le rhum jamaïcain
L’article qui suit n’a pas pour vocation d’être le plus complet sur le sujet, mais se veut avant toute chose une sorte d’initiation à qui voudrait s’intéresser un peu plus aux rhums jamaïcains. Les livres qui s’intéressent au sujet (en langue française) sont peu nombreux et ne parlent jamais en détail de la fabrication du rhum jamaïcain, procédé longtemps resté mystérieux, ni de ses qualités. « Stynking Rum » (rhum puant), voilà comment était jadis nommé le rhum jamaïcain, et pour cause : il était -et il est toujours- considéré comme le plus aromatique, le plus concentré ; Et les pirates, les flibustiers et autres boucaniers de l’époque devaient le chérir comme nul autre pareil. Des rhums typés à la puissance inégalée, qui sont réputés et appréciés depuis des siècles, et encore aujourd’hui… un peu d’histoireLa Jamaïque, tout comme les Barbades, a une riche histoire et tradition sucrière. C’est même le plus grand producteur de sucre au monde dans les années 1740. C’est dans ce contexte qu’apparaîtra Appleton Estate en 1749 (la seconde plus ancienne distillerie derrière Mount Gay à la Barbade, et devant St James en 1765), et que se développe Worthy Park. Aujourd’hui, on retrouve au sud la distillerie Clarendon (plus connu sous le nom de Monymusk), et plus au nord Long Pond et Hampden, deux distilleries aux méthodes de production encore plus traditionnelles. La Jamaïque deviendra le plus grand producteur de rhum au monde à la fin du XVIIIeme siècle avec plus de 10 000 000 de litres produits. Mais à partir de 1834 et de « l’emancipation act », on assiste au déclin de l’industrie du sucre et du rhum. Mais contrairement aux rhums des Antilles françaises, le rhum jamaïcain a toujours joui d’une excellente réputation, fruit d’un savoir faire ancestral, et sa qualité a été plus constante que n’importe quelle autre boisson au monde. Au fil des siècles, les méthodes de fabrication s’améliorent nettement et la popularité du rhum grandit très vite. Dans les années 1830 on comptait en Jamaïque plus de 600 distilleries. En 1883 ce chiffre baisse à 148, puis 25 en 1948, pour n’en compter aujourd’hui que 5. La qualité n’est pas en cause et il faut signaler que les rhums jamaïcains ont su garder toute leur typicité d’antan et les méthodes de production sont restées traditionnelles, et ceci même si elles sont suivi les progrès technologiques. Le peuple jamaïcain est fière de ses racines et n’a jamais été enclin à changer, pour le bonheur des amateurs. La grande majorité du rhum produit en Jamaïque est exporté dans plus de 70 pays. Beaucoup penseront, comme pour nos rhums Grand Arôme, que les rhums Jamaïcains ne se dégustent pas pur, belle erreur… Car même s’ils sont aussi utilisés dans l’industrie alimentaire ou la parfumerie pour leur puissance aromatique, même s’ils servent de bases au cocktail les plus fameux, il serait bien dommage de passer à côté de leur dégustation, pure. le secret des rhums de la Jamaïque : un procédé de fabrication unique…souvent imité, jamais égalé… C’est un des rares pays producteurs à avoir conservé la distillation en alambics à repasse, là où de nombreux autres producteurs ont répondu aux sirènes de l’industrialisation, oubliant leur histoire au profit de gigantesques colonnes déversant du rhum sans âme. Mais l’utilisation d’alambics à repasse, même si très importante, n’est pas l’unique responsable de ce rhum hors du commun… Des auteurs comme Pairault (dans son livre ‘Le Rhum et sa fabrication » paru en 1903) raconte qu’on ajoutait au rhum tout juste sorti des alambics « des peaux de bêtes, de la viande, du tabac et diverses racines, pour former des sortes de ‘sauces’ (dunder), qui servaient à lui procurer ces arômes si particuliers ». D’après AC Barnes (dans son ouvrage Sugar Cane, 1964), au début 19ème en parlant des méthodes de production : Longtemps resté mystérieux, ce processus de fabrication était jalousement gardé par quelques hommes qui perpétuaient la tradition, contre les progrès de l’époque et sûrs de leurs choix ; ils choisissaient même leur apprenti à qui ils demandaient une somme conséquente pour être autorisé à apprendre quelque chose des subtilités de fonctionnement de la distillerie. (AC Barnes, Sugar Cane, 1964) Même Dave Broom, lors de l’élaboration de son livre RUM qui sortira en 2003, a eu toutes les difficultés du monde à découvrir les secrets de ces rhums hyper-concentrés : « Personne ne voulait en parler, et quand j’ai finalement aperçu quelques détails de ce secret, j’ai rapidement compris pourquoi… » Dunder, un accélérateur de fermentation
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Classification, du sérieux avant l’heureEn Jamaïque, chaque type de rhum est classé en fonction de sa concentration aromatique qui est calculé en nombre d’esters. On parlera chez nous de TNA (taux de non alcool) ou teneur en substances volatiles : les fameux congénères qui regroupe l’ensemble des composés chimiques (esters, acides gras) à l’origine d’une partie du goût du rhum. Ce taux est exprimé en gramme par hectolitre d’alcool pur (gr./HLAP) Il était ainsi plus facile pour la Jamaïque d’exporter ses rhums selon leur profil aromatique et selon les besoins de leurs clients. Rappelons au passage que la majorité du rhum produit en Jamaïque est exporté et vendu en gros (bulk), pour servir à des assemblages divers ou encore pour vieillir dans des chais en Écosse ou ailleurs pour ensuite arriver sur vos tables via les embouteilleurs du type Cadenhead, Berry Bros, … Cette classification va du rhum le plus léger (light) eu plus aromatique et lourd (heavy), et se décompose ainsi : – Common Cleans : entre 80 et 150 esters. C’est le style le plus typique du rhum jamaïcain, le plus commun et le plus ancien (et donc produit à partir de pot stills). – Plummers : entre 150 et 200 esters : léger et fruité, medium body – Wedderburns : plus de 200 pour un rhum aux arômes plus corsés/lourds, un fruité plus prononcé et piquant (pungent). un rhum lourd (heavy body). – Continental Flavoured/High Ester : entre 500 et 1700 esters, aux arômes extrêmes, le plus concentré de tous, à l’odeur d’acétone (colle à maquette/diluant à ongles). [ pour information les rhums produits dans les Antilles françaises vont de 60g pour les rhums légers à 225gr pour les rhums traditionnels et plus de 325g pour les rhums vieux ; les grands arômes contiennent plus de 500g. ] Ainsi, c’est la durée de la fermentation qui donnera une richesse aromatique plus ou moins concentrée : le Common Cleans et Plummer sera fermenté habituellement 48h (le standard dans le rhum agricole), tandis que pour le Wedderburn et le Continental l’étape de fermentation pourra durer de 5 à 10 jours voir même beaucoup plus. Les ventes à l’export sont aussi classifiées en 3 catégories : – Local Trade quality : qui regroupe des rhums principalement réservés au marché local comme son nom l’indique, et qui comprend des rhums légers . Ca pour reprendre les termes du livre de Alain Huetz de Lemps (Histoire du Rhum, éditions Desjonquères) « (…) les jamaïcains sont plus sobres que les antillais français ».
les Distilleries fumantesElles sont au nombre de 5 : Hampden, Long Pond (Trelawny), Worthy Park, Appleton/Wray&Nephew et Clarendon (plus connue sous le nom Monymusk et attachée à l’usine sucrière de New Yarmouth) Il est intéressant ici de faire la distinction entre les distilleries qui ne font qu’exporter leur production, et celles qui distribuent leurs rhums sous leur propre étiquette. Il n’y a en fait que très peu à vendre sous leur propre marque. La majorité de production étant exportée. Pami les distilleries fumantes, elles ne sont que 4 à embouteiller leur propre rhum : Wray & Nephew, Worthy Park, Hampden et Clarendon (Monymusk). Et seul Wray & Nephew le fait de manière constante depuis ses débuts. Notons que jusqu’en 2005 Worthy Park ne produisait que du sucre, et que la distillerie Hampden a fermé ses portes de 2004 à 2009 avant de reprendre sa production. HAMPDEN
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Avec le temps, et pour répondre aux demandes actuelles, la Jamaïque a dû s’adapter aux goûts modernes et réviser sa gamme de produits, qui deviennent alors plus légers. Mais -puisqu’il y a souvent un mais- sans pour autant abandonner ses traditions, et c’est bien là le plus intéressant.Elle continue encore de produire des rhums lourds et si typiques, là où de nombreuses distilleries, de nombreux pays, ont abandonnés petit à petit leurs traditions ancestrales, leurs alambics, pour toujours plus de rhum, toujours plus rapidement, avec toujours moins de vie… Mais paradoxalement l’offre est assez restreinte, et excepté les mastodontes que sont Appleton et Wray & Nephew, il faut se tourner vers les embouteilleurs indépendants pour trouver et découvrir des produits plus représentatifs, offrant une Jamaïque plus traditionnelle, plus typique.Alors imaginez un instant un rhum jamaïcain vieilli intégralement sur place, brut de fût, même d’une 10aine d’années… Un vieux rêve, mais pour reprendre les termes de Pierre Casamayor et Marie-José Colombani, peut-être qu’un jour « instruits par le succès des single malt écossais, les marchands anglais nous permettront-ils de découvrir les singles rums jamaïcains » (source: le livre de l’amateur du rhum, P.155). C’est déjà le cas, ne manque plus que le vieillissement tropical pour boucler la boucle… Avis aux aventuriers, aux intrépides! |
Really good article, Cyril. Are you going to follow it up with other countries?
Thanks Lance
who knows…
Excellent article .j »aime bien aussi ceuxl de MEZAN !
Merci mr Jerry
Salut Cyril !
Je savais déjà un certain nombre de choses au sujet des rhums jamaïcains, qui m’intéressent de plus en plus mais j’ai beaucoup appris à la lecture de ton article.
Merci beaucoup 😉
Merci Laurent 😉
Du très très lourd !!!
Bravo Cyril surement l’article le plus intéressant que j’ai eu l’occasion de lire ces derniers temps..
Merci !!!
Merci Florent c’est sympa
Ça fait pavé mais avec un verre à la main ça passe
Riche mais pas pesant, super article !!
Merci !
Superbe article, merci de donner quelques pistes d’embouteillages car en dehors d’Appleton et W&N il est difficile (et souvent onéreux) de trouver des représentants du style. Je trouve que le blanc de Rum nation est également remarquable, j’attends le vieux avec impatience.
Au sujet des « sauces », on en utilisait également aux antilles françaises, il y a des recettes avec les proportions de lanières de cuir, bois etc dans un ouvrage du père Labat
Oups je rectifie ma bêtise, les sauces en Martinique étaient ajoutées au moment du vieillissement, non à l’étape de la fermentation comme ici
Nice post. What about code JMLR for hampden?
Thanks SK. JMLR could be a code/mark used by Candenhead.
Barrel Aged Thoughts noticed it could be more a Wedderburn than a Continental Flavoured one
Je dois te féliciter pour ce superbe article! Très complet et très intéressant! Merci!
Hello Benoit, merci 🙂
Article très intéressant !
J’ai découvert le site il y a peu avec l’interview de Luca Gargano (un régal !) et je tiens à vous féliciter pour la qualité globale du site. Bravo et continuez !
Merci Maxime et bienvenue alors 😉
Super article, très intéressant !
Merci Cyril, très fascinant!
Génial ! Merci Cyril.
Bon sang, je n’avais pas encore lu cet article, et d’autres malheureusement ! Mais l’erreur est en cours de réparation !
Il est vraiment super celui là, je vais devoir me servir un verre de jamaïcain pour poursuivre mes lectures !
Merci pour ces palpitantes recherches !
verre obligatoire, à ta santé!
Un tres bon article, c est dificile de trouver d information des rhums de Jamaica qui ne soit pas anglais, tu l expliquais parfaitement les diferences tipes des rhums Jamaicans.Mes felicitations
gracias Javier
Super article!
Depuis je cherche un rhum jamaïcain digne de ce nom.
Le Mezan me semble très intéressant (voir le récent article http://thefatrumpirate.com/fr/mezan-jamaica-2003)
Est-ce que quelqu’un a pu déguster des Samaroli Jamaica ?
Merci Julien.
la semaine dernière j’ai gouté un Samaroli (Jamaica 1986), superbe nez mais bouche décevante et assez plate. Et un High Spirits 1992 (Hampden, 15 ans) très bon, avec une bouche bien grasse et concentré, mais tout en douceur. Par contre je n’arrive même pas à en trouver une image :/
Merci pour le conseil, vu les prix des prix des Samaroli, mieux vaut goûter avant d’acheter.
J’ai testé hier le rum nation jamaica white pot still à 57° (de Worthy Park. Ne connaissant pas encore les rhums jamaïcains, ça a été une vraie bonne surprise !
il est très surprenant et agréable ce rhum de chez Rum Nation, très concentré avec surement une très longue fermentation. Velier doit en sortir un aussi cette année, 4 mois de fermentation…
4 mois de fermentation ? 4 jours plutôt, non ? C’est déjà bien. Pour l’AOC Martinique, je crois qu’elle est limitée à 120 heures. Sinon ça m’intriguerait vraiment de savoir comment il fait ça (fermentation continue?).
Non c’est bien 4 mois. Moi aussi j’aimerai bien en savoir plus..
Salut Cyril,
Je suis passé sur le site du Rum Cask et ils proposent des bouteilles des différentes distilleries à des prix abordables, tu les as testés? Je pensais partir sur le lot de 10 samples qui m’a l’air très très intéressant.
Sinon est-ce que tu as goûté les rhums proposés directement par Hempden (Gold et Rum fire) ?
Salut julien
Oui j’ai pas mal de rhums de The Rum Cask (il doit y avoir une note de leur Bellevue par là) ; un excellent rapport qualité/prix et surtout la très bonne idée de proposer des samples pour tester, c’est l’idéal. Un embouteilleur qui propose de très belles choses..
Je n’ai pas encore eu la chance de gouter les rhums officiels de Hampden.
Salut Cyril,
Merci pour cet article très instructif que je relis avec plaisir 🙂
Par contre, concernant « Le produit phare de Wray & Nephew est le rhum Smith & Cross », je lis sur les sites de vente qu’il vient plutôt de Hampden. Une petite coquille ?
Salut Niko, bien vu 😀
coquille remontée depuis un bout de temps mais jamais modifiée, merci.
pour être plus complet sur le sujet :
http://www.alpenz.com/images/poftfolio/smithcross114rum.htm
« Le Dunder, ou vinasse en français, est composé de résidus des précédentes distillations, et contient une concentration extrême d’acides, et plus particulièrement d’acides butyriques »
Juste ciel ! L’acide butyrique, plus justement appelé acide butanoïque, est une des substances les plus fétides que je connaisse. Je comprends mieux l’appellation « rhum puant »… J’imagine qu’il n’est pas possible de s’approcher à moins de 50m de ce fameux dunder sans frôler l’évanouissement. Je ne regarderai plus jamais ma brave bouteille d’Appleton de la même façon…
Des fois il ne faut pas divulguer les secrets ! 😉
Salut Laurent
Il parait que c’est une aventure en effet… :p
Bonjour Cyril,
Est-ce que tu as pu goûter les versions de Corman Collins ? Il me semble que ce sont des single cask réduit à 50° distillé à Long Pong.
un article italien fait même le parallèle avec une version de Berry Bros : http://www.lospiritodeitempi.it/?p=7505
Salut Julien
oui j’ai eu l’occasion de gouter les 2 embouteillages de Hubert que j’ai beaucoup appréciés. Qui plus est avec un bon rapport qualité/prix vu l’âge.
Bonjour Cyril,
Souvent je cherche des infos sur le rhum, son histoire, sa fabrication, les spécificités d’une production, un « terroir » et toujours je retombe sur ton site ; là je trouve généralement ce qui me manquait dans mes autres lectures… En conclure que toutes les réponses sont ici serait sans doute une erreur (et sûrement une forme déguisée de fainéantise intellectuelle ^^), mais je tiens véritablement à rendre hommage à ton travail. Merci
le hasard David !
merci 😉
Puis arriva Hampden 2010 de l’Habitation Vélier……..
L’Histoire est en marche !
Superbe article Cyril, mais comme d’hab, ca devient redondant
Bonjour Cyril, j’adore votre site très bien fourni, passionnant et jamais sa langue dans la poche! Il faut rester dans cette veine c’est super!
J’avais une question concernant les fameux « marks » Jamaïcains..les dénominations HJC et ITP je ne trouve pas d’équivalents…que veulent elles dire? merci au plaisir Thomas
Salut Thomas et merci.
il y a de très nombreuses marks, souvent nommées d’après d’anciens propriétaires et nous ne connaissons pas encore l’intégralité des références. Un jour peut-être ? sachant que certaines d’entre elles ne sont que de ‘simples’ lettres inventées par les brokers pour y voir plus clair dans leurs stocks