Lost Spirits

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Lost in Spirit

Lost Spirits (une micro distillerie californienne) a fait beaucoup parler, et dernièrement pour avoir mis au point une «nouvelle technologie » qui permettrait -en 6 jours- de fabriquer un spiritueux qui aurait le « profil chimique » d’un spiritueux de 20 ans… vous avez bien entendu, un rhum de 20 ans, fabriqué en 6 jours, enfin presque. Leur slogan, en toute humilité : « une technologie qui transforme (remet en question) 400 ans de tradition ».

Au delà de l’aspect surréaliste de la chose, et du résultat qui ne se rapprochera jamais d’un vrai rhum vieilli, n’en doutons pas, on peut saluer l’audace et l’esprit d’innovation, déjà tenté par d’autres… mais toujours resté sans succès. Vous pensez bien, un tel exploit serait rapidement racheté des millions (milliards?) par de grandes multinationales, déjà habitués à débiter du ‘rhum’ en conserve. Cela signerait sans doute la fin de toute une époque ; et ce serait aussi, et surtout, balayer en un battement de cils, des siècles de traditions rhumières, de savoir faire, de patience,… Nous vivons décidément une époque fascinante. Ou improbable, c’est au choix.

 


 

 

Appelez ça de la magie ou de l’expérimentation, mais le but avoué de Lost Spirits est de maîtriser le temps, pour l’accélérer. Son fondateur a épluché l’ADN de vieux rhums, pour essayer d’en reproduire un ersatz cliniquement, en simulant l’alchimie qui s’opère généralement durant des décennies dans le fût, et en biaisant le temps. Vous vous souvenez de Dolly, cette brebis clonée ? c’est à peu de choses près la même chose, mais pour le rhum. Une sorte de rhum de labo en quelque sorte.

Et puisque tout n’est que réaction chimique, Lost Spirits a pour cela créé un dunder maison, sorte d’accélérateur (à base de bananes pourries, et d’autres bactéries sélectionnées), qui lui permet de sortir un paquet d’esters en un temps record. Passé la distillation dans un pot still fait maison, il évite un long vieillissement en mettant le résultat dans des fûts de chêne américain neufs fortement brûlés, et assaisonnés de sherry Oloroso (xérès). Exit le vieillissement de 10 ans et la soif des anges, quelques jours suffiraient à se rapprocher d’un très vieux rhum, et à éliminer la providence… Tout est question de rapidité dans le process, le but étant de gagner du temps, encore du temps, et de faire le rhum qui paraitra le plus vieux le plus rapidement possible. Une course effrénée à la folie, dans un monde (celui du rhum), où le temps fait généralement son œuvre. A chacun sa philosophie.

 

 

Lost Spirits Navy Style / 68°

Un rhum brut de fût (si on peut encore parler de fût), et dont il existe deux autres versions : un titrant 55°, et l’autre 57.

Couleur ambrée, tirant sur le cuivre. On aperçoit sur la paroi du verre, une couronne de larmes qui dégringolent nonchalamment. L’impression d’un rhum âgé, c’est déjà ça.

Au nez, les 68° semblent passer comme une lettre à la poste, sans aucune difficulté. Niveau aromatique, c’est rond avec beaucoup de caramel, auquel se mélange des notes de tabac, de cuir, de banane et de fruits noirs (pruneau, cerises, grenadine), de cannelle ; Le boisé, particulier, me rappelle ces vieilles bouteilles de négociants, pas toujours très claires, sur le copeau de crayon, un bois humide et fumé, très simple et très plat. Cette dernière odeur prend le dessus sur le reste, mélangée au caramel, et le rhum semble s’éteindre avec le repos, comme se simplifiant, faisant ressortir l’alcool. Un rancio léger mais pas des plus agréables.

En bouche, l’attaque est huileuse, très puissante, alcooleuse (alcool à brûler) et un peu foutraque (excentrique?) ; ça part un peu dans tous les sens et sans aucune logique, ni même un quelconque équilibre. Très particulier, avec beaucoup de caramel, de la vanille, de la réglisse, de la sauce barbecue (un coté balsamique), de l’acidité, du chêne en pagaille, fumé, brûlé, et encore et toujours de l’alcool. La fin de bouche est très longue, avec un boisé caramélisé/brulé, et salé, avec toujours ce goût d’alcool en fond, sec.

Plus une expérience qu’une dégustation, on est à des années lumières de la complexité des vieux rhums ; que ce soit au nez ou en bouche, il y a bien des arômes, mais plutôt fades et noyés dans une grande dose de caramel et un boisé plutôt très plat. La bonne nouvelle: les producteurs de rhum ont encore de l’avenir. Note: 73

 


 

Lost Spirits Polynesian Ispired Rum / 66°

Un rhum qui se veut d’inspiration polynésienne (comprendra qui pourra), toujours brut de ‘fût’.

Couleur ambré, reflets orangers, pour une robe huileuse.

Au nez on ne sent toujours pas vraiment le degré, en tout cas ça n’attaque pas; c’est rond, et plutôt très simple niveau puissance aromatique. Toujours beaucoup de caramel, de vanille, des fruits secs et tropicaux (ananas, abricot), et une odeur de vin rouge qui apporte un côté astringent (une odeur métallique). Il y a un lien avec le Navy c’est un fait, on dirait la même base avec moins de notes empyreumatiques, plus de fruits, mais toujours sans complexité ni harmonie. On s’ennuie car le rhum n’évolue pas, comme coincé dans sa bulle.

En bouche, c’est une nouvelle fois puissant, gras, ça attaque les parois (le cote astringent d’un vin rouge charpenté), avec des fruits exotiques (banane, ananas,) qui peinent à faire surface, de l’acidité et  toujours beaucoup de caramel et de vanille (l’effet mélasse grade A?), de notes poivrées. Un rhum à mâcher, mais qui ne fait pas de bulle.

La fin de bouche est longue, une nouvelle fois marquée par l’astringence, l’alcool, une mélasse devenue fumée et salée. Il reste, après la dégustation de ce rhum, comme un goût métallique en bouche.

Pas mieux, pas pire que le Navy, juste pas terrible ni très agréable à boire. Ça manque aussi d’harmonie, d’alchimie, de…temps? Mal de crâne en prime après les deux dégustations. Note: 72

 


 

De nombreux articles sur les rhums de Lost Spirits sont sortis outre-atlantique, tous élogieux, et très souvent accompagnés d’une interview de son créateur (très disponible, il faut le signaler). De quoi soulever une curiosité croissante, et même une certaine envie d’y goûter.

Voilà qui est fait, et soyons rassurés : rien ne remplacera jamais le talent des producteurs, le temps, la patience. Aucune science ne pourra jamais remplacer la main de l’homme et l’œuvre du temps ; c’est la bonne nouvelle de cette dégustation, pour ma part en tout cas.

Certains trouveront cette aventure rafraichissante, innovante, époustouflante. Elle peut aussi paraitre effrayante. Mais nous sommes encore loin du résultat, soufflons et buvons à la santé des anges, ils ont eu chaud.

 

90 et + : rhum exceptionnel et unique, c’est le must du must
entre 85 et 89 : rhum très recommandé, avec ce petit quelque chose qui fait la différence
entre 80 et 84 : rhum recommandable
75-79 POINTS : au-dessus de la moyenne
70-74 POINTS : dans la moyenne basse
moins de 70 : pas très bon

 

Comments
13 Responses to “Lost Spirits”
  1. Cyril dit :

    Après le Don Papa, c’est bien, je vois que tu varies les plaisirs :-p
    Veinard, va ! ;-p

    + sérieusement, le Don Papa est désormais de + en + présent ds les bars…ils ont conquis ce marché à une rapidité…
    A défaut d’être de bons rhumiers, ce sont de bons vendeurs !
    Et le pire, c’est que les consommateurs aiment ça….ça me désole….

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    • cyril dit :

      est-ce que c’est vraiment comparable? une expérimentation de plus peut-être 😉

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    • Brorelien dit :

      Effrayant!
      Mais ou allons nous? Dans 10 ans nous aurons droit au rhum vieux desydraté?
      J’ai adoré le « un rhum a macher mais qui ne fait pas de bulles » j’imagine bien un chewing-gum don papa.
      Son succès était malheureusement prévisible étant donné que les consommateurs s’attendent à un alcool sucré en buvant un rhum vieux. Probablement à cause des cocktails, sirop de canne et tout simplement la canne qui sert à le fabriqué. Des qu’on leur propose un rhum avec ce qu’ils attendent (peu importe comment c’est fait bien-sûr…) ils adhèrent, enfin un rhum vieux « qui se boit tout seul » et « en plus c’est du 7 ou 10 ans, c’est pas de la merde »

      Je pense que ce triste constat perdurera tant que l’industrie dès rhum traditionnels et authentique ne répondra pas au même niveau marketing que celui de ces distillateurs 2.0.

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      • cyril dit :

        effrayant oui.
        le rhum vieux déshydraté c’est une idée ça ! :p

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        • matpib dit :

          on a déjà le vin déshydraté !
          Il y a une cave coop du sud du Languedoc qui fait du vin en poudre, qui l’expédie en Afrique où il est réhydraté et vendu en bouteille avec le mot vin sur l’étiquette

          alors le rhum… ça ou autre chose…

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      • Cyril dit :

        Une dérive qui ne touche malheureusement pas que le rhum….mais bon, nous le savons tous ici, inutile d’en rajouter (d’autant que si on continue sur ce terrain là, ça va se finir en….discussion de comptoir ! ;-p )
        Et sinon, juste pour rire, cyril, ils ont osé mettre quoi sur l’étiquette ? « rhum », j’imagine qu’ils ne s’en sont pas privé….mais comment ont-ils « valorisé » (vous me pardonnerez le terme….) le « vieillissement » (vous me pardonnerez le terme là aussi….) ????

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        • cyril dit :

          en fait cela reste du rhum car distillé à partir de mélasse ; c’est la méthode de fabrication qui peut surprendre, le fait de vouloir défier le temps et remettre en question des siècles de tradition. Lost Spirits est en ça très transparent sur ses méthodes et en parle plutôt librement.

          sur l’étiquette on peut lire: RUM oak matured alcohol, et au dos la liste des ingrédients

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        • Cyril dit :

          Il m’a semblé voir « oak matured » sur une de leur étiquette…y a d’autres trucs drôle…? J’ai lu aussi dans un descriptif « Inspired by traditional Jamaica style rum » (mais pas sur l’étiquette). Mais c’est pas mal aussi…
          Et pour que ton article soit complet ;-p , et pr les amateurs, la bouteille de « Navy Style Cask Strength Rum 68° » aux environs de 55$…

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          • cyril dit :

            à chacun ses termes vendeurs 😉
            pour le « inspired by », c’est parce qu’il aurait décortiqué de vieux rhums de Jamaïque en laboratoire pour essayer d’en reproduire certaines caractéristiques avec sa méthode. Et oui le prix est beaucoup moins élevé outre atlantique qu’ici, c’est flagrant

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  2. Picsus dit :

    Merci pour cette note Cyril,
    Pour ma part, je n’adhère pas trop à ce concept meme si je salue l’effort d’innovation.
    Déguster un bon produit, c’est aussi savoir apprécier le travail de tous les artisans ayant oeuvrés pour la conception de celui-ci.
    Je pense qu’on est assez d’accord!
    Je te remercie néanmoins pour cette note qui a éteint, definitivement, ma curiosité à ce sujet.
    A bientot

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  3. Jean-Louis DONNADIEU dit :

    Vite, vite, que les règlements internationaux précisent quels produits ont droit à l’appellation de « rhum », et que les autres produits, qu’ils soient poussés comme celui-ci qui a perdu son âme ou d’autres qui, après distillation, rajoutent du sucre ou de la glycérine, reçoivent une autre appellation, de façon à ne pas mélanger les genres ni faire croire au consommateur que tous concourent dans la même catégorie. Et, par ailleurs, dans lesdits concours, que les échantillons soient -tel un contrôle « anti-dopage » – systématiquement et préalablement analysés, pour disqualifier les trafiquants. Sinon, faute d’application de règlements sévères et clairs, c’est la prime à la triche… Et quel mépris pour ceux qui ont l’amour du travail bien fait et laissent le temps au temps !

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  4. Hervé dit :

    Félicitations pour cet article sur les rhums Lost Spirits, lorsque j’ai gouté par curiosité au dernier Rhum Fest Paris je me suis fait à peu de chose près les mêmes commentaires. Tout le monde avait l’air tellement impressionné par le résultat, j’étais impatient… Je dois dois dire que l’atterrissage a été un peu violent ! Les maîtres de chais peuvent encore dormir sur leurs 2 oreilles.

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