L. Gargano, suite et fin


Suite et fin de l’entretien avec Luca Gargano. Après avoir évoqué la fin de son partenariat avec DDL, nous revenons sur la nouvelle gamme Habitation Velier, la suite des Caroni et les nouveautés et projets à venir.

 



Luca, pouvez-vous nous en dire plus sur Habitation Velier ? La genèse du projet?
Parfois, je me sens comme un joueur de foot qui doit marquer un but tous les jours, ou comme un grand chef de cuisine qui doit inventer de nouveaux plats… Avec Habitation Velier, le concept est de partir en croisade contre toutes ces distillations industrielles, et permettre à chacun de faire la différence entre la distillation artisanale, et de tous les alcools (pas forcément que du rhum), et les distillations industrielles. Je pense que ce n’est pas encore très clair aujourd’hui. Et de manière plus simple, dès que je trouve un Pure Single Rum exceptionnel, et j’espère en trouver encore longtemps, il sortira sous Habitation Velier.

Si tu demandes à des experts du whisky la différence entre un pure single malt et un blended scotch, je pense qu’à peine la moitié te dira que les single malt sont des whisky 100% potstill. Mais tout le monde à l’intime conviction que les pure single malt sont meilleurs. Je pense que pour le monde du rhum, cette différence est très importante, et même fondamentale: parce que sinon, dans cette période très favorable au rhum, et avec toute la confusion qu’il existe encore aujourd’hui, le rhum ne va jamais décoller. Habitation Velier sort avec cette idée forte de mettre plus de clarté, et de valoriser l’image du rhum.

Avec des rhums blancs et des rhums vieux, uniquement issu d’alambic (pot still) ?
Oui 4 blancs et seulement 2 rhums âgés, un 2005 et l ‘autre de 2013.

Mais la collection Habitation Velier ne doit surtout pas être vécu comme pour les Caroni ou les Demerara, c’est très différent. Et les gens ne doivent pas attendre dans un Foursquare 2013, par exemple, à retrouver un Diamond 81 tu comprends. Et le prix sera plus raisonnable, c’est normal pour ce genre de produit.

Mais ce qui est très intéressant, c’est de voir que l’on peut avoir des rhums formidables dès lors que le rhum provient d’une bonne matière première, qu’il est distillé avec un savoir-faire d’exception, comme par exemple avec Richard Seale dans un potstill, et qu’il est vieilli dans de bons fûts, sans aucun ajout. Le Foursquare par exemple, déjà après 2 ou 3 ans, c’est déjà un très bon produit.

Comment s’est passée cette rencontre avec Richard Seale ?
Quand j’ai commencé à parler d’une nouvelle classification du rhum, je me suis rendu compte que Richard et moi parlions la même langue, sans même l’avoir rencontré. Il a été d’accord avec cette classification et l’importance de la faire connaître, et il m’a demandé s’il pouvait l’utiliser pour ses masterclass.

Après ça, je suis allé le voir à sa distillerie, alors que le projet Habitation Velier était encore en gestation. Lui a toujours embouteillé uniquement des Single Blended (assemblage de rhum issu de potstill/alambic et colonne traditionnelle), et j’ai voulu qu’il me fasse goûter un pure single rum blanc, et là c’était exceptionnel… A la Barbade, on cherche souvent des choses plus harmonieuses, mais la force de ce pure single rum était superbe, et j’ai insisté pour qu’il l’embouteille telle quelle, sans dilution. (note: ce rhum devrait sortir courant Avril en France).

Il avait en stock des fûts de Cognac, qui avait déjà servi à faire vieillir du rhum (pour la marque 10 Cane), des fûts plus grands que ceux de Bourbon, donc il y a moins d’influence du bois et c’est incroyable.

La force de ce projet est aussi de sortir des rhums blancs, qui méritent bien souvent autant d’attention que des rhums vieux…
Théoriquement, il n’y a pas encore de marché pour ces produits, mais c’est pourtant la base de tout. Je pense aussi que dans la mixologie par exemple, si il y a un cocktail à base de rhum, tu ne peux pas le faire avec de la vodka tu comprends. Moi je donne des expressions très typées, avec des rhums blancs, et après c’est à toi d’imaginer des choses, mais je donne des produits originaux. Et dans tout ce projet, il y a toujours quelque chose de différent.

Par exemple, pour le blanc de chez Worthy Park, j’ai demandé une fermentation spéciale de 3 mois, pour faire un rhum ‘dunder style’, et mon blanc est sur une autre planète que les autres embouteillages qui sont sortis par d’autres, qui de toute façon n’achètent pas à Worthy Park mais sur le marché international. C’est vraiment une vraie collaboration, et avant tout un plaisir, entre la distillerie, le distillateur, et moi… pour un résultat unique. Pour le Foursquare blanc, il faut savoir que c’est le premier que Richard veut bien sortir, et qu’il est fait avec une mélasse issue à 100% de la Barbade.

Et pour différencier les blancs dans Habitation Velier, j’utiliserai par la suite des bouteilles transparentes, et je garderai le verre brun pour les vieux. Chaque distillerie est représentée par un code couleur, par exemple Worthy Park est rouge, les rhums over proof sont tous noirs, le PM est bleu (Foursquare est orange, et Muller est vert). Hampden sera jaune foncé quand il sortira.

Et au niveau des quantités distribuées ?
Je pense que les blancs vont sortir autour de 1200, 1400 bouteilles maxi, et le Foursquare et le Worthy Park, plus autour des 9000 bouteilles. Richard me donne aussi la possibilité de sélectionner des fûts chez lui, et on va sortir prochainement un Foursquare 2006 de 10 ans, vieilli 3 ans en fûts de Bourbon, et 7 ans en fûts de Cognac, à 2 200 bouteilles (hors Habitation Velier, dans la bouteille noire classique).

Depuis 2016, je veux vraiment essayer d’exporter mes produits dans le monde. Mes sélections de Demerara et de Caroni sont toutes très confidentielles, et même avec Habitation Velier, 9000 bouteilles ce n’est pas beaucoup. C’est pour ça que j’ai fait des bouteilles de 750ml, pour le marché américain, ce sera une première pour moi. Mais pour les toutes petites séries, cela restera en Europe.

Et d’où viendront les prochaines bouteilles de cette gamme ?
Je viens de finaliser l’achat de fûts (entre 2007 et 2011) chez Mount Gay (triple distillation en potstill), et je suis aussi allé sélectionner des fûts chez Hampden, des rhums vieux de 2010, 2011. Ils font comme les Demerara, des rhums de différentes ‘marks’ et à différents niveaux de congénères. Le premier à sortir sera un « High Congeners », sûrement fin 2016.

D’autres nouveautés ou projets à venir ?
Je suis entrain de construire un entrepôt a Haïti, à Port au Prince. Avant, je ne faisait que sélectionner en petite série, et je veux avec Habitation Velier acheter plus de fûts, et les laisser vieillir sous les tropiques, pas en Europe. Donc soit chez les producteurs, ou alors dans mon nouvel entrepôt.

J’ai aussi déjà acheté du 2008 de Worthy Park, pour embouteiller un futur rhum vieux.

Donc il y aura Habitation Velier, et à côté des embouteillages plus classiques ?
Oui, et quand je ferais des embouteillages spéciaux de mélasse, par exemple les Caroni, le Foursquare 2006, un Velier Royal Navy à venir (avec l’idée de sortir le plus vieux Navy), ou des jamaïcains, ce sera dans les bouteilles noires avec un visuel proche des Demerara.

Et à côté de ça, je veux embouteiller des sélections de rhum agricole. Si je trouve des vieux fûts, des choses intéressantes… mais je voudrais bien créer une nouvelle bouteille pour une collection d’agricole.

A propos de CARONI…

Concrètement, que vous reste t-il en stock de Caroni ?
Il me reste de quoi tenir peut-être 5 ans, mais après ça il n’y aura plus de Caroni original. Le plus vieux qu’il me reste est de 1994, et ensuite j’ai du 96.

Et qu’allez-vous faire de ce millésime 1994 ?
Je vais le sortir l’année prochaine, pour les 70 ans de Velier. Sûrement un embouteillage spécial anniversaire avec le plus vieux Caroni qu’il me reste.

Il y a eu beaucoup de Caroni à sortir cette année, quel est le prochain?
Un Caroni 1996 20yo barrel proof à 69% et à 55%, et on a embouteillé il n’y a pas longtemps le 17 ans à 55°, qui sera la suite des blend (assemblage) de 12 et 15ans. Je le trouve très réussi ce 15 ans, et je pense que les gens vont le regretter d’ici quelques années…

Vous pensez que les gens n’ont pas encore conscience de la différence au niveau du vieillissement (tropical/continental)?
Il n’y a pas beaucoup de rhum de cet âge qui ont vieilli à 100% sous les tropiques, c’est unique… et je pense que tout le monde n’a pas conscience que c’est un vrai  17 ans, et de son authenticité. Je suis allé il n’y a pas longtemps sur un site de vente en ligne, et quand tu ranges par ordre de prix, tu trouves mes rhums à la 4ème, 5ème page (rires), alors que tous les autres sont vieillis en Europe. Et à la fin, ça doit sûrement perturber la perception des gens, c’est certain. C’est pour ça que je pense que dans quelques années, beaucoup regretteront ces sorties.

 

Comments
2 Responses to “L. Gargano, suite et fin”
  1. goose dit :

    AU top, j’en salive déja

  2. keiser dit :

    Idem reste plus qu’à patienter.

    Toujours un plaisir de lire tes articles Cyril, intéressants et informatifs.
    Merci

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