saga jamaica

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Direction la Jamaïque avec de vieux embouteillages et des profils bien différents, à l’origine souvent inconnue mais reconnaissable pour certaines. Bienvenue dans les années 40, 60, 70 et 80 avec un panel non exhaustif de rhums d’époque.

 

 

 

Private Stock Wray & Nephew 1970’s / 43°

Un rhum issu d’un « stock privé » de Wray & Nephew « d’un grand âge et très mature », voilà ce que nous apprend l’étiquette ; le rhum, embouteillé en 75cl a été importé en Italie par P. Soffiantino. Pour aller plus loin, sachez qu’il existe 2 autres versions de ce rhum : une de 1967 (bouchon en liège), et une version de 1969 avec un bouchon cette fois à vis. Il s’agit ici de bouteille 319 / 70 (le 70 faisant référence à l’année d’embouteillage).



Dans le verre, le rhum a une couleur cola/café assez peu commune pour un rhum jamaïcain ; La robe est très huileuse et même grasse, très lumineuse.
Au nez, cela n’a effectivement que très peu à voir avec un rhum jamaïcain d’aujourd’hui: des pruneaux confits (et bien au-delà du confit), du tabac, de la réglisse, du cuir usé, avec un gros aspect balsamique, lourd et très noir, mais aussi sucré (chocolat) et même frais (menthol). Étonnant, car au lieu d’être noir et de tomber dans l’excès, le côté chocolat-menthe donne une dimension rafraichissante assez agréable, même si quelque peu déconcertante mélangée aux notes animales (cuir, musc). Avec le repos, le nez prend des horizons orageuses et noirs, mais avec cette fois-ci une note végétale humide, de sous-bois et de champignon, et toujours chocolaté. Malgré tout ce noir, le rhum est évolutif, riche et devient même complexe avec le temps.

En bouche, l’attaque est douce et huileuse, prenante et chaleureuse sur un profil sucré/acidulé (pruneaux confits à la vinaigrette/iodés) et assez rapidement tannique et fort réglissé : chêne mouillé, tabac, cuir, épices brûlées (cannelle), grosse mélasse. Le rhum devient gras et les arômes tapissent vos cavités, montent en puissance mais avec classe ; la réglisse prend ainsi toute la place et va crescendo sur fond d’amertume et de notes brûlées ; belle évolution, un rhum vivant qui semble venir et partir, et revenir…toujours dans ce registre sombre et au final très réglissé, mais qui sait ne pas franchir la ligne de l’excès, mais s’en approche fortement, flirtant avec le danger.

La fin de bouche est assez longue, et surtout persistante et plutôt sèche sur cette réglisse surprésente, une nouvelle fois accompagnée de notes boisées et épicées, de tabac. Un rhum animal et bestial, qui délivre une histoire longue et sûrement douloureuse, mais avec une certaine humilité.

Un jamaïcain d’hier qui ne ressemble pas à un jamaïcain d’aujourd’hui ; ou alors que l’on aurait mélangé avec un noble jus de bois et des bâtons de réglisse (comme dans pas mal de très vieux jamaïcains de chez Wray & Nephew au passage). Il en reste tout de même un rhum imposant, noir et à l’identité forte que seul le temps peut forger. Une belle expérience qui impose le respect. Note: 87

 

 


 

 

Alfred Lamb’s 1949 Special Consignment / 40°

Un autre rhum jamaïcain, cette fois distillé le 9 septembre 1949 et limité à 510 unités (ici la bouteille porte le #155). Issu des « plus vieux rhums jamais produit par Alfred Lamb » embouteillés dans la ville de Dumbarton en Écosse dans les années 90. Il existe un autre embouteillage du même genre mais distillé cette-fois en 1939 et commercialisé dans les années 80/90 (à 918 bouteilles).

 

Robe ambrée très brillante tirant sur le bronze, très huileuse.
Au nez, c’est jamaïcain, pas de doute : sur les herbes (foin) et les fruits pourris (banane), des copeaux de bois fraichement coupé et des légumes vapeur, avec une odeur pesante et gonflée (choux fleur). Rassurez-vous c’est fondu dans l’ensemble donc pas gênant pour un sou ; au contraire même, ça fonctionne de concert, c’est complexe et bien équilibré, végétal tirant sur des notes animales. Rhum puant (stinky) n’est donc pas un vain mot! A coté de ça, le lot de fruits (même très mature) donne une dimension plus accessible, tout comme la vanille. Ce rhum à plus fort degré aurait sûrement collé au nez vu le résultat à 40.

En bouche, l’attaque est douce et légèrement huileuse, sur l’anis, les herbes et ce boisé fraîchement coupé et incisif qui réchauffe progressivement le palais, avec des notes poivrées et mentholées (iodées). Les fruits, avec toujours cette banane, apportent de la douceur à l’ensemble et lui procurent un bel équilibre ; le rhum devient même plus présent, presque collant ; c’est agréable et assez riche pour 40°, avec une belle présence en bouche mais ça manque sûrement de plus de watts pour vraiment briller (et exploser). Le chêne est assez présent et apporte de l’amertume en bouche. Le rhum offre une belle longueur et se dirige vers des notes plutôt sèches, épicées et iodées (olive, saumure), avec en fond les fruits, toujours à maturité.

Un rhum fin et plutôt délicat malgré un nez assez (très) déconcertant au départ avec ce côté « légume » et végétal opulent. Pour 40° il se débrouille très bien et montre un gros potentiel. note: 83

 

 


 

 

John CAONOE 15 ans / 74°

Un rhum jamaïcain de 15 ans qui date des années 60 du nom d’un personnage historique avec la belle histoire qui va avec. Il existe aussi une version « Fine Old » en plus de celui-ci catalogué de « Deluxe Quality » et au degré impressionnant de 74°! Aucune info sur l’origine mais le rhum a été importé pour le marché italien (Whiskyteca Giaccone Salo).



Une couleur paille pour ce rhum, très claire, et une robe légèrement huileuse. Ce serait presque trop calme..
Au nez ça se réveille fissa, une vrai bête sauvage…mais qui peut en douter avec 74° ? Inutile, donc, de s’approcher de trop près, ça pourrait être fatal. L’alcool domine, et avec elle des odeurs végétales lourdes, de  la colle, des fruits exotiques (peau de banane), à coque, et encore du végétal à gogo (herbe, canne), des notes de terre, de l’olive, réglisse, et du vernis ; le tout arrive au nez brutalement. Il faudra beaucoup de repos pour apaiser la flamme, et pour faire apparaitre un profil un peu plus fruité, sucré, avec une réglisse qui englobe le tout.

En bouche (et non dilué), c’est sans surprise puissant et décapant, mais sûrement moins qu’imaginé ; crémeux et riche des notes précédemment décrites, dans un mélange épais qui colle aux gencives, très huileux. C’est plein d’herbes, d’olive, de goudron, âcre, agrumes et fruits exotiques. Et plein d’alcool. Un rhum tenace! La fin de bouche est longue, sèche sur l’alcool et les agrumes, végétale.

Avec de l’eau, c’est nettement plus tenable, sur les fruits secs et avec beaucoup d’agrumes (citron, pamplemousse), de la noix, des herbes et toujours la réglisse. Et malgré la dilution, la finale est toujours aussi longue, sur une dernière note de chêne et de réglisse (zan).

Une bête sauvage et brutale, mais trop alcooleuse, à moins sûrement de maitriser avec talent la dilution des rhums, ce qui n’est pas franchement mon cas. Note: 81

 

 


 

 

Original Jamaica Black Joe / 40°

Cette bouteille de Black Joe qui remonterait aux années 80 a été importé et embouteillé par l’italien Industria Lombarda Liquori Vini Affini SPA (Saronno). Un produit de The Rum Company (une compagnie suisse créée en 1943 par Compania Rum Basel et qui sera rachetée par Wray & Nephew Group en 1965 pour se concentrer sur l’exportation de marques de rhums jamaicains/blends) aussi à l’origine des rhums Coruba et Sugar Mills.



Ce Black Joe propose une robe assez claire, d’un léger ambré/doré à l’allure huileuse.
Au nez, c’est très léger mais la Jamaïque est déjà à la portée de la première effluve : glue, olive, plastique fondu et banane écrasée dominent dans un ensemble assez agréable et très facile. Les notes de plastiques s’effacent au profit des fruits et de miel, avec cette fois de l’ananas gorgé de sucre qui accompagne la banane, dans une ambiance fruits au sirop, gras. Un côté iodé et frais suit dans un nez qui passe de la plage au verger dans un claquement de doigts (pomme, fruits à chair blanche).

En bouche, très léger, trop même ; on s’attendait à du gras et de la puissance, et on tombe sur un rhum sans relief et très doux en bouche, dilué jusqu’à la mor. Une bouche saumâtre, iodée et fruité (fruit au sirop) mais assez plate, même si douce et encore très facile d’accès. De l’anis, de l’olive et de la cannelle mais sans l’étincelle nécessaire pour confirmer les jolies choses perçues au nez, dommage. La fin de bouche est moyenne, sèche, phénolique et fruité, simple.

On passe d’un simple et joli nez, assez séduisant, à une bouche décevante et très plate. Le degré tue littéralement le rhum. Note: 74

 

 


 

 

Berry Bros 1977 Jamaican  overproof / 60,3°

Issu de la série ‘Exceptional Casks’ de l’embouteilleur Berry Bros, ce rhum jamaïcain a été distillé en 1977 et embouteillé au terme de 37 années de vieillissement (dont la plupart en Europe). Fût #23, bouteille n°204/220.

 

La robe est ici ambré soutenu, tirant sur un bronze classieux ; très belle robe, grasse et lumineuse.
Au nez, c’est superbe, riche et concentré, magnétique. Sur un tabac très classieux, avec de la banane séchée et de la noix de coco grillée à point et un confit fondu et comme résineux, vanillé. Plus empyreumatique qu’à l’accoutumé, et très profond! Il se passe beaucoup de choses au nez, avec des fruits séchés (raisins mais aussi fruits rouges), des agrumes, du chocolat, du papier buvard et un végétal frais (champignon?), du cumin. Et autant vous dire que le repos ne lui fait pas peur, bien au contraire ce rhum a plusieurs vies.

En bouche, le rhum est résineux, à faire pâlir certains Demerara (pour le côté gras/résineux), extrêmement riche et savoureux : un boisé maîtrisé, un alcool très bien intégré, une complexité assumée ; on oscille entre chêne, agrumes et fruits confits, réglisse et mélasse grillée, olive et herbes fraîches/terre, dans un ensemble très fondu et fondant maintenu parfaitement par des épices, du tabac et encore du chocolat. La fin de bouche est de la même trempe, infiniment longue et exquise, entre notes sucrées et salées, et toujours concentrées avec ce charme usé (tabac) surannée mais rafraichissant.

Un trait d’eau ne retirera rien à la qualité de ce rhum, que ce soit au nez ou en bouche, il encaisse et même mieux, il sublime (avec de superbes agrumes).

Un superbe rhum qui certes sort des standards jamaïcains, mais tellement jouissif qu’il s’imposera parmi les tous meilleurs. Une claque. Note: 90

 

Ce dernier millésime refait surgir des souvenirs d’autres rhums estampillés Long Pond, avec ses notes si caractéristiques de tabac et de coco grillée, d’herbes fraîches avec son gras habituel en bouche. L’occasion pour une prochaine session de s’intéresser plus particulièrement à cette distillerie, à ce millésime 1977, mais aussi à d’autres dans un nouveau tour d’horizon. Wait & see…

 

 

90 et + : rhum exceptionnel et unique, c’est le must du must
entre 85 et 89 : rhum très recommandé, avec ce petit quelque chose qui fait la différence
entre 80 et 84 : rhum recommandable
75-79 POINTS : au-dessus de la moyenne
70-74 POINTS : dans la moyenne basse
moins de 70 : pas très bon
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