont très limités (ce finish est malheureusement sold out, mais il y a un agricole de 9 ans affiné en fût de calva depuis ‘peu’). l’affinage Xérès est à priori plus une expérience qu’autre chose, mais quelle expérience. Je dois toujours essayé ce chais humide, tu as aimé ?
Et suis d’accord avec toi, Savanna est unique, et c’est sûrement a distillerie qui maîtrise le mieux au monde la production de rhum (quand on pense qu’ils produisent du rhum agricole, de mélasse et du grand arôme à la fois)
J’ai goûté un sample du Grand Arôme chai humide il y a quelques mois…je ne l’ai plus en tête à cette heure-ci, mais je me souviens qu’il m’avait fait forte impression, dans un style beaucoup moins extravagant que le HERR (heureusement !)…
il a l’air d’avoir du succès le chais humide, beaucoup plus que le HERR 😉
Je veux bien prendre le risque de partir à l’aventure…
D’autant qu’en ce moment, les T° se prêtent à merveille à la dégustation de rhums, je trouve….
Merci pr ce partage cyril 😉
@+
merci Cyril 😉
pas mal d’eau aussi en ce moment :p
Noir c’est noir, au début de ta description j’avais peu qu’il soit bien trop boisé ou grillé, mais au final ça a l’air bien mieux que ça !
Quand tu parles de vin de noix etc, tu dirais que c’est quelque chose d’oxydatif / rancio ?
Au sujet du sucre et des finish, Guillaume Ferroni avait fait des essais avec un fût de PX (à 350g/L de sucre) fraichement vidé, et pour résumer il concluait que théoriquement ça pouvait apporter jusqu’à 45g/L dans le spiritueux que l’on aura mis par la suite dans le fût.
Cela reste de l’aromatisation et c’est discutable, mais l’intention crapuleuse est à nuancer dans ce cas précis car il est vrai que l’on a juste mis du rhum dans un ancien fût de PX, sans en avoir oublié quelques litres au fond, sans seasonning ou quoi que ce soit d’autre. Je veux dire que sur l’étiquetage il n’y a pas de tromperie donc ça devient compliqué, car le finish « naturel » comme celui-ci correspond quand même à une tradition de fûts de vins transportés vers les colonies et revenant remplis de rhum.
Salut Nico
oui noir dans le sens sombre mais pas trop/que boisé, c’est plus complexe que ça. Et oui pour le côté rancio 🙂
Guillaume m’a déjà fait suivre quelques données, et quand il parle de fût fraîchement vidé ça veut exactement dire ce que ça veut dire : le fût est encore humide et contient des 10 de litres de PX, là où d’autres utilisent des fûts secs avec un résultat plus proche de 0-5 g/L. Dans le premier cas on peut parler d’aromatisation, mais le producteur trouvera toujours à dire qu’il ne vérifie pas 😉
Et étrangement je ne suis jamais tombé sur un Whisky (avec ce genre de finish) qui dépasse de petits grammages. A partir de là, pourquoi ce serait différent dans le monde du rhum ? (qui a simplement reproduit ce qui se faisait déjà dans le whisky). Pour se démarquer ? j’en doute ; ou peut-être tout simplement pour concurrencer les rhums sucrés (et à la mode) extra communautaires? Et pourquoi certains s’embêtent à utiliser le seasonning (en injectant sous pression du vin dans le fût) s’il suffit de laisser des dizaines de litres au fond des fûts ?
C’est vrai que ça concourt une fois de plus à renforcer l’idée que le rhum doit donner une sensation sucrée…
Après, c’est encore une histoire « d’éducation » et d’étiquetage (éventuellement de dénomination : « doux », « demi-sec » ?): si un consommateur sait que finish PX = sucre pourquoi pas finalement. Ça + des infos nutritionnelles, et on saura que c’est un « sweetened » rhum (et non un « sweet rhum » 😉 )
un étiquetage clair serait un gros pas en avant 😉
voir un quota pour les finish pour éviter aux petits malins de laisser trop de vin au fond des fûts…
Bonjour Cyril,
et tout d’abord merci pour ce site qui est si passionant à parcourir.
Je voulais revenir sur l’histoire des fûts humides et secs.
Si deux fûts ayant contenu le même alcool, sont vidangés de la même manière, que l’un est rempli de suite et que l’autre est laissé à l’air quelques jours avant remplissage, l’un et l’autre devraient contenir la même quantité de sucre?
L’ethanol, l’eau, les différents alcools supérieurs, les esters vont s’évaporer mais le sucre devrait rester dans le fût en tant que résidu sec, non?
J’ai peut être tord mais c’est une reflexion qui m’est venu à l’esprit.
Ou alors je n’ai pas compris ce que tu entendais par « humide » et « sec ».
De plus, un fût ne doit pas redevenir totalement « sec » avant d’être rempli à nouveau sinon les douelles vont se rétracter et le fût ne sera plus étanche.
Merci encore pour tout ce que tu nous fais découvrir à travers tes articles.
Bonsoir Carlos et merci
par humide j’entends avec quelques litres du précédent alcool dans le fût et donc un fût qui n’est pas complétement vidé, car effectivement un fûts n’est jamais vraiment complétement sec (enfin sec car vidé cette fois :p ). Mais il peut arriver que ce genre de fût arrive plus ou moins séché, et dans ce cas des producteurs vont y introduire de la vapeur pour saturer le bois et le remettre sur pieds en quelque sorte, en le fermant.
Dans tous les cas, lorsqu’un test montre la présence d’au moins 10/15gr de sucre par litre sur le produit fini, on peut sans grand risque partir du constat qu’il reste forcément quelque chose dans le fût, et sous l’état de liquide principalement puisque la molécule du sucre est trop large pour être en grosse présence dans le bois.