Boutique éphémère Velier

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Tant qu’il y aura des âmes, il y aura des rhums….

 

L’homme a ça de beau qu’il a des moments de génie qui marquent le temps, souvenirs intangibles d’un futur alors incertain. Merci à ceux qui se risquent au hasard et qui croient encore au temps dans un monde depuis longtemps devenu fou et pressé. Ces hommes qui construisent des rêves sur d’hypothétiques idées et qui prennent le risque honnête et personnel d’échouer dans leur quête, et de ne pas voir ce rêve aboutir un jour, ou alors peut-être sans eux…

Ainsi va le monde impitoyable des esprits tortueux et spiritueux qui, après des décennies alités sur un tapis de bois, apparaissent au grand jour tirés de leur rêverie angélique pour disparaitre quasi instantanément dans la masse, comme le voile vaporeux d’un matin réveillé trop tôt, éphémère comme un papillon déjà grignoté par l’urgence d’un monde pressé.

Merci encore à ceux qui de leur main et de leur cœur nourrissent tous ces anges qui fabriquent nos rêves d’idéal et de voyage ; merci au temps qui passe et à ceux qui ont l’audace de le cueillir et de l’entretenir…

 

Un coup de peinture, quelques étagères et une mise en scène orchestrée en cœur et avec goût, voici un lieu empreint d’une certaine magie et qui pourtant disparaitra comme il est venu: avec retenue et simplicité, tout en sobriété. Vous avez jusqu’au 20 mai pour en profiter (la fermeture étant repoussée de 10 jours). Ce lieu est fait une future extension de la boutique de LMDW (La Maison du Whisky) qui co-organise l’événement et dont la boutique se situe juste à côté. Un autre projet de boutique éphémère verra le jour cette fois sur les vins « Triple A » (toujours Velier) avant démolition définitive des lieux pour travaux.

On peut d’ailleurs se demander -à juste titre- s’il s’agit là d’une boutique ou d’une galerie d’art branchée de la capitale, et on est loin de l’esprit festif généralement véhiculé autour du rhum. Ce dernier est ici porté comme un objet pieux et précieux, et surtout respecté. En témoignent les dames-jeannes vieilles de plus de 80 ans présentes ici et là, en vitrine et à l’intérieur… Luca Gargano les a remportées durant une vente aux enchères et en a même ouvertes lors de la soirée d’inauguration de la boutique (en présence entre autre de Gianni Capovilla son grand ami). Le rhum en sortira forcément grandi et c’est tout ce qui importe.

 

Malgré une simplicité apparente et maitrisée du lieu, les étals sont jonchés de bouteilles telles des livres posés sur une étagère ; des livres qui racontent chacun leur tour une histoire unique et passionnante, dont seul leur découvreur pourrait conter les récits avec une passion qui lui est propre et surtout si communicative… (ceux qui ont eu la chance d’assister à l’inauguration de la boutique doivent encore s’en souvenir). Tout est rangé en ordre logique et le cheminement par couleurs et saveurs se fait tout naturellement: d’abord les rhums agricoles (Clairin, Rhum Rhum), les mixtes agricoles/mélasse (Basseterre, Damoiseau), le blend Papalin, pour finir sur les rhums de mélasse (Caroni et Demerara).

Pour le début des festivités vous trouverez donc le nouvel amour du sieur Gargano : les Clairins d’Haïti, si chers à ses yeux qu’il est sur le point de réussir le pari fou d’ouvrir une distillerie sur place (d’ailleurs au moment où vous lisez ces lignes il y est peut être déjà, tout juste revenu d’un voyage au Niger pour un reportage photo). Un nouveau -et énième- projet à suivre de près, et qui sera orchestré de main de maître, passionnément. On ne parle pas des Clairins on les découvre et on se laisse transporter avec en tête ce doux et savoureux rêve d’authentique et d’originel. On voyage et on en sort différent, comme apaisé et léger.

 

peintures réalisées par l’artiste Haïtien Mr Michel à la demande de Luca Gargano

au milieu un masque vaudou haïtien en fer


Vient Rhum Rhum,
son précédent pêché commis avec la complicité de Gianni Capovilla… 2 noms, 2 géants, qui vous font sans cesse penser que la vérité est ailleurs, dans une sorte de matrice parallèle, un hologramme panoramique d’un monde disparu idéal et idyllique. Le rhum est Art et patience, et la gamme Rhum Rhum vous fera perdre pieds et rappelera à chacun d’entre nous l’extrême importance de certaines étapes clés de la fabrication du rhum: à commencer par la fermentation, trop souvent bâclée pour plus de profit, et qui révèle ici de par sa longueur (10 jours) une richesse aromatique impressionnante et incomparable. L’essayer c’est l’adopter, et c’est surtout apprendre… Pouvoir comparer le Rhum Rhum blanc à sa version vieillie (le Liberation 2010 âgé de 2,5 ans) est une aubaine, qui lui même peut être comparé au Liberation 2012 (5 ans). Le rhum devient studieux et délivre ses secrets à qui veut bien l’écouter… le projet continue et nous attendons avec impatience la suite des aventures

 

Quittons les terres agricoles pour les sentiers imaginaires et plus goudronneux de Trinidad, là où ce même Luca Gargano découvrit un jour de décembre 2004 un trésor qui donnera naissance à un vrai culte: les rhums Caroni. Dans un décor chaotique de fin du monde, tapie dans les herbes hautes, se trouvait une distillerie abandonnée gardée par les anges et leur soif intangible. Imaginez…un entrepôt rempli de fûts d’un autre temps, et qui sera quelques temps plus tard -à la grande surprise de ces derniers- propriété de Velier, qui depuis ne cesse de mettre à nu les fûts en sortant chaque année des embouteillages marqués généralement d’une photo des lieux ou de voyages, un polaroid de cette échappée folle, un souvenir gravé jusque sur l’étiquette.

 

les anciens embouteillages…et les nouveaux, avec au centre le blend de 15 ans

 

Et dire que les bouteilles en vente dans cette boutique éphémère ne coutaient que 70/80€ il y a encore quelques années. Luca Gargano reste l’homme qui a révolutionné la perception du rhum et porté son image vers le haut, entrainant dans son sillon les amateurs de Whisky et leur goût d’authentique, en proposant notamment les premiers rhums Full Proof (brut de fût).

Caroni a ce charme et ce caractère qui rassemble amateurs de rhum et de whisky, un compromis idéal et une sorte de passerelle entre deux mondes qui communiquent enfin, comme de vieux amis qui se retrouvent après une longue absence. Les (d)ébats s’animent et bientôt une Caronimania envahit le petit monde des spiritueux et les prix s’envolent au grand dam de l’amateur occasionnel… Un bien pour un mal, victime d’un succès mérité mais qui restera toujours trop prématuré dans nos têtes.

L’occasion donc ici pour les amateurs du genre de trouver leur bonheur avec des bouteilles des années 80 jusqu’aux dernières sorties cette année (millésime de 1996). Il ne manquerait que le premier de la série pour le sans faute: le Caroni 1974 de 34 ans, qui reste aujourd’hui le plus vieux rhum embouteillé par Luca Gargano. Et attention on parle là de 34 années de vieillissement à Trinidad et on est donc très loin des Caronis sortis par les autres embouteilleurs (je pense notamment au Caroni 1974 sorti par Bristol, vieilli partiellement en Europe et bien loin d’atteindre le niveau de celui de Velier, et pour cause…). Mais rassurez-vous, si vous souhaitez plus simplement découvrir la touche Caron sachez qu’il existe 2 assemblages (blend) de 12 et 15 ans, une bonne entrée en matière avant peut être de succomber au reste…

 

la première photo est symbolique : elle représente Rudy Moore le liquidateur de Caroni posant devant le stock tout juste découvert… la dernière photo montre quant à elle une statue commémorant l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe (photo prise sur la route de Trinidad par le photographe Fredi Marcarini)

 

A côté des étagères déjà très bien fournies se trouvent les rhums Demerara sélectionnés par Luca Gargano (lien interview 1 & 2), qui rappelons-le est le seul au monde à avoir un accès direct aux entrepôts de DDL (en tant qu’actionnaire minoritaire et de son lien affectif avec Yesu Persaud, ‘ancien’ président du groupe). Que rajouter de plus sur ces rhums qui n’ait déjà été dit sur ce site? Je porte une profonde admiration pour ces rhums qui sont pour moi les très rares rhums de mélasse à pouvoir rivaliser avec les vieux agricoles… ils incarnent  une perfection ultime dans leur catégorie et leur fragilité ne fait que rajouter à leur charme. Je le redis souvent mais profitez-en avant qu’il ne soit trop tard! Et avant que la bulle spéculative qui a déjà touché le monde du whisky ne frappe celui du rhum. Les prix ont déjà grimpés et ce n’est malheureusement rien par rapport à ce qui nous attend dans quelques années…

Imaginez : un rhum comme le Diamond 1981 qui affiche 31 ans d’âge (sans compter un taux d’évaporation record de 94%, cette fameuse part des anges) ne coute ‘que’ 150/160€ ; c’est une somme certes mais cela reste dérisoire par rapport au produit en lui même. Comparez les autres embouteillages des Bristol, Cadenhead, Samaroli et consorts (tous vieilli en grande partie en Europe) et vous vous rendrez vite compte de la chance. Et que dire des UF30E, Port Mourant 1997, Albions 1994,… la liste est longue et ne comprend ici que des bouteilles encore facilement trouvables, mais je pourrais tout aussi bien citer Albion 1983, Skeldon (1973 et 1978), Diamond 1988 comme autant de trésors déjà disparus à jamais alors qu’ils sont sortis…il n’y a que quelques années.

Ces rhums sont fragiles, uniques, merveilleux, protégeons-les avant qu’il ne soit trop tard…et remercions Luca Gargano de les avoir sortis de l’ombre à la lumière, d’une manière honnête et sincère (il aurait pu tout aussi bien les vendre beaucoup plus cher). Et surtout comparez-les à d’autres Demerara, vieillis en Écosse ou en Angleterre et goutez à la différence entre un vieillissement tropical et continental, 2 mondes intéressants mais déraisonnablement déséquilibrés tellement le vieillissement tropical apporte de richesses supplémentaires…

 

Parmi les bouteilles rares en magasin : du Albion 1986, du Blairmont 1982 ou encore du Port Mourant 1974: une des exceptions Velier vieilli partiellement en Europe (et mentionné sur l’étiquette). Pour la petite histoire c’est Yesu Persaud qui demanda à Luca Gargano de retrouver les fûts de cette année 74 jugés exceptionnels. Les chanceux qui ont visités la boutique éphémère durant ses premières heures ont pu apercevoir 1 ou 2 bouteilles de Skeldon, de LBI 1998 (La Bonne Intention) ou encore quelques Versailles 1998… peut être les derniers rares exemplaire de ces rhums et de ces millésimes.

Une belle place, pour ne pas dire une pièce, est dédiée à Gianni Capovilla et ses eaux de vie de fruits. Luca Gargano a voulu cette hommage à son grand ami à travers une belle collection de bouteilles ainsi que des photos. J’avoue ne pas connaitre une seule de ses productions mais je ne demande qu’à me rattraper lors d’un prochain rendez-vous! Je sais qu’il tient une place cruciale au sein du projet Rhum Rhum et que son expertise est à la base du succès des rhums Liberation, et rien que pour ça, chapeau Mr Capovilla.

 

Secret Basemant

Comme s’il n’y avait pas assez de trésors dans cet endroit éphémère, il repose un secret encore plus emblématique en sous-sol, une sorte de graal inaccessible pour le commun des mortels…

Nous parlions plus tôt de galerie d’art, doux euphémisme pour un endroit qui se transformerait maintenant en musée. Luca Gargano n’a pas voulu uniquement montrer ses sélections, en passionné qu’il est, il a voulu aussi partager une ‘petite’ partie de sa collection personnelle en exposant dans ce fameux sous-sol de très vieux millésimes…

J.Bally, Trois Rivières, Barbancourt, Caroni…. de quoi faire rêver les plus cartésiens d’entre nous. Poussant même le vice à faire déguster certaines de ces grandes bouteilles ; C’était le cas d’un Barbancourt des années 60 (ouvert aussi lors de la soirée d’inauguration) et qui fera prochainement l’objet d’une note détaillée. Cette pièce à la lumière tamisée comme pour garder intact les tableaux d’un musée fait aussi office de salle de dégustation ; Il est possible de goûter à certaines bouteilles qui sont en vente dans la boutique: les rhums Demerara , Caroni et autres Clairin, mais aussi une bouteille de Damoiseau 1980 qui était par exemple ouverte à mon passage.

 

en bas au centre la bouteille originale de Caroni dont l’étiquette à été reprise pour le blend de 15 ans

Et dans un coin à l’abri des regards indiscrets 4 flacons de 20cl. qui renferment les prochaines sorties… 4 nouveautés qui seront vraisemblablement commercialisées dans les prochains mois. Des expérimentations menées par DDL dans les années 90 dont 2 assemblages historiques et plutôt énigmatiques : un assemblage Diamond/Port Mourant et Diamond/Versailles, des alliances mêlant la modernité des colonnes et l’ancienneté des alambics en bois vieux de plusieurs siècles. Et pour rester dans l’authentique, sachez que ces assemblages ont été réalisés avant vieillissement (mélangés directement dans les fûts). Luca en avait vaguement discuté dans notre interview (lire ici et ici) …mais nous en reparlerons bientôt dans une note croisée.

 


Nous y sommes, il est déjà temps de quitter ce lieu sacré pour vaquer à des occupations plus terre à terre, avec le souvenir furtif et ému d’un après-midi d’avril 2014. La suite, elle, appartient déjà au passé…

[ merci à Camille -votre hôte à la boutique- pour son implication et sa sympathie ]

 

L’adresse :
20 rue d’Anjou, 75008 Paris
Ouvert du 16 avril au 20 mai 2014, du mardi au vendredi, de 10h30 à 20h00 et le samedi de 10h30 à 19h30 sans interruption.
Téléphone : 06.13.28.43.66

 

Comments
25 Responses to “Boutique éphémère Velier”
  1. Gaetan dit :

    Merci Cyril pour cette note détaille on attend avec impatience les nouveautées de chez velier et encore merci pour les personnes qui ne peuvent pas ce déplacer à Paris

  2. Jérôme dit :

    Merci et Bravo ! pour ce beau témoignage à des esprits exceptionnels (hommes et spiritueux) !!!

  3. Vio dit :

    Je découvre, c’est bien attrayant.
    Malheureusement, je ne serai pas à Paris avant le 22.
    Next Time..!

  4. L'homme à la poussette dit :

    Une belle visite guidée, merci Cyril 🙂

    J’ai eu la chance d’y passer à deux reprises (il y aura sans doute une troisième ^^) et en effet on se sent privilégié quand Daniele (membre de l’équipe Velier) nous fait déguster les futurs rhums de la gamme et encore plus privilégié quand il nous raconte certaines histoires et anecdotes liées à certaines bouteilles ! Moi ça me fait rêver ! 🙂

    • cyril dit :

      Trois fois ? On se refuse rien 😉

      • L'homme à la pousette dit :

        Et vraisemblablement une quatrième (et dernière) à venir :P.

        • cyril dit :

          Et des achats ou bien c’est juste avec les yeux ?

          • L'homme à la poussette dit :

            La première fois je suis juste reparti avec le Vaval que je n’avais alors pas trouvé ailleurs. Et sans oublier la dégustation en bas avec Daniele :p (dont les 4 futures références).
            La seconde fois, j’ai pu (re-)déguster des choses y compris le Damoiseau et je suis reparti avec l’Albion 1986 si je ne m’abuse.
            La troisième fois c’était pour la soirée LMDW en présence de Luca, qui comme je l’imaginais est vraiment passionnant (et super sympa) !
            Et si quatrième il y a, ça serait plus pour repasser en bas et discuter avec Daniele et peut-être déguster deux, trois trucs, si il y a des restes ^^

          • cyril dit :

            Quel programme 🙂
            Tu as donc pu bien en profiter c’est génial

  5. keiser dit :

    Merci 🙂
    Et tout ça est en vente ou est-ce uniquement de l’exposition ?

  6. Rouge Cyril dit :

    Sympa comme tout cet endroit, j’ai dû m’égaré pour me retrouvé là, car c’est du haute gamme qui est vendu dans cette boutique, mais bon accueil, petite dégustation et petit cours sur Caroni et autres produits, pas mécontent d’y être allé, je recommande l’endroit et espère que çà se refera plus tard 🙂

  7. Et j’en remets une couche : j’ai été le dernier client, je les ai même fait fermer 15 minutes plus tard 😀

    Et je suis reparti avec un Diamond 81, qui était « abordable » avec les 10% du réduction du dernier jour 🙂

    • cyril dit :

      Tu peux y retourner si tu veux mais le rhum a laissé place au vin

    • Ouki dit :

      Tu a été très assidu en effet 😉

      Y avait-il encore du « Port Mourant 1974 » ?
      Je suis aussi repassé par la boutique 1 petite semaine avant la fin et j’avais put constaté qu’il y en avait toujours plusieurs bouteilles. A croire que ce PM là avait moins attiré les foules que les Skeldon et autres LBI.

  8. Mauve dit :

    Hello,

    Dans le texte tu nous dis:

    « Et attention on parle là de 34 années de vieillissement à Trinidad et on est donc très loin des Caronis sortis par les autres embouteilleurs (je pense notamment au Caroni 1974 sorti par Bristol, vieilli principalement en Europe et bien loin d’atteindre le niveau de celui de Velier, et pour cause…). »

    Alors qu’après vérification suite à notre discussion sur le forum, il a bien grandit sous les tropiques, la seule différence avec celui de Velier, c’est la dilution à 46%.

    Voilà voilà. Ca me semblait important de rectifier, notamment car tout mes préjugés sur BCR sont nés sur cette phrase 😉

    • cyril dit :

      Salut Mauve

      L’information vient de John Barrett, gérant de Bristol, mais en effet il n’a pas vieilli ‘principalement’ mais bien ‘partiellement’ en Europe. Je viens de changer ça dans l’article ci-dessous, merci pour ton message 🙂

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