Chantal Comte

Épicurienne, passionnée, à la recherche constante de la perle rare, de ce diamant brut qu’elle aimerait partager, voilà la tâche complexe mais ô vivifiante de Chantal Comte. Pionnière sur bon nombre de sujets, elle a su valoriser le rhum agricole quand il en avait le plus besoin.

Entre deux voyages en quête de l’ultime, Madame Comte a répondu à ces questions lors d’une conversation téléphonique en date du 24 février 2015.



Bonjour Chantal, vigneronne maintes fois récompensée, vous êtes parallèlement férue de rhum, au point d’y avoir consacré beaucoup de temps et même d’avoir aujourd’hui arrêté votre activité vinicole pour vous concentrer sur celui de la canne. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

J’ai en effet été vigneronne dans une période qui aura duré 35 ans, et j’ai décidé de mettre un terme à cette activité car d’un côté, derrière moi, personne ne voulait reprendre l’activité (mes enfants n’habitent pas forcément dans la région et ma famille est très étalée, entre l’Angleterre, la France et la Martinique), et de l’autre, je crois avoir été au bout de ma passion pour le vin.

J’ai commencé par des études de lettres à la Sorbonne et rien ne me prédestinait à l’univers du vin ni même à celui du rhum. Quand j’ai commencé à m’intéresser au vin je n’y connaissais rien, et c’est en toute innocence que j’ai accepté cette tâche que mon père et mon mari m’avaient confiée. Je me suis alors inscrite à l’Université du Vin à Suze-La-Rousse, à l’Anfopar à Nîmes où j’ai fait des stages de caviste, j’ai fait des études d’œnologie sans passer le diplôme car je n’en avais pas le temps, mais j’ai surtout appris au contact de grands vignerons que j’admirais comme quand j’ai été cooptée par les membres du Club Vignobles et Signatures : j’y suis restée durant 15 années et j’en garde de formidables souvenirs, de merveilleuses rencontres et des dégustations mémorables, en plus de précieuses amitiés. C’était comme une famille. Quand j’ai décidé de quitter ce club, en 2000 , j’ai surtout regretté cette énergie qu’il y avait entre nous, cette amitié. Mais au delà de tous ces bons moments, il y a un temps pour tout. J’ai décidé d’arrêter en août 2014 et nous avons loué en fermage, l’activité vinicole.

A contre-cœur j’imagine ?

Non ! sans amertume et sans aucun regret. Je ne suis pas quelqu’un qui ressasse le passé ; encore aujourd’hui il peut m’arriver de tomber sur des bouteilles dont j’ai même oublié l’existence, c’est pour dire, mais c’est toujours avec un grand plaisir. Je suis par nature tournée vers le futur, et même si effectivement mon avenir est plus court que mon passé, je n’ai pas de regrets…

Mon métier m’a demandé énormément d’implication et de travail, et malgré tous mes efforts, j’étais quand même dans une appellation difficile. Et même si j’ai fait beaucoup de choses, de très belles cuvées dont je suis fière, qui ont été reconnues, médaillées etc… à un moment donné, j’ai décidé de jeter l’éponge et de me consacrer au Rhum.

Et le rhum est-il déjà présent dans votre vie au moment où vous commencez votre activité vinicole ?

Ma passion pour le rhum est née quasiment au même moment que celle pour le vin. J’ai dû commencer à m’occuper du vin en 1981, et le rhum a commencé à prendre place dans ma vie quelques années après, dans les années 84 ou 85. Très tôt .Nous avions des affaires en Martinique, comme je vous ai dit , et je suis née au Maroc, mon père était transitaire et armateur et on a donc  beaucoup voyagé. Je suis née dans un pays de parfums, d’odeurs, d’épices.. ça m’a sans doute orientée vers des métiers de dégustation, parce que j’ai vécu tous les jours avec un nez de chien de chasse.

A cette époque, dans les années 80, quand j’accompagnais mon mari en Martinique, nous étions reçus dans les belles Habitations de la Martinique, et je suis tombée amoureuse des paysages et de l’art de recevoir de ces gens qui sont devenus des amis depuis maintenant près de 50 ans. Avec eux, j’ai très vite eu l’occasion de déguster des cuvées exceptionnelles, des millésimes incroyables et des réserves de château, des trésors que les distillateurs avaient l’habitude de garder pour eux-mêmes.

Des moments sûrement inoubliables…

Oui et à travers toute la charge émotionnelle que peuvent dégager ces dégustations, c’était aussi l’occasion d’accéder aux secrets de fabrication, à l’histoire du Rhum , à découvrir un monde nouveau celui des grands alcools. Ça a été une grande révélation pour moi, car au début je croyais, à tort , que le monde de l’alcool pouvait être mené en parallèle à celui du vin, alors que ce n’est pas du tout le cas, même au niveau professionnel la clientèle n’est pas du tout la même, l’un n’attire pas forcément l’autre… Ce sont, en fait, des mondes parallèles qui ne se rencontrent pas.

Aujourd’hui l’arrêt de mon activité vinicole m’a bien sûr permis de me concentrer exclusivement sur le rhum. Et d’ailleurs les grands alcools, de manière générale, ont une palette aromatique impressionnante, ce qui fait que, plus tard, j’ai aussi décidé d’ajouter une gamme de Whiskies. Je n’ai pas la même expertise dans le whisky que dans le rhum , et j’ai encore beaucoup à apprendre ; je suis allée en Écosse et je dois y retourner cet été pour faire des dégustations dans certaines distilleries et mieux comprendre le produit, la géographie et le climat qui influencent chaque région.

Trop peu de temps pour beaucoup trop de passions ! Le monde des alcools est fascinant, tout comme le vin et bien d’autres sujets… J’aime les œuvres d’arts, les musées, j’aime tellement de choses différentes, la gastronomie, la beauté en général, les voyages, j’aime la littérature, donc c’est vrai qu’il faudrait que je me calme un peu…

On lit souvent dans votre biographie que vous avez été initiée au rhum par André Depaz et Paul Hayot, pouvez-vous nous en dire plus, et quels souvenirs gardez-vous de ces rencontres?

André Depaz était un Grand homme de la Martinique, une personne vraiment hors du commun. Il y a une énergie qui impressionne chez les gens de la Martinique, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les gens qui y travaillent et qui font le succès économique de l’île sont excessivement entreprenants et cela force l’admiration.

André Depaz était quelqu’un que l’on adorait, c’était un grand ami, un homme érudit en même temps qu’un grand connaisseur de la forêt et de l’histoire de la Martinique, et je me souviens de mémorables balades en forêts, de voyages avec lui, on a vraiment eu de la chance de le connaître. Il était propriétaire de la distillerie Depaz (qui changera de mains par la suite) et connaissait toute l’histoire de la Martinique, il connaissait les rhums parfaitement. Il travaillait avec Paul Hayot, qui était à la fois un ami et un collaborateur. Je dirais que Paul Hayot a été un grand distillateur, et André un grand agriculteur. Ils ont tous deux fait un travail formidable qui a fait la réputation du rhum Depaz, dans un endroit mythique au pied de la montagne Pelée. Cette même montagne qui avait tué 30 000 personnes en 1902 avec l’éruption du volcan. Son père avait eu la chance à cette époque là, de faire des études à Bordeaux et il a échappé au pire, toute sa famille ayant disparu, puis il a repris courageusement la distillerie qui avait été détruite. Une histoire romanesque comme il en existe de nombreuses autres dans les îles.

Une histoire chargée de symboles…

Oui le rhum a une histoire très chargée, peut-être plus que d’autres alcools ; J’en ai discuté un jour avec un grand dégustateur qui me disait très justement que la force du rhum réside dans tout ce qu’il y a derrière, c’est à dire un produit de flibustiers, une aventure de la France en Amérique ; et c’est un produit qui a cette force tellurique qui fait la Martinique, parce que c’est une île volcanique qui est toujours sous la menace, il ne faut pas l’oublier. Et cette force tellurique, on la ressent dans le rhum…

Vous avez à votre échelle donné un élan certain pour la reconnaissance du rhum agricole en métropole, pouvez-vous nous dire comment le rhum était perçu à cette époque?

Quand j’ai commencé à m’en occuper, on était au début des années 80 (83, 84, 85). A cette époque en Martinique tout était à vendre… tout était sur-stocké et ils ne savaient pas comment faire. Il y avait des millions d’hectolitres qui ne se vendaient pas et le rhum n’était pas un produit à la mode.

Il faut dire que le rhum a connu son heure de gloire durant les deux guerres mondiales, profitant de la situation désastreuse des distilleries de métropole ; il a aussi été le soutien des guerriers, et celui des populations car il n’y avait rien d’autre à consommer. Et puis c’est aussi un alcool qui inspirera les poètes. Après la fin de la guerre, le lobbying des alcools de la métropole a repris le dessus, le rhum en a beaucoup souffert, relégué au rang de produit de remplacement.

Quand j’ai découvert les trésors que représentait le rhum, je me suis dit que ce n’était pas possible qu’un produit aussi complexe soit encore ignoré, voire même méprisé. Quand je ramenai des bouteilles pour des dégustations ,tout le monde était surpris, ce n’était pas l’image que les gens avaient du rhum, des restaurateurs, des clients, personne n’avait encore idée d’un produit aussi extraordinaire. Donc oui , par mon enthousiasme, j’ai contribué à donner une meilleure image du rhum, aidée par André Depaz qui voulait que je m’occupe de ses rhums, et j’ai donc commencé mon aventure à ce moment là. Il m’a aussi dit qu’il aimerait que je le fasse sous mon propre nom « parce qu’il faut que tu sois considérée comme embouteilleur indépendant » me disait-il ; c’était très en avance sur son temps, parce que ça n’existait pas à cette époque, et donc j’ai été en quelque sorte la première à le faire, et sous mon nom.

Ce n’était pourtant pas gagné d’avance, et je me souviens être allée voir l’acheteur de Fortnum and Mason à Londres qui m’a dit un jour « mais Madame, nous n’achetons pas de boisson pour docker ». J’avais mesuré à cet instant tout le chemin qu’il restait à parcourir… Mais durant les 20 ou 25 ans qui suivront, je dois modestement dire que j’ai contribué à faire connaitre des rhums d’exception parce que les gens ne connaissaient que les rhums destinés à faire des grogs ou faire flamber les crêpes…

Et du côté des distilleries ?

Les gens n’avaient pas vraiment foi en leur produit . Ils avaient même honte de leur produit. Ils vous offraient un whisky ou un martini, mais ils n’osaient pas vous faire goûter leur rhum… Des ti-punch tout au plus, mais quand vous y avez mis du sucre et du citron, ça pourrait être n’importe quoi. Ils n’avaient pas la fierté de leur production, et je dois dire que si j’ai fait quelque chose d’intéressant dans toute cette histoire, c’est bien d’avoir contribué à changer le regard sur le produit qu’ils faisaient, les rendre fiers de ce qu’ils faisaient.

La machine était alors lancée ?

Ça a pris beaucoup de temps, mais le résultat est bien là. Un de mes clients les plus enthousiastes a été Alain Ducasse, qui a d’ailleurs préfacé le livre que j’avais écrit sur la cuisine au rhum (sorti en 1998, 126 pages, édition C.Comte).

En fait c’était un recueil de recettes qui datait des années soixante et que Paul Hayot m’avait confié en me disant que, si ça restait en Martinique, ça allait probablement être détruit par les blattes (ravets) et qu’il n’en resterait pas de trace ; je l’ai donc ramené en France et un jour je me suis dit qu’il fallait que j’en fasse un livre, sinon  cette page de l’histoire allait disparaître. Il y a peu d’écrits de moi dans ce livre et beaucoup de recettes, et la préface avait été écrite par Alain Ducasse, qui avait été mon premier client dans la Grande restauration. Mais du coup, ça m’a amenée à travailler avec la plupart des Chefs étoilés, et puis de continuer  avec des cavistes un peu exigeants.

Quels sont vos premiers embouteillages ? On connait les plus récents (Plusieurs millésimes de Tour de l’Or, ou d’Arbre du Voyageur, ou Fighting Spirit ), mais est ce qu’il y en a eu d’autres avant ça ?

Oui il y a des choses beaucoup plus anciennes ; Je mettais déjà en bouteille des rhums plus vieux, puisque dans les années 80 il y en avait déjà de 10, 15 ans d’âge, donc en commençant dans les années 80 j’avais des choses qui remontaient aux années 70. J’ai même oublié quelques bouteilles avec le temps…  J’ai récemment racheté à mon importateur en Espagne une partie de mes anciennes bouteilles, parce que je me suis dit qu’il fallait au moins que j’en garde une trace.

Le rhum Lameth 1886 en est un bon exemple…

J’en ai encore une bouteille que je vais garder précieusement, mais quand cette bouteille est arrivée les choses avaient déjà bien évolué pour moi. Elle est surprenante l’histoire de ce rhum…

Un jour, Gault et Millau reçoit un appel d’un particulier en Bourgogne, qui , en faisant des travaux dans un château, trouve un placard qui avait été complètement masqué par un papier peint -comme ça se faisait beaucoup avant la première guerre mondiale – et dont il venait de découvrir l’existence. En l’ouvrant, il découvre alors 52 bouteilles de ce rhum sur une étagère, les bouteilles collées par le temps, mais  heureusement conservées debout. Les bouchons étaient complètement poreux comme des arrosoirs, du coup les niveaux étaient assez différents ; le verre était soufflé à la bouche, avec simplement le nom Lameth et la date 1886. On n’a jamais réussi à retracer son histoire… j’avais même ouvert une enquête pour retrouver sa trace au niveau international, mais sans succès.

Et donc Gault et Millau, dit à ce monsieur de m’appeler pour faire une expertise. J’y suis allée et j’ai trouvé ça extraordinaire, et du coup dans  mon enthousiasme j’ai donné une valeur assez forte au rhum, mais une fois rentrée chez moi je me suis dis que je ne pouvais pas laisser passer ça… j’ai donc rappelé le monsieur pour lui acheter toutes les bouteilles à mon prix d’estimation… Je me suis ensuite engagée à les vendre à travers le monde et à les livrer debout car j’avais essayé de les cirer, mais la bouteille était soufflée à la bouche et le col a explosé sous la chaleur de la cire, ce qui nous a donné l’occasion de la déguster.

Je m’en souviens encore, j’étais ce jour là avec un ami journaliste Michel.Smith. Quelle émotion de se trouver face à un rhum de 1886, mais je vous dirai que sur le plan aromatique ce n’était pas formidable, on buvait de l’histoire ! le rhum était très foncé, sans doute un rhum de mélasse. Mais nous n’avons jamais trouvé plus d’informations, alors nous avons décidé de laisser l’histoire telle qu’elle est. Il est indiqué ‘Origine inconnue’, et je n’ai pas voulu mettre d’étiquette, pour garder la bouteille intacte, et j’ai juste pendu un petit livret en cuir au col de la bouteille, puis on l’a envoyée comme ça à travers le monde.  Mais il manque un pan de l’histoire, son origine.

Comment procédez-vous aux sélections de vos rhums ? Vous déplacez-vous sur place systématiquement pour choisir vos futurs embouteillages, ou faites-vous cela à distance comme la grande majorité des embouteilleurs ?

Bien sûr, je sélectionne mes rhums sur place dans les distilleries, et je ne conçois pas de faire autrement. Je ne me vois pas sélectionner un rhum que je n’aurais pas découvert sur place, et apprécié. J’ai besoin de sentir, de connaître la distillerie et les gens qui font le rhum.

Parfois il se passe plusieurs années avant que je ne trouve quelque chose qui me plaise vraiment ; je n’ai pas de contrainte de temps, et même si mes sélections sont à vendre, je suis plus sur une démarche de qualité et de respect du produit que de quantités à écouler. J’ai la chance de déguster de nombreux rhums et la chance aussi de pouvoir choisir, mais si je ne trouve pas sur l’instant, et bien tant pis, ce sera pour une prochaine fois.

Avez-vous eu des difficultés à rentrer dans les distilleries pour faire vos sélections ?

Non pas du tout, aucune difficulté car à cette époque les distilleries souhaitaient surtout vendre, moins aujourd’hui car la demande a augmenté et l’avenir est plus réjouissant pour eux.

Avec vos sélections, vous avez été la première à sortir des embouteillages bruts de fût, était-ce là une envie de proposer des produits authentiques sans ‘retouche’ ? Et que pensez-vous de l’engouement pour le brut de fût ces derniers temps ?

Le fait que le rhum soit embouteillé en brut de fût ne suffit pas à le rendre meilleur, et tous les rhums ne le méritent pas. C’est une histoire beaucoup plus complexe d’équilibre, de complexité. Quand j’ai sectionné mes rhums, c’était uniquement sur l’instant et sur la dégustation du produit en lui même, et à vrai dire, à un moment donné, on sent qu’il n’y a pas besoin de le réduire…ou pas besoin de le réduire davantage quand la réduction a commencé. Quand je trouve que c’est juste parfait : ça doit rester ainsi ; c’est pourquoi les degrés affichés sur mes bouteilles sont peu classiques : pourquoi réduire à 50% Vol si je le trouve parfait à 54, 6%Vol ?

J’ai gouté beaucoup de rhums dans les distilleries, certains ajoutaient du caramel , c’était flagrant.

« Rien n’est beau que le vrai » disait Boileau. C’est aussi valable pour le rhum.

Le produit doit être respecté, pour moi un rhum, s’il est naturel, ne doit pas non plus être outrageusement foncé, il est doré, tout au plus topaze avec des reflets ambrés.

Pour un artiste, c’est exactement la même chose. Certaines statues de Michel-Ange, semblent s’extraire d’un bloc de marbre brut, non fini et bien, à un moment on sent que c’est parfait et il n’y a pas besoin d’aller plus loin.

Selon vous, pourquoi les distilleries ne proposent pas plus de rhum en version brut de fût? ça reste une exception, comme Bielle par exemple qui est assez innovateur sur ce plan.

La distillerie Bielle propose des produits formidables et se sont de grands techniciens du rhum, parmi les meilleurs. Quant à savoir pourquoi les distilleries ne proposent pas plus de rhum brut de fût, je pense que c’est avant tout une affaire purement commerciale, et la demande, globalement, ne va pas en ce sens. La demande, et les habitudes, sont sur des alcools réduits parce que les gens ont peur de degrés trop élevés. La plupart des distilleries appartiennent à de grands groupes, avec des diffusions de masse et ce n’est pas pour arranger les choses. Mais, encore une fois, tous les rhums ne peuvent pas prétendre à faire de grands Bruts de Fûts…

Vous parlez de produits authentiques et naturels, mais ce ne sont pourtant pas les standards des cavistes qui ont pignon sur rue ; les gens pensent à tort que la couleur de certains rhums est naturelle et que le produit l’est aussi, alors que souvent il s’agit de rhum trafiqué, sucré et je ne sais quoi encore. Et la personne qui souhaite commencer à s’intéresser au rhum ressortira à coup sûr avec une bouteille de ce genre sous le bras (citons Zacapa, Diplomatico, Don Papa,..)…

Et c’est dramatique… mais cela peut aussi se corriger par l’éducation du goût. Je pense que ça prendra du temps mais que ça viendra forcément. J’entends souvent des gens me dire qu’ils ont gouté «  un rhum fantastique , très noir, presque sirupeux » c’est exactement ce que je redoute mais chaque amateur est amené à évoluer et à progressivement s’écarter de ces ‘standards’ pour des rhums plus authentiques, donc meilleurs.

Un jour un client m’a demandé de trouver un rhum d’avant guerre pour de riches clients japonais. Il n’a pas été évident de trouver ce genre de produit mais j’ai fini par leur proposer un rhum millésimé 1952 qu’ils ont adoré et en ont redemandé. Et lorsque j’ai rappelé le producteur, sans grand espoir d’en retrouver puisqu’il m’avait vendu , disait-il, tout ce qu’il restait, il m’a dit alors que «  ce n’était pas un problème et qu’il pouvait en refaire sur demande »… il y aura toujours des gens pour vendre n’importe quoi, malheureusement, peu scrupuleux et peu respectueux de l’authenticité du produit. Cétait à mes débuts. Ce jour là, j’ai appris à me méfier. Et l’appellation Contrôlée a mis de l’ordre dans ces pratiques…

Quel genre de rhum appréciez-vous personnellement ?

Les rhums agricoles en général, j’aime moins les rhums de mélasse. j’apprécie la complexité de la palette aromatique des grands rhums. J’aime qu’ils soient blonds . Et je n’apprécie que très moyennement le boisé dans le rhum, il peut rapidement gâcher une dégustation. Je préfère un rhum fruité à un jus de bois sans âme. Le bois doit être digéré par le rhum ; Il est un moyen de construire un grand rhum mais il faut que le rhum prenne le dessus.

La rhumothèque idéale de Chantal Comte, ça pourrait ressembler à quoi ?

Cela va paraitre pompeux mais je dirais une rhumothèque avec mes sélections car ce sont tous des coups de cœur, des sélections personnelles de ce que j’aime et recherche dans le rhum, et donc de ce que je veux faire découvrir et partager. Je suis extrêmement exigeante et je mets énormément de temps à trouver quelque chose à mon goût, et quand ça arrive, c’est forcément parfait selon moi.

Vous avez lancé les Ateliers du Rhum depuis cette année, pouvez-vous nous en expliquer le concept ?

J’ai décidé de m’occuper du rhum à temps plein et cette idée est venue tout naturellement ; le principe est d’organiser des dégustations thématiques, un samedi par mois sur le domaine du Château de la Tuilerie, ici à Nîmes dans mon Atelier du Rhum.

Nous en avons déjà organisé deux, l’une sur l’association rhum et chocolat, animée par Philippe Bastide, qui est un grand spécialiste du Cacao et chercheur au CIRAD, et une autre sur une thématique plus audacieuse autour de l’association spiritueux et truffes, avec Claire Martin, docteur en botanique et grande spécialiste de la truffe, formée aussi à la cuisine par Alain Ducasse. D’autres ateliers sont déjà programmés autour de l’association rhum/whisky et fromages , ou rhum et cigares, et j’ai ouvert une boutique sur le domaine qui propose mes sélections de Rhums et de Whiskies : l’Atelier du Rhum.

Dernière question tournée sur l’avenir et qui intéressera de nombreuses personnes, allez-vous  sortir de nouvelles sélections de rhum?

Je cherche, et j’attends surtout de tomber sur un rhum qui en vaille la peine, mais rien n’est prévu dans l’immédiat. Je voyage beaucoup et j’en profite toujours pour visiter les distilleries, et c’est donc l’occasion de découvrir de belles surprises… Je m’envole dans quelques jours pour l’Equateur et le Pérou, je vais en profiter pour chercher, avec l’espoir de tomber sur quelque chose qui me plaise…

 

________________________________

Merci à Chantal Comte pour sa disponibilité et sa passion communicative. Et ne comptez pas sur elle pour sélectionner un rhum sans saveur, sans âme et sans son authenticité. Elle est une sorte de forteresse imprenable à ce niveau, et ne saurait vous servir autre chose qu’un rhum de qualité. C’est à signaler, et à suivre de prêt, car c’est de plus en plus rare.

 

Comments
13 Responses to “Chantal Comte”
  1. Benoit Bail dit :

    Très intéressant tout ça! Merci

  2. HERVE dit :

    Très bel article avec C.Comte qui nous communique admirablement sa passion pour les beaux produits comme on les aime.

  3. L'Immond Pourriture dit :

    Enfin l’interview de cette grande dame… Quelle histoire, quelle volonté, quel talent. J’adore !
    Vivement ses nouvelles trouvailles en tout cas, et encore bien joué Mister W. !

  4. Cyril dit :

    Tout a été dit dans les commentaires précédents 😉
    Juste pour confirmer donc ; et pour un petit « Salut » cyril 😉

  5. Marco dit :

    Merci Cyril, superbe interview, très intéressant !

  6. Vincent Thill dit :

    Magnifique Cyril. Félicitations pour avoir réussi à retranscrire cette passion pour le bon produit.

  7. Maxime dit :

    Encore une superbe interview, qui respire la passion ! Merci !

  8. Francesco dit :

    Très bel article, vraiment superbe.
    Nous avons une collection presque complète de vieilles bouteilles de Chantal Comte (Nous jugeons parmi les meilleurs Rhum Agricole de tous les temps).
    Aussi, nous a vons l’écrit parce que nous voulions lui faire une interview (une couple de fois) , mais il n’a jamais répondu. Dommage.
    Vous étiez chanceux

    Francesco

  9. Julien dit :

    Bonjour Cyril

    très belle interview, bravo.

    si je ne dis pas de bêtise, une des images correspond à cette bouteille :
    http://www.reference-rhum.com/Brut-de-Fut-Hors-d-Age-Non-Filtre

    Est-ce que tu aurais plus d’informations sur cette bouteille comme le millésime ou des avis comparatifs par-rapport aux versions de la Tour de l’Or de Bielle?

    • cyril dit :

      Salut Julien
      pas plus d’info à te donner, désolé, mais tu devrais te rapprocher de Chantal Comte, elle pourrait surement t’en dire plus 🙂 (via son site par exemple, ou sa page FB)

Leave A Comment