Port Mourant des 70’s

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Demerara des années 70’s

Dégustations croisées de rhums Demerara des années 70, et plus précisément de rhums distillés via le double alambic en bois Port Mourant, unique au monde, et originaire d’une plantation (et distillerie) fondée en 1732… Des rhums vieillis en grande partie sous nos latitudes (y compris l’embouteillage de chez Velier). Nous pouvons y ajouter le rhum  Berry Bros Demerara 1975, et le Cadenhead 1975.

 


Silver Seal Port Morant 1975 / 51,1°

L’italien Silver Seal n’est pas à sa première faute: il s’agit bien de Port MoUrant. Distillé en 1975 et embouteillé en 2013, il existe deux versions de la bête: une à 51,1° (139 bouteilles) que nous goûterons ici, et une autre à 49,9° (et 159 bouteilles).

La couleur de ce rhum est acajou foncé, aux reflets bronzes, imposante avec une robe grasse et des larmes en slow motion.

Le nez est lourd et concentré, cendré, avec ce boisé humide à la Port Mourant, accompagné de réglisse ; tout est caramélisé, grillé, fumé, ça vous colle aux narines et ça ne vous lâchera pas avant un bon quart d’heure. Le repos apporte des fruits secs grillés (raisins, pruneaux) et des fruits exotiques proches de la pourriture, encore et toujours soutenu par la réglisse.

Encore un peu de repos et le nez se fait maintenant confituré, avec pas mal de fruits noirs, de la cerise, du cassis, le tout sucré et plutôt agréable au nez, gourmand même, avec toujours en tâche de fond ce boisé humide (sciure). Un rhum complexe qui évolue beaucoup avec le temps.

L’attaque est vive et épaisse…boisée, réglissée (noir), avec des fruits secs (pruneaux) et une amertume assez présente (thé noir) ; On dirait une infusion excessivement boisé, tannique, en plus d’être tonique. Heureusement les fruits apportent un côté sucré qui contrebalance tout ce bois, et c’est très bon.

En fin de bouche beaucoup de bois, de la réglisse bien noire et de la mélasse, ça se termine sur l’amertume avec l’impression de finir une tasse de thé froide et trop infusée. Un rhum ayant resté aussi longtemps peut-il vraiment -et sérieusement- délivrer autre chose ? Comme il colle aux narines il restera longuement en bouche.

Un rhum tannique, tonique, qui en impose et qui fait parler le fût, très bien équilibré par les fruits, comme si le rhum avait vieilli dans des fûts de sherry ? En plus, bien sûr, d’être un morceau d’histoire. Note : 88

 


Silver Seal Port Morant 1975 / 49,9°

La seconde version de Silver Seal, cette fois à 49,9°, issu aussi d’un fût unique qui aura donné 159 bouteilles. L’histoire nous dit que le rhum aurait passé 8 ans au Guyana avant d’arriver en Europe pour le reste de son vieillissement.

La couleur est identique à la version de 51,1°, acajou foncé et à la robe imposante et grasse.

Au nez, on est encore là proche de l’autre version, mais on remarque que le rhum est un peu moins lourd et marqué par le fût, plus fruité et osons-le, gourmand. Du fruit confituré surtout, du massepain, et toujours ce boisé humide, cendré, de la mélasse et de la réglisse bien noire. On y surprend même des arômes plus floraux, et élégants. C’est étonnant de voir autant de différences sur deux fûts de la même année, et on comprend mieux la décision de Massimo Righi d’avoir voulu sortir deux embouteillages distincts.

Le repos renforce un peu plus la présence de la réglisse, qui tend maintenant plus vers le zan, et toujours ces fruits confiturés, fumés.

L’attaque est très concentrée et grasse (mais moins que le 51,1°), sur la mélasse, le boisé et la réglisse. On retrouve du raisin sec et des pruneaux, des tanins (mais pas tant que ça au regard de l’âge) ; Pour la comparaison, ce rhum apparait beaucoup moins tannique que l’autre version, moins puissant aussi, plus délicat et suave, et mieux équilibré.

La fin de bouche est forcément longue…et moins abrupte que la version à 51,1, avec des épices douces, et toujours cette réglisse et le thé noir pour un rhum très bien équilibré, et aussi moins amer.

Avantage à cette version, moins ‘brute’, plus complexe et équilibrée que sa sœur jumelle. Pas mal de différences entre deux fûts qui auront passé toute leur existence en commun, mais travaillant différemment au cour du temps. Un must. Note : 92

 


Velier Port Mourant 1974

Deux fûts (pour 364 bouteilles) ont été embouteillés en 2005 à 54,5°. Il est à noter qu’il existe aussi chez Velier un millésime 1972 et 1975, tous vieillis en grande partie en Europe. Pour la petite histoire, c’est Yesu Perseaud qui poussa Luca Gargano à l’époque à retrouver ces rhums, soi disant des millésimes exceptionnels.

La robe de ce 1974 est acajou, tirant sur le rubis, avec une robe grasse, marquée par la présence d’un disque en surface et de paresseuses larmes, pas pressées du tout de toucher le fond.

Le nez délivre sans surprise pas mal de mélasse, et plus étrangement un côté médicinal que je ne connaissais pas à Port Mourant. De la papaye, de l’orange sanguine, de la cerise pour les fruits, de la noix fraiche, du chocolat amère et du pruneau. Un nez aigre-doux, où on retrouve la réglisse, indissociable et intemporelle, et des épices plutôt douces (girofle). La touche PM est moins en avant que sur les autres rhums, tapie dans l’ombre mais bien présente. Nez très complexe et excessivement bien équilibré.

La bouche est concentrée et plutôt douce et sucrée, sur les fruits secs épicés, mélangés à la mélasse bien noire, la réglisse, du thé et des épices. Le chêne n’en fait pas trop et la sensation est très agréable, complexe et très bien équilibrée. On retrouve aussi du cuir, et un côté iodé qui exulte les arômes. Du grandiose.

La fin de bouche est excessivement longue, toujours avec ce petit côté doux, sucré/salé (fruits secs/iode), et la réglisse, le tabac, et le chêne qui a la bonne idée de ne toujours pas en faire de trop, une nouvelle fois. Les épices reviennent (girofle) et le rhum laissera un long souvenir de son passage.

Un rhum aussi vieux et sans empreinte massive de chêne, c’est un coup magistral, une véritable leçon… Unique. Note : 94

 



Velier Port Mourant 1975

Mis en fût en 1975 et embouteillé par Velier en 2008, soit 33 années de vieillissement pour ce rhum qui aura aussi passé le plus clair de son temps au Royaume-Uni (comme le 72 et 74). Issu de 3 fûts ayant donnés 518 bouteilles à 56,7°. 2 ans de plus que le 1974…

Une robe acajou soutenue, tirant sur le rubis, très grasse.

Le nez est très concentré et riche. Beaucoup de mélasse, caramélisée, du chêne mais très doux, sûrement grâce à ce caramel qui semble bien présent dans ce mélange résineux, balsamique. Des fruits secs aussi, avec en tête du raisin blond, avec toujours ce côté fondu et douceâtre qui reste présent tout du long. Plus on lui laisse du temps et plus il devient sombre, et tire sur le miel de forêt pour une ambiance pesante…et collante au nez.

La bouche est très épaisse, mielleuse même, sur la mélasse brûlée, la réglisse, les raisins secs, le caramel, avec de la banane séchée et des épices qui se font poivrées ; elles ont la bonne idée de donner de la tenue et de trancher avec ce côté mielleux/sucré.

La fin de bouche est très longue, chaude et épicée, avec un peu de chêne caramélisé pour une longue persistance.

Une version PM assez concentrée et visqueuse en bouche, comme si le vieillissement européen avait été moins long pour celui-ci. Du dark rum par excellence, sans le coté trop boisé, mais peut-être un poil trop épais et caramélisé. Note : 86

 



image: RumCorner.dk

Gordon MacPhail Demerara 1974

Un rhum qui nous vient de l’embouteilleur écossais Gordon & MacPhail, distillé en 1974 et embouteillé en 2003 à 50° tout rond.

Robe acajou foncé, grasse et imposante comme les deux premiers rhums. Le disque à la surface semble rappeler une nouvelle fois les années passées en fût.

Le nez est à fond sur la mélasse grillé, et régnera en maître tout du long, prenant le dessus sur tout le reste, jusqu’à l’excès. Dark rum par excellence, lourd, disons même lourdingue avec son lot de fruits secs (prune, raisins), toujours grillés et boisés à l’excès, et cette mélasse qui reprend le dessus allégrement. A part ça difficile d’y voir autre chose, c’est un monologue que nous propose le rhum. En tout cas il promet une bouche aux arômes boisés et brûlés…

La bouche est huileuse et délivre un paquet de fruits secs (pruneaux, raisins) infusés à la mélasse, au bois et à la réglisse. C’est riche, chaud, et les tanins même si forcément présents, le sont moins que sur l’embouteillage de Silver Seal, épicés (poivre noir). La fin de bouche est longue, sur la même impression qu’en bouche avec une persistance qui n’a d’égale que l’âge du rhum. Des notes de tabac se joignent aux au revoir, déposant une légère amertume.

Un rhum qui a tout du dark rum d’une certaine époque (Samaroli est bon aussi dans le même genre) ; et par dark j’entends une mélasse très présente, très brûlée, pour un rhum certainement atypique mais pas très plaisant. Note: 76

 



High Spirit Fine Old Demerara 1975

High Spirit est un embouteilleur Italien qui aura sorti -entre autres- de nombreux vieux demerara, dont certaines bouteilles de Port Mourant (notamment un millésime de 1976 embouteillé en 2008 à 60,8°), un Enmore de 1974 affichant 29 ans, ainsi que d’autres bouteilles plus classiques. Ce millésime de 1975 a été sélectionné par Old Whisky et embouteillé en 2007 à 52°, soit après 32 ans de vieillissement.

Une couleur outrageusement foncée, tirant plus sur le café pour une robe grasse. La plus foncée de tous, assurément.

Le nez mélange boisé, réglisse et mélasse, assez alcooleux il aura besoin de beaucoup d’aération. Même après un long moment, le chêne est toujours aussi présent, une vraie décoction, avec du café, des fruits secs et du cuir pour un résultat hyper concentré. Un peu plus de zan par la suite.

La bouche est très concentrée, d’abord fruitée (sur les fruits secs) et rapidement boisée, tannique, noire avec une bonne part de réglisse et d’épices chaudes, de cuir.

La fin de bouche est longue, sur la réglisse, le tabac et les épices. On s’attendrait limite à plus, et plus longtemps, mais c’est déjà pas mal.

Encore un bad boy, un rhum bien noir qui fait parler l’âge, et donc le fût. On pourra lui reprocher un manque de complexité et de longueur par rapport à certains autres rhums. Note : 83

 


 

Plusieurs expressions de Port Mourant, souvent très vieilles, et toutes synonymes de qualité. Même si l’embouteillage de Gordon MacPhail laisse à désirer (et rien ne confirme qu’il provienne de l’alambic PM), les autres font incontestablement partie de la catégorie des très grands rhums, et particulièrement le Velier 1974 et le Silver Seal 1975 à 49,9°. Avec un léger avantage au second pour son côté confituré qui efface un peu plus les tanins, les flatte et met le rhum bien en valeur.

 

90 et + : rhum exceptionnel et unique, c’est le must du must
entre 85 et 89 : rhum très recommandé, avec ce petit quelque chose qui fait la différence
entre 80 et 84 : rhum recommandable
75-79 POINTS : au-dessus de la moyenne
70-74 POINTS : dans la moyenne basse
moins de 70 : pas très bon

 

Comments
10 Responses to “Port Mourant des 70’s”
  1. Pietro dit :

    Ah quelle leçon Cyril merci! J’aimerais bien arriver proche à ton palais 🙂

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  2. Ruminsky dit :

    Brilliant. What a lovely roundup of old Port Mourants. Many thanks

    0
  3. Damien dit :

    Quelle dégustation !
    Quelle leçon !

    Toujours un réel plaisir de te lire. J’interviens peu, parce qu’il n’y a rien à dire ! Je te rejoins beaucoup sur tes notes, on doit avoir le même palais 🙂 J’ai eu l’occasion de goûter le Silver Seal en 49.9° (My god !!) et j’ai une opportunité d’acquérir une bouteille du 51.1° (dont j’espérais du mieux, mais désormais, j’hésite…)

    J’ai dégoté un PM75 également mais là, l’hésitation se fait sur le prix …

    SS 51.1° vs PM75 … ?!

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    • cyril dit :

      Hello Damien
      il y a toujours à dire, mais content de savoir que nos goûts sont communs 🙂
      le Silver Seal à 51.1 reste très bon ceci dit 😉 mais c’est un achat conséquent… paraitrait qu’ils vont même sortir un 40 ans.

      PM75 ou SS 51.1, rhaa pas simple ça. Mais je dirais le Silver Seal quand même 😉

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      • Damien dit :

        Ca conforte mon choix, une fois de plus, on est en phase…

        Il y a cette attraction sur le PM75, alimentée il faut le dire par cette spirale VELIER infernale due à la rareté de ses produits ; et surtout de l’explosion tarifaire de ces 12 derniers mois, les 2 étant étroitement liés me diras-tu, mais on a atteint des sommets – exemple récent un Diamond 81 qui m’est passé sous le nez à 180€ en Mars de cette année et que l’on croise de temps en temps à 600-700€ aujourd’hui 🙁

        Bref, je m’égare. Je suis un amoureux de la subtilité des Silver Seal et une victime totalement assumée de leur packaging. Je crois donc que mon cadeau de Noël perso sera ce Port « Morant » 51.1%…

        Un 40 ans qui se profile ? Où as tu déniché cette info ? Voilà qui m’intéresse

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        • cyril dit :

          oui il y a eu une explosion des prix qui est terrifique, et souvent sans justification qualitative…
          ça va etre un sacré cadeau de noël! 😉

          l’info du 40 ans viendrait de Silver Seal directement… là encore ça va voler haut niveau tarif.

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  4. Henrik K. dit :

    Great roundup, Cyril.

    Most of us will never be able to try them all.

    Btw… please give proper credits for the photo of the Gordon & MacPhail Demerara 😉

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