Bally 1998

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En ce début d’année 2017 (que nous vous souhaitons à hauteur de vos espérances), nous vous proposons de faire revivre un pan d’histoire du rhum agricole avec le rhum J. Bally 1998, sorti en fin d’année 2016 à l’occasion des 60 ans de LMDW. Même si la distillerie ne fume plus depuis longtemps, il s’agit là du premier brut de fût de l’emblématique maison martiniquaise dont le géniallissime propriétaire, Jacques Bally, aura à lui seul donné toutes ses lettres de noblesse au rhum agricole, faisant connaître le premier son immense potentiel à la métropole. L’occasion de se souvenir, avant de revenir plus tard dans l’année sur de plus vieux millésimes…

 

Bally | côté historique

Installé dès 1923 à l’Habitation Lajus, au Carbet, Jacques Bally a été précurseur dans de nombreux domaines : ingénieur et ingénieux, il commença par créer sa propre colonne de distillation (créole) et  inventa le rhum paille (élevé sous bois en foudre, et non en fût) ;  mais ce que l’histoire retiendra surtout, c’est qu’il fut le premier à croire au vieillissement du rhum agricole: nous sommes au sortir de la guerre de 14 (durant laquelle le rhum était réquisitionné), et alors qu’il lui reste un stock conséquent sur les bras, il a l’idée de le laisser vieillir, faisant rire aux éclats ses concurrents, qui ne comprennent pas encore l’intérêt de laisser s’évaporer  du rhum. Une idée de génie.

Dans les années 30, et alors que la crise aux Antilles menace la distillerie, il créée sa bouteille pyramidale et relance son activité en misant sur la qualité, et en embouteillant lui-même son rhum plus d’une décennie avant ses concurrents. Son fils Jean (voir et lire l’entrevue vidéo publié en décembre 2015 sur ce site) le rejoindra après la seconde guerre, et prendra les reines de la distillerie à la mort de son père, en 1963. Menant une fameuse carrière politique conjointement à son activité rhumière, il ne pourra cependant pas empêcher la fermeture de la distillerie en 1974 ; le rhum sera dès lors produit par Saint-James qui récupère la colonne de distillation originale (on dit même que des machines de l’illustre distillerie furent vendues en Haïti), qui passera ensuite dans les mains de Yves Hayot et la distillerie Le Simon en 1987, avant que la marque ne revienne finalement chez Saint-James 10 ans après. La colonne créole n’est plus, mais la distillerie de Sainte-Marie a su maintenir une méthode de production typique : le rhum Bally est ainsi produit pendant la période la plus sèche, pour coller au climat originel du Carbet, et le vieillissement s’effectue intégralement en fûts de chêne français (Cognac) d’une capacité de 300 litres, en plus de petits fûts (une innovation de Bally à l’époque).

 

Millésime 1998 | premier brut de fût historique

Pour son anniversaire, LMDW célèbre bien plus qu’une marque, avec un embouteillage unique à plus d’un titre :  d’abord en privilégiant un millésime exceptionnel en Martinique, le 1998 (mis en fût le 31/12), et ensuite en proposant le premier brut de fût de l’histoire de la marque. Embouteillé à 59,1%, ce rhum n’a subi à aucun moment de réduction ni de ouillage, chose extrêmement rare dans le monde du rhum agricole. Là où il est habituellement apporté une dilution avant ou durant la période de vieillissement, et avec parcimonie, ce rhum qui aura été mis en fût à 62% n’aura perdu que quelques degrés après 17 années passées en Martinique.

 

 

 


 

 

J. Bally 1998 / 59,1°

Mis en fûts le 31/12/1998, ce rhum de 17 ans d’âge a été dépoté en 2016 à partir des fûts #726 à 804 pour être embouteillé dans l’emblématique pyramide créée par Jacques Bally, à 420 exemplaires. Ce premier brut de fût de la marque arrivera bien longtemps après que la distillerie ait cessé de fumer, mais peu importe, les embouteillages les plus récents nous ont montrés que Bally a su rester Bally dans l’esprit, et dans ses rhums.


La robe est d’un très bel acajou étincelant, sombre mais limpide comme un métal précieux fondu, aux reflets bronzés. La couronne qui se dessine laisse place à un fourmillement de larmes littéralement scotchées au verre.
Au nez, ce Bally a des allures de Demerara, et on se croirait face à un embouteillage Velier, Albion peut-être, avec ce confit extrêmement fondu, cet effet résineux et nerveux, dans une ambiance torréfiée profonde, réglissée, mais sans le côté démesuré d’un Demerara et ses arômes brûlés et de caoutchouc. Le nez propose une énorme concentration, c’est intensément riche sur la macération de fruits secs (abricot), à coque (noix), sur les épices (cannelle) et l’orange si caractéristique aux rhums Bally ; mais avec une fraicheur végétale donnant une dimension supplémentaire à ce rhum, qui transforme ce nez en le faisant passer de l’excellence à la consécration, se permettant même des envolées florales. Nous y voilà, le repos finit par nous apporter un côté phénolique, discrètement caramélisé et chocolaté, qui l’éloigne un peu plus de la finesse des vieux agricoles avec un boisé plus franc et brutal, mais qui lui donne une identité singulière et du corps, de la nervosité entêtante.

L’attaque est monstrueuse et vous saute au palais sans même vous laisser le temps de fermer les yeux. Épais  oui, collant non  (et donc différent du côté résineux ‘à la Demerara’) et le rhum vous tapisse l’intérieur à coup de tanins fondants et sucrés, ça fouette les dents du fonds et vous habille pour au moins deux hivers, au minimum. La bouche est sèche, boisée, sucrée acidulée (agrumes), sur le chêne, le tabac (cigare), le cuir, la réglisse, les épices (muscade) et une macération de fruits noirs (pruneau, raisin). Un rhum qui fait parler le fût et toujours nerveux, généreux à faire saliver les palais les plus aride et à rendre le sourire aux plus nostalgiques, ad-vitam æternam. Vous pensez que les 59° seront de trop pour vous ? Oubliez cette idée, ce rhum ne fait pas 59°, il est au delà d’un degré ou d’une idée, il est rhum et il est entier. La concentration et un certain équilibre rendent la bouche très facile d’accès, et ici aussi on s’éloigne des caractéristiques plus séduisantes d’un vieil agricole, pour un voyage plus brutal que poétique, plus chaotique et charnel que platonique, avec le charme désuet des plus vieux alcools.

La fin de bouche est longue et s’éternisera aussi longtemps que le souvenir du rhum vous restera, et même le verre vide, toujours concentré, survivra une éternité, au bon souvenir de cet exquis mélange offrant à la fois des notes fruitées d’agrumes, de tabac et de chaudes épices. Une expérience. On ne peut d’ailleurs qu’avoir une pensée pour les générations de Bally qui se sont succédées, et lever ce verre à leur santé, un verre qu’il n’aurait sans pas doute pas renié, ni même reconnu d’ailleurs. A la santé de Bally et du rhum Agricole, et bonne année.

 

Un Bally qui ne ressemble à aucun autre ; ici la vision est plus brute et naturelle, plus boisée et tranchée, sans fard, et on s’éloigne des notes ensoleillées d’agrumes pour aller rôtir un peu plus haut, un peu plus loin dans le temps, et plus profondément dans le fût. Le côté vrai brut de fût apporte une concentration indéniable (et résineuse) rarement trouvée dans des rhums agricoles, donnant cet aspect concentration extrême en bouche, merveilleusement puissant et facile, qui fera, espérons-le, des petits ailleurs. Note: 90

90 et + : rhum exceptionnel et unique, c’est le must du must
entre 85 et 89 : rhum très recommandé, avec ce petit quelque chose qui fait la différence
entre 80 et 84 : rhum recommandable
75-79 POINTS : au-dessus de la moyenne
70-74 POINTS : dans la moyenne basse
moins de 70 : pas très bon
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